En 1896 Jung a 21 ans et donne sa première conférence dans le cadre de l'association étudiante dont il fait partie, connue sous le nom de "Société de Zofingia".
Étudiant en médecine à l'Université de Bâle, il explore différents thèmes et certaines de ses réflexions sont toujours d'actualité ! Voici quelques extraits qui témoignent des centres d'intérêt qui l'ont conduit à explorer le monde de la psyché :
La connaissance en boîte de conserve
P31 [] il existe des gens, et je ne parle pas seulement des gens «cultivés», ou soi-disant cultivés, qui sillonnent le monde en portant sur leurs épaules tout un fatras d'érudition, mais de ceux qui, jusqu'au «froid sépulcre», ne feront qu'étiqueter consciencieusement et méticuleusement le contenu de leurs connaissances, sans manquer une occasion d'ouvrir leur
petite boîte de conserve pour en déverser le contenu sur la foule révérencieuse des non-initiés.
Dans cet esprit, ils tiennent soigneusement à l'écart tout ce qui pourrait venir, de quelque manière que ce soit, déranger l'ordre sublime de leur petite boutique de curiosités. Les désagréables fauteurs de troubles qui oseraient exiger autre chose qu'un bric-à-brac de seconde main se voient pourchassés par tous les moyens et à la première opportunité. On garantit ainsi le règne de la paix universelle dans le royaume de la science, les petites disputes entre disciples sur des sujets impliquant leur spécialité restant subsidiaires. La surface de ce monde discipliné reste ainsi tranquille et lisse comme un miroir.
Cinq conférences
|
A propos des carriéristes
P33 [] L'apparition de tous ces gens qui se targuent de scepticisme, qui sont radicaux au point de faire reculer le plus modeste des hommes, qui vénèrent une farce folle dont ils se font un but supérieur, un idéal sans consistance qui brille par son mépris pour toute attitude rationnelle, est très révélatrice de notre époque. Ils se moquent de la foi simple des plus naïfs, mais se traînent dans la poussière devant les abominables idoles forgées par leur imagination malade.
Le rapport de l'homme et de l'argent
P32 [] il n'est pas rare de nos jours de voir un homme cultivé, un scientifique même, se vautrer dans la boue de la médiocrité. Mais laissons cela; ces choses sont aussi impopulaires chez ceux que l'on appelle les gens cultivés. Prélevons plutôt un autre joyau dans le débarras de l'absurdité érudite. Quelque chose de vraiment impressionnant: Mammon.
Quiconque ne s'intéresse pas à l'argent sous une forme ou sous une autre est considéré comme un raté qui passe à côté de sa vie. Il serait certainement profitable, pour une fois, d'estimer approximativement combien de gens appartiennent à cette grande confraternité qui entonne un Te Deum dès que les taux d'intérêt ont gagné un pour cent. Naturellement, je voudrais aussi y inclure tous ceux qui étudient dans un but lucratif ou mettent tout en œuvre pour faire un «beau mariage».
Apathie parmi nos érudits
P35 [] Mais comment expliquer cette mystérieuse apathie parmi nos érudits ? On peut lui attribuer différentes causes. D'abord, cette masse de livres ineptes, que l'on parcourt avec volupté et qui occupe l'esprit à autre chose. Ensuite, le modus vivendi général qui consiste aujourd'hui à «étudier pour gagner sa vie» et à se «spécialiser», et aussi le dogme selon lequel la science suffirait à expliquer le monde. Enfin, cette indifférence générale qui fait que personne ne se soucie de savoir pourquoi et comment l'on étudie.
La mort de l'intellect
P45 [] Le point de vue matérialiste et sceptique adopté par l'opinion contemporaine constitue tout simplement la mort de l'intellect. Il nous interdit de dépasser les frontières étroites qu'il impose, nous condamnant à collecter des données tirées de greniers déjà pleins à ras bord. Nos microscopes se perfectionnent, nous révélant chaque jour de nouvelles complexités. Nos télescopes se font plus précis, nous révélant aussi de nouveaux mondes et de nouveaux systèmes. L'énigme pourtant reste entière; nous gagnons juste en complexité.
Nous pouvons observer l'infinité du monde dans le microcosme comme dans le
macrocosme. Mais où en est la limite?
Interrogations autour de la mort
P55 [] Alors pourquoi la mort? Pourquoi l'organisme, élaboré avec un soin et une efficacité infinis dans le but manifeste de le faire vivre, doit-il décliner, disparaître et pourrir? Pourquoi est-il mis un terme, avec un tel mépris, à cet élan vital? Nous ressentons la mort comme la violation brutale de notre droit le plus sacré à exister. Tous nos projets, nos espoirs, toute notre joyeuse activité se voient soudainement anéantis. Et de quelle perfide manière ! Il est impossible de découvrir ce qui a été fait à ce corps, ou ce qui s'en est échappé.
La torture cruelle d'animaux constitue un affront à toute humanité. |
Imposer une morale à la science
P75 [] Nous devons tout d'abord instaurer une «révolution par le haut» en imposant une morale à la science et à ses représentants par le biais de certaines vérités
transcendantales. Après tout, les scientifiques n'ont pas hésité à imposer au monde leur scepticisme et leur morale sans fondement, particulièrement dans les instituts où se pratique la physiologie, où le jugement moral des étudiants est délibérément détérioré par leur implication dans des expérimentations honteuses et barbares, comme la torture cruelle d'animaux qui constitue un affront à toute humanité.
Il faudrait enseigner dans ces institutions, dis-je, qu'aucune vérité ne saurait être atteinte par des moyens contraires à l'éthique et qu'il existe un droit moral. Dans ces institutions publiques, tenues pour des havres où étudier la vie, il faudrait engager une recherche expérimentale au sujet des phénomènes psychiques, sous la direction d'hommes à l'esprit libre et ouvert, et non de vulgaires philosophes (philosophes maison) «à la tête démise».
L'homme vit à la frontière de deux mondes
P78 [] L'homme vit à la frontière de deux mondes. Il se dégage de l'obscurité de l'existence métaphysique pour faire irruption, comme un météore, dans le monde phénoménal, avant de le quitter à nouveau pour poursuivre sa course dans l'infini.
Éloignement de l'homme de la nature
P94 [] Le perfectionnement de ses relations extérieures a éloigné l'homme de la nature, mais seulement avec sa part consciente, non pas inconsciente. L'homme civilisé pense qu'il s'est élevé au-dessus de la nature brute.
A quoi servira l'avenir radieux que nos petits-enfants attendent et qui leur permettra, grâce aux progrès technologiques, de voyager en avion et de manger des protéines synthétisées? |
[] A quoi servira l'avenir radieux que nos petits-enfants attendent et qui leur permettra, grâce aux progrès technologiques, de voyager en avion et de manger des protéines synthétisées? Pauvre vieil homme civilisé, si cultivé et politisé qu'il soit, il aura été abandonné par la vie et, contraint de se soumettre à la règle sans pitié, devra renoncer à cette existence à laquelle il avait pourtant donné sa plus vigoureuse approbation. Il a atteint le succès matériel, mais cela l'a-t-il rendu heureux? Non, bien sûr que non.
Il n'y a aucun plaisir à posséder les choses, mais seulement à les obtenir. Jamais personne n'a acquis quelque chose sans en vouloir immédiatement plus. Tout simplement parce que l'homme lutte pour son bonheur, mais que ce bonheur n'existe qu'au moment où il est atteint, avant de se dissoudre à nouveau dans la même routine insipide. Le fait que l'homme moderne recherche le bonheur au travers du succès matériel l'incite à rejeter tout ce qui ne tend pas à cela.
L'idée selon laquelle le bonheur réside dans des facteurs externes est un jugement a priori, c'est-à-dire que la majorité des gens ne perçoit même pas que le bonheur pourrait être autre chose. Soumettre le bonheur à des facteurs purement extérieurs est pourtant une idée totalement erronée, même si le raisonnement peut paraître correct au premier abord, dans la mesure où le succès matériel procure une impression de plaisir.
De l'ignorance du mal
P125 [] Il existe même des théologiens chrétiens optimistes ignorant apparemment que «l'univers tout entier baigne dans le mal ». Eh bien, à chacun ses petits bonheurs !
Mon souhait est de dissiper l'erreur et d'apporter la clarté, pour moi comme pour les autres. |
A la recherche de la vérité
P128 [] Je demeure donc déterminé à emprunter ce chemin vers l'inconnu, mais je déteste et crains l'erreur autant que de vivre une vie sans valeur. Mon souhait est de dissiper l'erreur et d'apporter la clarté, pour moi comme pour les autres. Par conséquent, je suis également motivé par la justice, par le désir de ne causer de tort à personne et simplement écouter et enquêter avant de formuler tout jugement.
Mais la justification supérieure de ma décision de quitter la terre ferme tient dans la recherche de la vérité, cette vérité qui gît, depuis la nuit des temps, dans les yeux brillants de l'enfant au regard lointain et pensif, qui traverse, dans un élan sauvage, cette misérable vie qui s'écoule sous un ciel empli d'étoiles filantes, et dans le regard des mourants, tout aussi lointain et pensif.
A propos du christianisme
P147/148 [] Le Christ devient finalement un «idéaliste naïf», pauvre comme un rat d'église, dépouillé de sa puissance et de sa gloire et même de son sens aigu du discernement.
Naturellement, ces concessions ont substantiellement réduit ses chances de conquérir le monde, et nous percevons déjà des signes qui montrent que nous pourrions en être réduits à employer les techniques de l'Armée du Salut, encombrant le service religieux de toutes sortes d'artifices astucieux, décorant de fond en comble les églises de tissus précieux, installant des fonts baptismaux et des tables de communion qui tourneraient au son de la musique sur un décor mouvant, installant dans les lieux appropriés des machines à sermons automatiques qui, après insertion d'une pièce, délivreraient un sermon de moins de dix minutes sur n'importe quel sujet - tout cela dans le simple but de remédier à l'ennui mortel qui doucement, mais sûrement, envahit la vie religieuse.
Il est naturellement bien plus facile et confortable de faire d'une église ou d'un service religieux des endroits divertissants. |
Il est naturellement bien plus facile et confortable de faire d'une église ou d'un service religieux des endroits divertissants; de jouer ou parier sur des valeurs pour lesquelles nos ancêtres ont versé sang et larmes; de gaspiller la richesse d'un savoir accumulé par nos aïeux au cours d'une histoire tumultueuse, plutôt que d'enseigner aux hommes des choses qui ne peuvent être apprises qu'avec effort et tenter de les élever.
cgjung.net © 1998 -
Haut de page