Marie-Louise von Franz a longuement observé les personnes qualifiées de "puer aeternus", l'expression de l'archétype du dieu de la jeunesse éternelle. Ces individus refusent de s'engager pleinement dans la vie, rejettent le présent et se révèlent incapables de transformer leurs imaginations en actions concrètes.
Les extraits ci-dessous donnent le ton de l'ouvrage :
"... le puer aeternus cherche toujours à saisir ce qui pourrait être la juste chose à faire en le ramenant dans son monde fait de théories imaginaires. Il ne peut simplement pas traverser la frontière entre l'imaginaire et l'action.
C'est aussi un tournant dangereux dans l'analyse de telles personnes, tant que l'analyste a la vigilance d'un renard alerte, l'analyse progressera merveilleusement, le puer aeternus conscientisera ses émotions, intégrera l'ombre et le fait qu'il doive se confronter et redescendre sur terre.
Mais à moins de se faire le chien de garde du diable, il s'avérera que tout cela n'est que pure simulation. Tout le processus d'intégration se fait là-haut dans le ciel, pas sur terre, pas dans la réalité, de telle sorte que l'on en arrive à devoir jouer le rôle d'une gouvernante en demandant, concrètement, à quelle heure il se lève le matin et jusqu'à combien d'heures il a travaillé.
C'est un vrai travail fastidieux, mais c'est ce à quoi on est réduit afin d'éviter d'être confronté à une profonde illusion qui peut très facilement surprendre l'analyste." p.63
"Le puer aeternus est, en quelque sorte, à l'opposé de l'arbre, car c'est une créature qui se promène dans les airs, perpétuellement en mouvement. Il refuse toujours d'être figé par le présent, de se battre pour sa vie dans l'ici et le maintenant, c'est pourquoi il évite d'avoir une longue relation avec une femme.
La femme représente le lien avec la terre pour un homme, en particulier s'ils veulent avoir des enfants. Il croit qu'une famille le lierait définitivement à la terre. Pour l'oiseau qui vole, le puer, la femme est un arbre. En acceptant de nicher de ce côté de la vie, il accepte la juste situation de la vie, qu'il essaie constamment d'éviter.
L'arbre montre clairement qu'être attaché signifie inévitablement perdre sa liberté de mouvement. Le puer aeternus et le symbole de l'arbre vont de pair. L'arbre le fixe, l'attache à la terre, dans un cercueil et dans la vie en même temps." p.166
"Je me sens très pessimiste à cet égard pour les générations qui ont eu des parents en analyse [nous sommes en 1960], qu'elle soit freudienne, jungienne ou autre, car je vois que de nos jours, l'animus de la mère va même jusqu'à utiliser la psychologie pour faire vaciller son fils : « Je ne sais pas si c'est psychologiquement bon pour toi d'aller skier ».
Dans cette génération, même la psychologie est dangereuse ; les enfants de parents non éveillés à la psychologie étaient souvent plus chanceux ; ils pouvaient explorer un domaine nouveau, mais pas ceux dont l'esprit des parents a déjà été touché par la psychologie.
La même chose s'applique également aux analystes qui veulent garder leur patient, au moment où l'analysant veut passer à l'action, l'analyste invoque le fait qu'il faut d'abord regarder les rêves pour voir si cela est psychologiquement juste.
L'ombre du puer aeternus fait souvent de même, si aucune mère ou analyste ne joue ce rôle ; chaque fois qu'il veut passer à l'action, il soutiendra qu'il ne devrait pas agir tant qu'il n'y aura pas réfléchi très attentivement. On pourrait appeler cela la philosophie du névrosé, la réflexion au mauvais moment, à l'instant où l'action est nécessaire." p.213
"On peut prédire à quoi ressemblera un puer aeternus et ce qu'il ressentira. Il est simplement l'archétype du dieu de la jeunesse éternelle, par conséquent il présente toutes les caractéristiques du dieu : il a un désir nostalgique pour la mort, il pense de lui-même qu'il est quelqu'un de spécial, il est la seule personne sensible parmi tous les moutons coriaces.
Il aura un problème d'ombre agressive et destructrice qu'il ne voudra pas intégrer et qu'il projettera, généralement. Il n'y a absolument rien du tout de spécial.
Plus l'identification avec ce dieu de la jeunesse est forte, moins la personne est particulière, bien qu'elle se sente elle-même si spéciale." p.151
"C'est exactement ce que le puer aeternus essaie constamment de faire. Il ne veut pas se donner à la vie et essaie de la bloquer en l'anticipant grâce à sa raison.
On se dit parfois que ces personnes seraient plus vivantes si elles pouvaient souffrir ! Si elles ne peuvent pas être heureuses qu'elles aient au moins la possibilité d'être malheureuses, vraiment malheureuses, pour une fois, elles pourraient devenir humaines.
Mais beaucoup de puer aeterni ne peuvent même pas être complètement malheureux ! Ils n'ont même pas la générosité et le courage de s'exposer à une situation qui pourrait les rendre malheureux. Comme des lâches, ils construisent des ponts par lesquels s'échapper — ils anticipent la déception de manière à ne pas encaisser le coup, et ça, c'est un véritable refus de vivre." p.148
Œuvre fondatrice du concept de l'Enfant Intérieur, les travaux de Marie-Louise Von Franz ont été présentés en anglais à l’Institut C.G Jung de Zurich lors du semestre d’hiver 1959-1960.
La première partie est consacrée à l’analyse du Petit Prince et par là même de son auteur Antoine de Saint-Exupéry.
La Seconde partie est composée de trois conférences axées autour des cas cliniques de Puer Aeternus rencontrés par Marie-Louise Von Franz.
Enfin, la dernière partie est construite autour de l’étude du roman allemand de Bruno Goetz, Le Royaume sans Espace.
Éditeur : Terre Noire – 2024 – Collection Aldanagogie - Traduction et commentaires par Loïs Le Tuault - 330 pages – ISBN 9782487519015 – 15 x 22 x 2,1 cm
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