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La correspondance de Federico Fellini et Georges Simenon atteste de leur intérêt commun pour Carl Gustav Jung.
Fellini écrit à Simenon le 27 décembre 1976 "... j'ai lu une interview de vous, c'étaient des médecins qui vous interrogeaient et parmi les nombreuses réponses si révélatrices et si personnelles, à un certain moment j'ai lu que vous aussi vous admirez Jung. Je le considère moi-même comme un des grands esprits de l'humanité et j'ai envie de vous raconter ma visite à sa célèbre tour de Bollingen".
Federico Fellini poursuit : "Cette tour [...] ressemble à une sorte de petite baraque construite au bord du lac. Elle est gigantesque, on dirait pourtant l'ouvrage d'un enfant, un objet modelé dans l'argile, à la main. J'ai éprouvé un grand respect parce qu'elle à l'air d'une crèche pauvre, mais aussi un peu d'un petit théâtre, et parce que Jung s'est appliqué avec l'humilité du vieil acteur, comme quelqu'un qui répète des rôles de vieux bergers caucasiens, avec un rituel simple et mystérieux. Du reste, l'ensemble me correspond tout à fait, car non seulement il tente de reproduire quelque chose de l'Antiquité, du Moyen Age, mais il a vraiment quelque chose de théâtral".
Quelques lignes plus loin il poursuit : "Nous sommes montés par un petit escalier étroit creusé dans la pierre et nous avons ouvert une petite porte. Il régnait au début une obscurité profonde, puis j'ai vu une pièce minuscule, étouffante, avec deux petites fenêtres gothiques aux épaisses vitres d'albâtre, avec les murs peints par Jung lui-même, les mandalas et une étude de différents mythes, puis des petits objets...".
Fellini livre ses impressions : "...j'ai eu l'impression de sentir un Jung plus humain, plus grand, plus proche et plus mystérieux. [...] Ce qui le grandissait à mes yeux, c'était l'humilité infinie avec laquelle il s'était soumis à répéter de vieux rituels qui n'ont pas besoin d'une mise en scène pompeuse, c'était la pauvreté du sorcier bantou, antique et sauvage. Si un savant comme lui, un philosophe, un penseur accepte les conditionnements et les limites d'un rituel qui, à nos yeux au moins, peut paraître vaguement ridicule, cela veut dire qu'il sait voir plus profondément et qu'il a vraiment laissé derrière lui toutes ces choses qui passent en général pour un comportement convenable."
Dans sa réponse du 3 janvier 1977 Georges Simenon fait écho à ce récit : "Le passage de votre lettre sur votre visite à la maison de Jung, m'a donné une grande nostalgie. Il y a quarante ans que je lis Jung et que je l'admire."
Puis Simenon évoque sa rencontre manquée avec Jung : "Il y a quarante ans que je lis Jung et que je l'admire. Lorsque je suis venu vivre en Suisse, j'ai hésité à lui écrire pour lui demander un rendez-vous. Je n'ai pas osé. A quelques temps de là, un grand journaliste suisse [...] est allé le voir et a été surpris de voir la plupart de mes livres sur les rayons de sa bibliothèque. Il lui a dit que je rêvais de le connaître. [Jung] a répondu: «Moi aussi. Qu'il vienne quand il veut passer la journée à la maison.» Je me préparais à m'y rendre, plein de joie, quand, quelques jours plus tard, Jung est mort."
Simenon à son tour livre ses impressions : "Je ne l'ai donc jamais vu mais j'ai lu toute son oeuvre. Je crois comprendre pourquoi Jung me lisait. Au-dessus de l'intelligence, il plaçait l'instinct et le subconscient(*), surtout le subconscient créateur ce qui pourrait être une définition de vote génie." Quelques lignes plus loin "Le seul conseil que je puis vous donner c'est de suivre justement les théories de Jung en laissant parler votre subconscient."
Fellini avait découvert Jung au début des années 60, par l'intermédiaire de l'analyste jungien italien Ernst Bernhard, qu'il avait rencontré à cette époque. Ce dernier lui avait conseillé de consulter le yi king et de tenir un cahier de rêves. L'influence de l'œuvre de Jung a eu un impact direct sur la genèse des principaux films de Fellini.
Dans le flot de cette correspondance on découvre que Fellini, en proie à de nombreux doutes et hésitations, n'hésite pas à interroger le Yi King. Le terme de synchronicité ne lui est pas étranger "Et voilà que votre petite lettre m'arrive prodigieusement au bon moment, et d'autant plus agréable qu'elle est inattendue. C'est déjà la troisième fois que cela arrive, [...] et que cette mystérieuse synchronicité [...] risque de devenir une nécessité indispensable..."
Au delà des courts extraits ci-dessus, qui concernent la relation de Fellini et Simenon à l'œuvre de Jung, cette correspondance laisse une large place au processus créateur artistique, à ses exigences, aux doutes et inquiétudes qu'il engendre. Précieux témoignage de la part de deux hommes très différents, dont l'amitié ne s'est jamais démentie.
Voir également le fac-similé Le Livre de mes rêves qui regroupe les carnets de rêves de Frederico Fellini qui témoignent de l’importance et du rôle qu’ont joué les rêves dans la vie du cinéaste italien.
C’est sur les conseils d’Ernst Bernhard, analyste jungien italien, que le 30 novembre 1960 -il est âgé de 40 ans- Fellini commence à rédiger et illustrer Le Livre de mes rêves.
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