Sibylle Birkhäuser-Oeri et Marie Louise von Franz interprètent plus de 60 contes de fées, autour du thème de la Mère.
Cet ouvrage s'inscrit dans le droit fil de la tradition d'interprétation des contes de fées conçue par C.G. Jung et complète la collection des 10 livres consacrés à ce thème par Marie Louise von Franz.
Dès le début du livre il est précisé que "L'objectif de ce livre est d'explorer la signification psychologique de certains personnages de mères qui apparaissent dans les contes de fées. Il ne représente bien sûr qu'une modeste contribution à ce problème, car les figures de mère se rencontrent sous les formes les plus variées : les images de la Terre Mère, qu'elles soient positives ou négatives, offrent des nuances inépuisables et sont d'une diversité extrême.
Les contes de fées sont en effet des autoportraits de l'âme humaine. Il existe des thèmes distinctifs, sans cesse récurrents : les traits de caractère et le comportement de la vieille femme positive, de la bonne mère ou, dans sa version négative, de la sorcière ou de la marâtre ; cette dernière est une figure personnelle ou transpersonnelle qui, dans ce dernier cas, évolue jusqu'à la stature d'une déesse obscure."
Voici quelques extraits de l'ouvrage :
N'oublions pas que la mère possède aussi une clé en or, en d'autres termes, que l'expérience de l'inconscient fournit aussi un accès à des valeurs spirituelles entièrement nouvelles. C'est la raison pour laquelle l'archétype de la mère joue un rôle particulier durant les périodes de transitions - comme aujourd'hui - dans la vie non seulement des individus, mais aussi de la collectivité. Il peut prendre la forme d'états de possession collective, mais apporter également un renouveau. Les gens attachés à la mère seraient en fait les plus aptes à trouver un accès à l'inconscient, c'est-à-dire à parvenir à une attitude spirituelle vraiment personnelle. Cependant, s'ils échouent, ils restent alors bloqués par des pulsions instinctives déplacées, souvent maladives, qui sont fréquemment l'expression d'un talent créateur resté inconscient.
Par conséquent, l'être attaché à la mère est condamné à la créativité, car seule l'activité créatrice peut le libérer par moments de la mère. Dans le fond, ce n'est pas le lien avec sa mère personnelle qui le tourmente mais l'attachement à la Grande Mère archétypique et invisible, à l'inconscient. Quand il comprend que c'est le fondement maternel de son âme qui le fascine, qui le pousse en permanence à la créativité, il peut alors se libérer vraiment de la mère, mais seulement temporairement. Son activité créatrice lui permet de la tenir à distance, jusqu'à ce qu'elle revienne un jour avec ses armes les plus puissantes, la maladie et l'âge, l'entraîner dans la nuit interminable de la mort. Ou bien ne le fait-elle que pour l'enfanter à nouveau dans l'éternité ? (P 28)
L'auteur relève que "la femme actuelle semble plus consciente de son ombre que la femme d'autrefois. Il faudrait préciser que son ombre est aussi devenue plus noire, car plus la lumière est intense, plus l'ombre s'obscurcit. Toutefois, ce n'est pas seulement l'opposition morale qui s'est intensifiée, c'est aussi, de manière plus générale, l'opposition entre le conscient et l'inconscient." (P 62)
Le conflit entre Blanche Neige et la méchante reine pourrait donc illustrer un choc entre deux attitudes totalement opposées au sein de la psyché féminine : un sentiment positif, idéal, se manifeste alors qu'arrivent à la conscience des tendances très égocentriques, en vive opposition. La jalousie personnifiée par la reine signifie en effet la négation de l'amour, sa destruction. Cette jalousie ne résulte pas de l'amour, mais d'une soif de pouvoir, d'un besoin de dominer les autres.
Une personne jalouse ne se donne pas aux autres, elle pose ses exigences. Elle veut tout posséder à elle seule. Pour rester capable d'aimer, elle est donc obligée, beaucoup plus que d'autres, de réfléchir très sérieusement à la véritable nature de l'amour. Seules des femmes tout à fait inconscientes ne se retrouvent jamais dans cette situation, confrontées à ce problème. Un tel conflit aide surtout une personne à se développer, mais elle ne peut le faire que si elle devient consciente de son égocentrisme. Si sa propension à la jalousie reste inconsciente, elle ne peut pas progresser. L'ensemble du conte de Blanche Neige illustre en fait un processus de développement des sentiments grâce auquel l'être prend douloureusement conscience de ses contradictions intérieures. (P 72)
Quand des femmes ensorcellent soi-disant d'autres personnes, elles-mêmes sont le plus souvent « ensorcelées », c'est-à-dire possédées par un contenu de leur inconscient. C'est le cas de la sorcière de notre conte [Yorinde et Yoringue] : elle n'ensorcelle pas seulement les autres, elle est elle-même ensorcelée et prend une forme animale. La sorcière agit comme une femme qui exerce un impact inconscient négatif sur les autres parce qu'elle n'arrive pas à assumer ses propres démons, c'est-à-dire ses aspects féminins obscurs. En général, soit de telles femmes ont simplement refoulé le côté sorcière en elles, soit elles l'ont peut-être vécu mais de manière inconsciente, ce qui revient pratiquement au même. Dans les deux cas, elles ne peuvent éviter d'être possédées par ce qui, en elles-mêmes, n'a pas été résolu. (P 103)
Abstraction faite de la dépendance mentale ou physique qu'il entraîne, tout fantasme passif représente un grand danger pour la psyché, car il empêche non seulement les rapports humains authentiques, mais aussi la véritable relation avec l'anima, condition préalable à la créativité et surtout au développement spirituel de l'homme. Une participation active à sa propre imagination est en effet très astreignante. Elle demande un effort important sur soi-même, mais on en tire profit. En revanche, les fantasmes passifs ont, en règle générale, des effets destructeurs sur la psyché. C'est un laisser-aller, une emprise par l'inconscient qui conduit souvent à de dangereuses régressions, à une dégradation générale. (P 113)
Il manque souvent une part de virilité à l'homme qui est attaché à la mère de manière positive. Il est souvent un peu mou ou sexualisé à outrance avec en général un problème d'éros non résolu. Malgré son attachement à la mère, Ivan, le héros de notre conte, est suffisamment viril pour ne pas devenir la victime d'une mère anima négative et pour contrer l'assaut de l'inconscient. Il échappe ainsi au risque d'être rôti dans le four maternel. Il reconnaît donc le grand danger que lui font courir ses pulsions et arrive à leur échapper. Dans sa fuite, il grimpe au sommet d'un grand érable. Il recherche dans les hauteurs une protection contre les attaques qui le menacent, venant de ses propres profondeurs. Dans les croyances populaires, l'érable passe pour écarter les démons. Par ailleurs, l'arbre est en général un symbole maternel positif. (P 174)
Le phénomène multiforme que l'on nomme complexe mère, en termes psychologiques, est un état d'envoûtement que subissent des êtres humains pris par leur véritable mère et surtout par l'archétype de la mère. C'est de cet archétype que la véritable mère tire son pouvoir d'envoûter son enfant - par l'intermédiaire d'un lien avec l'inconscient collectif. La mère biologique détient ce genre de pouvoir quand elle est elle-même possédée par l'archétype de la mère, prisonnière de son lien avec l'inconscient collectif. (P 178)
On déclare souvent, de nos jours, que notre spiritualité s'égare (le prince aveugle) et qu'elle a besoin d'amour pour guérir. Ce n'est pas faux, mais notre conte [Raiponce] nous en dit beaucoup plus à ce sujet : aussi longtemps que le principe de l'éros ne connaît pas sa propre ombre, c'est-à-dire aussi longtemps que l'être humain n'a pas fait en lui-même l'expérience de l'ombre, il en est prisonnier. Nombreux sont ceux qui disent qu'on devrait avoir plus d'amour pour ses semblables, et beaucoup sont pleins de bonnes intentions à cet égard. Il ne faut cependant jamais oublier qu'on n'est pas vraiment capable de donner de l'amour quand on ne se connaît pas soi-même. Le sentimentalisme n'a rien à voir avec l'amour, c'est un état dans lequel on est inconscient de son ombre. Seul l'éros conscient peut guérir. (P 200)
Quand le principe maternel naturel est prédominant, ses aspects négatifs recèlent des dangers pour la psyché ; difficiles à appréhender, ils peuvent prendre des formes diverses et étouffer toute vie spirituelle. Les gens sont par exemple incités à ne comprendre les phénomènes vitaux que du point de vue le plus banal. Ils se focalisent sur une attitude « purement naturelle » et ils s'y tiennent. D'après ce point de vue, seuls les instincts qualifiés de naturels sous-tendent les actions humaines : la sexualité ou le pouvoir, l'alimentation ou l'agression, etc. Le danger de cette attitude est qu'elle néglige l'enrichissement spirituel personnel. Ceux qui sont dominés par une telle mentalité maternelle naturelle détruisent toute impulsion spirituelle en eux-mêmes aussi bien que chez les autres, ouvertement ou subrepticement. (P 202)
Les gens qui tombent sous l'emprise du matérialisme perdent le lien avec leur âme, un phénomène bien connu d'un point de vue psychologique. Cela signifie qu'ils se sont « décomposés » sur le plan psychique. Parce qu'ils ne donnent aucune valeur à ce qui ne peut être touché ou soupesé, ils ont perdu contact avec les contenus plus profonds de leur psyché. Pour eux, il n'existe rien d'autre que leur conscience, centrée sur le moi. En même temps, ils sont souvent menacés par une ombre très dangereuse, car elle est autonome. Ils peuvent, par exemple, être mus par une ambition d'autant plus destructrice qu'elle est inconsciente, ou par une convoitise sans scrupules, car il leur manque un lien avec l'âme, la réalité spirituelle, pour contrebalancer et contenir les instincts enracinés dans le corps. (P 233)
Tant qu'on s'identifie à la conscience du moi, on pense être libre. On croit pouvoir faire ou ne pas faire plus ou moins ce qu'on veut. Mais quand on apprend à connaître l'inconscient, on s'aperçoit alors que le fil a été tissé depuis longtemps. Est-ce qu'on l'accompagne volontairement ou est-ce qu'on reste à sa remorque ? Telle est la question qui se pose désormais. Comme le dit l'ancien proverbe : Fata volentem ducunt, trahunt nolentem — le sort guide qui consent et entraîne qui refuse. Cela signifie qu'il est important de percevoir le sens de son destin pour appartenir à «ceux qui consentent», qui se font guider. (P 253)
L'attitude spirituelle de l'homme devient stérile s'il n'est pas capable de laisser entrer en lui la vie irrationnelle, la nature. Pour un homme, développer son anima signifie en fait se rattacher à la nature, c'est-à-dire se relier à l'inconscient, quant à la femme, sa vie même se sclérose si elle ne peut lui trouver un sens spirituel. Au plus profond de son être, elle est la nature, le principe irrationnel essentiel, mais si son animus ne se développe pas, elle n'a aucune relation consciente avec le fondement originel de sa propre existence. (P 329)
La femme doit avoir une compréhension nouvelle de sa nature la plus profonde (le principe de vie), elle ne doit pas s'identifier à son côté masculin mais renouveler sa manière d'appréhender son caractère féminin à l'aide d'une parcelle de virilité. De nos jours, rares sont les femmes qui ne s'identifient pas à l'animus quand il est constellé. Les effets qui s'ensuivent détruisent leur personnalité et plus globalement notre culture. Un esprit destructeur est à l'œuvre, une maladie détruit l'âme.(P 331)
Sibylle Birkhäuser-Oeri Elle a été en analyse avec Marie-Louise von Franz, puis a travaillé elle-même sur les contes. Elle a donné nombre de conférences et de cours à l'institut CG Jung de Zurich sur la mère dans les contes de fées. Ce livre est basé sur ses notes, ses écrits. À la mort prématurée de Sibylle Birkhäuser, Marie-Louise von Franz s'est chargée de les assembler pour en faire un tout. |
On a l'impression qu'à l'époque contemporaine la Grande Mère se trouve vraiment au premier plan : elle provoque à la fois une désintégration de la culture et la création de quelque chose de nouveau. Il me semble qu'elle est la grande déesse de notre temps, l'archétype qui domine notre problème spirituel actuel, même si elle est rarement reconnue et respectée consciemment comme une force supra personnelle. Au contraire, les gens sont de nos jours tombés inconsciemment sous son emprise, comme le montre par exemple le matérialisme dominant, une manifestation de son côté destructeur. (P 328)
Voir également le même ouvrage au format de poche.
Voir
également l'ouvrage de Peter Birkhäuser (son mari), La lumière sort des ténèbres
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