Quelle est l'histoire de Monte Verità à Ascona ? Dans quel contexte sont nées les rencontres d'Eranos qui ont permis à Jung, Corbin, Kerényi..., d'exposer leurs pensées ? C'est à ces questions que Kaj Noschis, analyste jungien installé à Lausanne, répond à travers ce livre très documenté.
L'auteur présente le lieu : "Chacun peut aujourd'hui gravir à pied les quelques centaines de mètres qui, aux abords d'Ascona, au Tessin, mènent de la rive du lac Majeur au faîte d'une colline nommée depuis 1900 Monte Verità, montagne de la vérité. Des chemins et des escaliers bordent une congestion de villas, d'immeubles cossus et d'hôtels, mais parvenu au sommet et se tournant vers le lac, le promeneur est encore violemment saisi. Il se croit précipité dans un paysage d'eau scintillante d'un bleu intense, calme miroir sous des versants abrupts. Il éprouve la sensation de se trouver sur un axe vertical qui perce le monde."
C'est au début du XXème siècle qu'Ascona vit débarquer "un nombre étonnant d'artistes, de «réformateurs de vie», d'anarchistes libertaires et d'intellectuels [...] des hommes et des femmes qui, de ce lieu, et comme marqués par lui, ont exercé une influence certaine sur les débats d'idées, les avancées artistiques et les changements d'attitudes des premières décennies du 20ème siècle."
Ascona a fait preuve de beaucoup de tolérance, c'est ainsi que se sont côtoyées deux populations antagonistes, l'une composée de gens d'église, l'autre d'anarchistes. "Deux visions du monde en total contraste. Les uns préoccupés par le salut des âmes, sans vouloir bousculer l'ordre public. Les autres engagés et parfois enragés, luttant pour l'émancipation matérielle du prolétariat par l'abolition de l'État. Il est remarquable de voir au Tessin cette cohabitation se poursuivre pendant des décennies, gérée par des autorités locales peu portées à procéder, par une stricte réglementation, à trier les bons et les mauvais sujets" nous dit l'auteur.
La première communauté vit le jour au cours de l'été 1899, "quelques adeptes ardents de la cure par le soleil et par l'eau, en révolte contre la frénésie urbaine et industrielle, décident de vouer leur vie entière aux pratiques que pourrait inspirer un site exceptionnel et que requièrent leurs convictions végétariennes. [...] En ce lieu, le groupe des jeunes insatisfaits cherche son orientation envers et contre une exigence bourgeoise."
Si les noms de la plupart des personnes qui ont résidé dans ce lieu ne sont pas familiers au public français, Henri Oedenkoven, Karl Gräser, Ida Hofmann..., d'autres comme l'écrivain Hermann Hesse, le psychanalyste Otto Gross le sont. "Gross et Hesse à Ascona sont inspirés par un milieu qui agit et pense en rupture radicale avec la société bourgeoise, mais qui se trouve lui-même en marge du mode de vie promu par les pionniers de Monte Verità. Hesse, observateur des personnes et attentif aux idées qu'elles propagent, en tire inspiration et argument pour ses livres. Gross élabore là ses théories et cherche à faire progresser la cause de l'égalité des sexes en prônant et pratiquant l'amour libre."
"A partir de 1913, de grandes figures, celles qui littéralement «font» la danse moderne, séjournent à Monte Verità et y déploient des mouvements inspirés par la nature, ou la la nature telle qu'enseigne à la vivre Rudolf Laban, indéniable maître du lieu. [...] Leur idée phare est de laisser le corps s'exprimer avec «son propre langage de rythme et de mouvement»."
Les rencontres d'Eranos ont été organisées par la propriétaire de ce lieu, Olga Froebe Kapteyn, à partir de 1933. A ce sujet, l'auteur précise : "Sur la rive du lac Majeur, à Moscia non loin de Monte Verità, sur la route qui d'Ascona mène à Brissago et à l'Italie toute proche, Eranos est une propriété privée qui va prendre place dans l'histoire culturelle du 20ème siècle. Elle va inspirer les rencontres, exposés, débats, réflexions et recherches d'esprit éminents et favorisera la diffusion de leurs idées jusqu'à leur conférer un extraordinaire retentissement dans les sciences humaines."
Ces rencontres ont permis de réunir des personnalités de grande envergure tels Carl Gustav Jung, Henri Corbin, Charles Kerényi, Mircea Eliade et bien d'autres... sans oublier des jungiens comme Erich Neumman et James Hillman. Elles se poursuivent aujourd'hui, mais dans des directions différentes.
L'auteur démontre tout au long de l'ouvrage comment "les dieux et les esprits" de ce lieu ont marqué un grand nombre de personnes qui étaient à la recherche de modes de vie différents, le plus souvent à contre courant des modèles reconnus. Il découvre "un dénominateur commun à des initiatives et figures très diverses : une opposition au système patriarcal dominant, à l'autorité du père, à l'ordre familial ou à l'État; et, en revanche, une évocation plus ou moins explicite de ce qu'on peut appeler la Terre-Mère, d'autant plus frappante que ces personnes n'ont pas ou guère eu de contacts directs entre elles, mais semblent mues par une même force et incitées par elle à construire quelque chose".
Une stèle a été dressée portant l'inscription GENIO LOCI IGNOTO, au génie inconnu de ce lieu. L'auteur précise : "Cette pierre d'environ 80 cm se dresse près de la grande table ronde sous un cèdre qu'Olga Froebe plaça résolument là, dès le début, pour les repas qui suivent les conférences. Une douzaine de convives y trouvaient place, dont inévitablement l'hôtesse et Jung accompagné de sa femme Emma".
Voir également le livre Autour de Jung d'Henry Corbin qui évoque les rencontres d'Eranos à Ascona.
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