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Sylvie Verchère Merle nous propose un voyage dans la symbolique des figures du Féminin et du Masculin.
Sylvie Verchère Merle J’ai choisi de suivre l’évolution des figures féminines et masculines de façon chronologique, telles qu’elles apparaissent dans la préhistoire puis dans les mythes. Les grands thèmes abordés sont le féminin, bien sûr, la perception que l’humain en avait à l’époque de la préhistoire et que nous pouvons découvrir dans les traces qu’il nous en a laissées. Le masculin aussi, qui, de son côté, apparaît comme un agent émergeant, déclencheur et fécondant.
A l’origine les deux figures font en quelque sorte ce qu’elles ont à faire pour que la vie se déroule. Leur jeu se dévoile comme une spirale qui va de la naissance, à la mort/renaissance pour l’un, aux métamorphoses pour l’autre, en passant par des épousailles, une union, un hierogamos. Il n’y a là que beauté et férocité de la vie.
A partir de l’émergence du patriarcat ces cycles passent sous le rouleau compresseur de la guerre et de la cruauté. Le féminin chute, est blessé, devient méchant, sorcier. Le masculin de chevalier devient guerrier et doit offrir le sacrifice de sa chair et de son sang mais cette fois-ci de façon cruelle.
Pour finir et nous en sommes là aujourd’hui, le masculin dans son parcours initiatique, de prise de conscience, ne se tourne pas vers l’épouse, ne va pas à la rencontre de l’Autre féminin mais revient au père, reste dans le giron du mâle d’un système patriarcal.
Ce n’est pas la fin de l’histoire, les mythes changeront à mesure que changeront nos croyances et nos perceptions, pour le pire ou pour le meilleur… Nos croyances changeront lorsque l’archétype ayant atteint le zénith de sa manifestation sous une certaine forme opérera sa propre métamorphose.
Si je devais résumer l’ouvrage je dirais que je commence par montrer que dans la préhistoire le féminin sacré est omniprésent, qu’il est une Grande Mère qui ne peut s’agir elle-même (les Vénus n’ont souvent pas de mains, pas de pieds). Qu’Elle attend le Masculin qui perçant l’œuf de Sa manifestation, avec amour et désir, lui permet de Se déployer et de manifester la vie. Une fois son acte réalisé, son rôle joué, le Masculin meurt pour se régénérer dans un cycle sans fin.
Puis les choses changent. Le masculin ne veut pas laisser sa place, il ne veut pas mourir, il ne propose plus l’amour, il prend le pouvoir, il s’érige en Senex. Avec la course au pouvoir s’installe la jalousie et la guerre, la compétition. Le Féminin blessé fuit (Daphné et Apollon…), souffre et chute (Amaterasu, Bloddeuwed, So-aT-Sa-Ki…). Le masculin guerroie, il est à la conquête non plus amoureuse du féminin mais jalousement du trône et son sacrifice nécessaire devient une véritable charpie, une terrible torture. Le chemin est alors semé d’embûches car c’est le Père Senex qui l’attend à se renaissance et non plus l’Aimante.
Oui ce n’est pas nouveau, de nombreux chercheurs font cette constatation et j’en cite plusieurs, des gens sérieux qui ne peuvent être accusés d’amateurisme ou de superficialité. Les traces préhistoriques ne montrent pas de chutes blessantes du féminin, ni de sacrifices cruels du masculin.
Dans les vestiges des plus vieux temples ce ne sont pas de gigantesques figures d’hommes pendus à un arbre ou accoudés à des nuages que nous trouvons, ce sont des gravures féminines. Les décors les plus archaïques montrent des signes de vulves, de seins, tout autant sinon plus que de phallus et si nous tenons compte des Vénus, la prééminence du féminin ne fait aucun doute. Cette place toute particulière semble avoir duré au moins 30 000 ans.
Plus proche de nous, tout en étant aux portes de l’histoire, nous avons encore des traces de ce féminin magnifié. Il suffit de visiter les anciens temples d’Egypte pour comprendre. J’y suis allée l’hiver dernier et ce fut un véritable vertige que de voir ces femmes divines aussi grandes, aussi belles, aussi vénérées que les dieux. Elles sont d’une beauté sans faille.
Il s’y trouve les mères mais plus encore le féminin dans son énergie grandiose. Il faut voir l’érotisme sans aucune putasserie sur ces murs vieux de plusieurs millénaires pour comprendre qu’il existe une autre manière de percevoir le féminin. Sans paraphraser André Malraux, dans ses Antimémoires, nous pouvons nous demander : Dans cette magnificence du féminin, comment était vécue le féminin, perçue la femme ? Quelle sexualité, quel rapport entre les genres ?
Il est d’habitude depuis les travaux de Marija Gimbutas d’utiliser le terme matristique pour le différencier du terme matriarcat utilisé par Bachofen. Le matriarcat n’est qu’un équivalent au patriarcat qui se hiérarchise de façon pyramidale. C’est un non-sens.
Ce qui se génère à partir de La Mère (voire de la grand-mère) n’est pas pyramidal mais circonvolutif. Il ne s’agit pas de compétition mais de coopération. Les peuples qui ont longtemps gardé ce système n’ont pas de hiérarchie pyramidale. Même lorsqu’ils ont intégré certaines valeurs patriarcales - en particulier la guerre - ils ont souvent un roi (dépendant de la souveraineté féminine) différent du chef de guerre, ou mieux encore, un conseil des anciens, où souvent présidaient les anciennes.
Nous sommes tellement imbibés de nos croyances, imbus de nos certitudes, figés dans le diktat patriarcal, qu’il nous est difficile ne serait-ce que d’imaginer un autre système possible. Moi-même il m’a fallu de nombreuses années pour lâcher-prise et commencer par un pourquoi pas ?
Bien entendu j’ai développé cette étude dans la mesure où l’on ne peut pas étudier les mythes sans observer, ou en déduire, la société de ceux qui les rêvent. Jung expliquait que les mythes sont les rêves d’un peuple, ils sont de la même nature que nos rêves mais sur un plan collectif : la réalité psychique collective, l’âme du monde.
C’est la lecture des mythes sous un angle de vérité immuable, figée dans la pierre, qui nous fait croire que la violence est innée, car nous lisons des mythes où elle se manifeste et pensons, croyons, que cela signe notre histoire et notre réalité psychique at vitam aeternam.
Lorsque nous faisons une lecture plus globale il en est tout autrement. Les mythes changent, d’Ulysse nous sommes passés à Jésus Christ et nous pouvons être sûrs que les Grecs anciens croyaient tout aussi fortement à Zeus que notre époque aux prophètes. Les mythes les plus anciens soulèvent, au sujet de la violence et du rapport entre les genres, tant de questions et lèvent un peu le voile…
C’est aussi la croyance de l’histoire limitée à quelques milliers d’années qui nous fait croire que la violence est naturelle car omniprésente. Une grande partie des archéologues, des historiens, des anthropologues, s’accordent aujourd’hui sur le fait qu’il fut un temps où la violence, la guerre, n’étaient pas une activité principale de l’être humain. C’est très difficile à concevoir car pour avoir un autre regard nous devons quitter nos apprentissages et notre point de vue, c’est une mort à soi-même et tout le monde n’est pas capable de le faire simplement.
Ce dont nous pouvons être sûrs, car nous le vivons et l’observons autour de nous, c’est qu’une certaine violence existe réellement, elle est de l’ordre de la férocité. Mais ce que nous, les humains, avons rajouté à cette violence c’est la cruauté, la barbarie. Avons-nous jamais vu des loups exterminer leurs proies dans des camps de concentration ?
Avons-nous jamais vu des animaux pratiquer des tournantes ? Ces actes d’inhumanité totale n’existent pas dans la nature, ce n’est pas inné, c’est hérité culturellement, par le contexte et l’éducation. C’est une sorte de spirale infernale dont nous avons (aurons ?) bien du mal à sortir. Encore faudrait-il que nous le voulions, encore faudrait-il que nous arrêtions de croire qu’un Grand Homme est un général de guerre et que le conquérant fait figure de Héros.
J’avais cette idée, de manière assez intuitive en ayant de grandes difficultés à la formaliser. C’est en lisant La Cruauté ordinaire d’Yves Prigent que les mots m’ont permis de comprendre vraiment. C’est en lisant Alice Miller aussi que l’on peut comprendre comment s’engendre et se transmet la violence cruelle.
Je vais essayer d’être très concrète car cette thématique est, à mon sens, très importante. Le masculin se révèle à lui-même, vit, s’il quitte le giron de sa mère pour aller vers l’Autre, cet autre qui est un étranger, différent, féminin. C’est une réalité concrète, il est conseillé aux hommes de ne pas épouser leur mère et d’aller chercher une épouse ailleurs que dans leur famille : de passer de la mère à l’épouse. C’est totalement vrai aussi sur le plan psychique.
L’homme (et bien sûr Animus !) doit quitter les jupons de sa Mère, la Grande Mère, l’Inconscience de l’enfance, l’infantilisme, les diktats des vieux pères, Senex, pour aller à la rencontre d’Anima Autre. Dans ce cas il meurt à ce qu’il était, il nait à nouveau et il se révèle, il est initié. Lorsque cela ne se fait pas, pour x raisons, le masculin (homme ou Animus) reste en enfant englué… Lorsque le Père, par ruse ou par malice prend la place de l’Autre il est quand même toujours un enfant, l’enfant de… et non l’Autre d’un Alter Ego. Ce travail est colossal qui révèle le véritable héros.
Le féminin a besoin de ce masculin initié pour se révéler lui-même, sortir des grandes vagues de l’inconscient, avoir des bras et des jambes et se mettre à marcher. La Petite Sirène nous raconte cela de façon magistrale. Le mythe Éros et Psyché nous parle aussi de ça, et nous pouvons le lire sous l’angle féminin et masculin, jamais l’un ne va sans l’autre, c’est une histoire d’amour…
Ils sont nombreux et je lis et relis régulièrement certains d’entre eux. Bien sûr il y a tous les travaux de C. G. Jung et de M. L. von Franz et j’apprécie particulièrement Erich Neumann, Pierre Solié et Michel Cazenave. James Hillman tient une place particulière. Ses deux ouvrages Le Polythéisme de l’âme et La Beauté de Psyché sont pour moi deux grandes références. Les pistes qu’il propose donnent beaucoup de sens à notre humanité, aux mouvances de nos psychés, au chemin.
L’idée et la matière jungienne sont toujours sous-jacentes à mon travail dans la mesure où je ne cherche pas à faire simplement une étude, mais que ce travail est intimement relié à de mon propre chemin, à ce que j’observe dans l’âme humaine, que ce qui me motive c’est l’humanité qui se cache sous tous ces mythes et dans l’histoire...
Oui. J’ai écrit en 2014, La Femme dans la société Celte, composé de deux parties. La première traite du statut de la femme historique chez les peuples celtes. La seconde suit le chemin des figures mythiques et la perception du féminin qui peut en découler. C’était déjà, de ma part, une volonté de dire non, le féminin n’a pas toujours et partout été inférieur au masculin.
J’ai écrit en 2016 Le Féminin solaire dans la mythologie. J’y analyse la figure du féminin à travers deux mythes majeurs que sont La Courtise d’Etaine, un mythe irlandais et La Caverne céleste, un mythe japonais. Tous deux nous présentent le féminin sous sa face solaire et lumineuse. Dans les contes et les mythes les plus archaïques le féminin apparaît ou garde des traces évidentes de cette lumière, tellement marquée qu’elle existe encore à travers Isis ou Hathor, Sol…
En tant que femme j’ai toujours senti en moi cette lumière et de nombreux hommes que je connais se reconnaissent bien plus Lune que Soleil… Je me suis dit il y a quelque chose à voir par-là. Ce par-là s’est révélé très ancien, très lointain et c’est un long chemin pour le retrouver mais il touche quelque chose de profond et d’essentiel en soi.
Lorsque Lucius le héros des Métamorphoses d’Apulée parvient au bout de son périple et qu’il contemple Isis manifestée, c’est une figure féminine lumineuse, radieuse, solaire qui apparaît. Lorsque dans un rêve de femme Animus arrive avec sa bouteille de Champagne pour fêter l’évènement, une femme se dresse toute de lumière nimbée… Il y a quelque chose par-là….
Propos recueillis par cgjung.net auprès de Sylvie Verchère Merle, mai 2019.
Des scènes pariétales de la vieille Europe aux cités-mères, de Catal Hüyük aux temples de Göbekli Tepe, des mégalithes de Malte à celles de Stonehenge, puis des mythes du Japon à ceux de la Mongolie, de ceux de l’Egypte à la Scandinavie, de la Grèce aux Amériques, de Sumer à l’Irlande, l’auteure nous propose un voyage dans la symbolique des figures du Féminin et du Masculin.
Elle nous permet de suivre un changement de paradigme. Elle nous révèle le glissement des sociétés matristiques aux diktats du patriarcat et les perceptions du monde qui en découlent par les substrats psychiques que nous développons.
D’une Grande Déesse des origines, le féminin chute jusqu’à devenir parèdre, mère, sorcière, oiseau de malheur. De l’Homme Vert, Sorcier, Fils Taureau, Fils Amant, Dieu Lune, le masculin s’enlise dans les ornières d’un sacrifice sanglant et cruel.
Ce que nous dit ce fil de l’histoire c’est que même gravées dans la pierre, les croyances ne sont pas immuables et nous avons notre propre responsabilité dans la manière dont nous les agissons.
Elle a exercé le métier de journaliste dans le domaine des arts et de la culture pendant dix ans, puis celui de praticienne en psychosynthèse, notamment pour l’Institut Français de Psychosynthèse – dont elle a été directrice en 2012.
Indépendante, elle anime des formations de formateurs, de conseillers, de développement personnel, de management, de relation d’aide et des accompagnements individuels.
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