Marie-Claire Dolghin-Loyer nous convie à une aventure initiatique, nous guidant à travers divers récits de héros qui, inévitablement, affrontent des épreuves afin d’atteindre l’accomplissement personnel sur le chemin de l’individuation.
En soulignant la nature androgyne de la psyché, l’auteure offre une profonde compréhension des approches symboliques, marquée par une perspective à la fois millénaire et spatiale.
Marie-Claire Dolghin-Loyer répond aux questions posées par Claire Droin.
Claire Droin : Pourquoi avoir choisi le thème du voyage initiatique et du mythe du héros pour ce livre ?
Marie-Claire Dolghin-Loyer : Ce thème est commun à de nombreux mythes et contes traditionnels. Il associe la notion d’initiation à celle du voyage. Dans les deux cas il s’agit, dans l’espace, de se séparer des précédents lieux d’existence : partir, quitter sont des thèmes qui reviennent fréquemment.
Dans le temps le voyage met en scène le problème de la durée d’une évolution et ses diverses caractéristiques renforcées par les qualités des espaces traversés. L’ensemble est une bonne symbolisation des traversées transformatrices.
La notion de « Héros » est liée à la nécessité des épreuves : supporter le manque, la peur, les risques mortels, maitriser les colères, ne pas se laisser abuser, être patient, faire un retour sur soi, distinguer le bien du mal, se conformer à des règles, écouter les leçons, oser perdre, donner de soi-même, se passer des sollicitudes maternelles etc. N’est-ce pas héroïque ?
Quelles relations ou continuités existent entre ce livre et vos précédentes publications ?
Il s’agit toujours de processus évolutifs, de déroulements vitaux. Ceux-ci se déroulent toujours dans ce qu’on appelle l’espace-temps.
Dans Les saisons de l’âme j’ai cherché à montrer les différentes étapes d’un processus analytique et psychothérapeutique, en les mettant en analogie avec différents mythes et les réalités saisonnières. En montrant que ces évolutions ne sont jamais linéaires, comme pourrait le vouloir la rationalité.
Dans Les contes, une école de sagesse, j’ai voulu montrer combien cette logique évolutive se vérifiait dans les divers contes traditionnels et combien elle vérifiait les concepts jungiens et les illustrait. Ce que j’ai repris dans Les concepts jungiens. Ceux-ci permettent de comprendre la logique interne des étapes décrites dans les mythes, les contes, les traditions, les approches philosophiques. En soi une « logique » est une structure cohérente qui se déroule dans l’espace et le temps.
Dans un livre plus personnel L’adieu, Journal d’un deuil le récit personnel de la traversée d’un deuil montre les mêmes étapes, les mêmes chemins. À mettre aussi en relation avec la notion de Dao : chemin, sens, circulation entre la terre et le ciel. Comprendre ainsi que les accidents de la vie sont eux aussi initiatiques.
Comment s’est fait le choix des trois récits principaux (Kaidara, Perceval le gallois, Le chant du monde) analysés dans votre livre ? Est-ce une manière de voyager dans l’espace et le temps ?
Ce sont des textes que je pratique depuis très longtemps. J’ai très vite ressenti leurs analogies, au delà des particularités culturelles et religieuses. Je voulais donner la première place à une tradition africaine pour montrer sa sagesse à l’œil occidental souvent ignorant.
L’ensemble du cycle du Graal est tout à fait vivant dans la culture moderne, Giono renvoie à des traditions paysannes encore vivantes il y a moins d’un siècle. Trois façons de vivre qui pourraient sembler perdues mais qui nous sont encore très proches.
En regard les autres récits viennent renforcer les analogies, ils ont encore une grande actualité. Il est particulier d’apprendre que « Le Petit Prince » est l’ouvrage le plus édité de par le monde, après la Bible. De voir aussi l’importance de l’Odyssée à notre époque. De regarder Le Livre Rouge avec cette même lecture est éclairant pour un jungien et permet de mieux comprendre les approches symboliques avec une perspective millénaire et spatiale.
Les récits auxquels vous faites référence ont pour personnages principaux des hommes. Pourtant le féminin y est aussi présent. Pourriez-vous nous en dire plus sur la place des femmes dans Voyages Initiatiques ?
La dominante des récits est masculine, bien qu’il existe mythes et contes qui décrivent les chemins féminins. J’en ai traité plus précisément dans le livre sur les contes et dans celui sur les concepts.
Les épreuves initiatiques féminines ne se présentent pas comme les épreuves masculines : elles sont plus secrètes, plus confidentielles, liées intimement à des connaissances sur la fonction reproductrice, les qualités affectives, la capacité de sauver des frères ou un amant perdu (Eros et Psyché par exemple), les mystères de la Déesse mère. Les récits passent par des phases d’occultation particulières, (Blanche Neige, Déméter/Perséphone par exemple), des persécutions inaugurées par des femmes rivales, avec des hommes absents.
Cette problématique de l’accession à la féminité, à ses lumières et à ses ombres, est moins un voyage qu’une descente dans la profondeur des mystères de la vie. Les femmes des « voyages » apparaissent comme des conseillères et des guides sur le chemin des hommes qui ont besoin d’être instruits. Elles se révèlent plus « instruites » naturellement que les hommes.
Dans les pratiques anthropologiques on constate que les initiations sont surtout adressées aux jeunes garçons. Tous les héros ont besoin d’apprendre à découvrir les valeurs du féminin. Je pense aussi que pour que se corrigent les abus de la misogynie il est nécessaire que les hommes, jeunes et vieux, apprennent à connaître leur propre féminin et à le respecter, en eux mêmes et bien sûr à l’extérieur. L’éducation des jeunes hommes est indispensable.
La puissance du féminin dans l’inconscient masculin, tout être humain est né d’une mère, peut construire haine, dépendance et violence. Ce sont des prises de conscience nécessaires. Les femmes gagneraient à comprendre que cette image inconsciente masculine des forces du féminin peut être leur pire ennemie.
Les lecteurs s’identifient souvent au héros d’un récit. Pensez-vous que votre livre puisse avoir une fonction initiatique pour vos lecteurs et lectrices ?
Je le suppose et je l’espère ! J’espère surtout que cela entraîne aussi à une lecture réflexive des ouvrages cités. Différents types d’attitudes principalement masculines sont évoquées par les différents personnages des récits, ce qui ouvre à une typologie. Dans tous les cas leur rapport avec des valeurs humanistes, masculines et féminines, androgynes peut-on dire, est la clef de la maturité.
Les initiations sont généralement vues comme des épreuves permettant de passer à l’âge adulte. Dans votre livre, vous évoquez aussi l’approche de la mort, la deuxième partie de la vie pour laquelle Carl Gustav Jung regrettait qu’il n’y ait pas de préparation, pas d’éducation de l’adulte. Votre livre pourrait-il en être une ?
Le paradoxe c’est que la mort est partout ! Elle est au début de la vie, quand le fœtus doit perdre l’abri du ventre maternel et passer par un danger mortel pour accéder à la vie. Elle est dans toutes les phases de transformation liées à l’âge, et dans tous les déroulements physiologiques. Toutes ces phases de transformation sont des « petites morts », des « bardo », des « passages » dans la pensée tibétaine. Les vivre dans une compréhension du sens de la perte pour le mouvement de l’avenir prépare inévitablement à mieux approcher la perte ultime.
En ce début d’année 2024, quel message particulier souhaitez-vous transmettre à vos lecteurs ?
J’aimerais souligner que, du point de vue de la psyché, nous sommes principalement androgynes, masculins/féminins, quand bien même le sexe biologique et la culture impriment des caractéristiques genrées dont il faut distinguer la pertinence et le sens et conduisent à des expériences de vie où la biologie reproductrice a une certaine priorité. Il est important de redonner du sens à l’opposition masculin/féminin qui devrait être regardée comme une complémentarité féconde et non destructrice, ce qui demande du respect de part et d’autre, et l’intégration des opposés. « Mysterium conjunctionis ».
Propos recueillis par Claire Droin – Février 2024
Éditeur : Dervy – 2022 – 240 pages – ISBN 9791024206790 – 14 x 22 x 2,1 cm
Marie-Claire Dolghin-Loyer
Médecin et psychanalyste, Marie-Claire Dolghin-Loyer anime des stages consacrés à la pensée de Jung et aux thèmes traditionnels.
Elle participe aussi à la restauration et à l’animation culturelle du site cistercien de l’abbaye de Coat Malouen dans les Côtes-d’Armor.
Ouvrages présentés sur ce site :
- Voyages initiatiques (entretien)
- Les concepts jungiens
- Les contes, une école de sagesse
- Les saisons de l’âme des labours aux moissons
- L’adieu – Journal d’un deuil
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Claire Droin
Basée à Villefranche-sur-Saône, au nord de Lyon, Claire Droin exerce en tant que psychopraticienne et anime des ateliers visant à explorer et approfondir la connaissance de soi.
Claire s’intéresse à la pensée de C.G. Jung et à sa vision du monde psychique, trouvant dans ses ouvrages une source d’inspiration et de compréhension approfondie.
A travers sa pratique et grâce à sa contribution à l’Espace Francophone Jungien, Claire a à cœur d’aider l’être humain à mieux comprendre sa nature profonde.
Pour en savoir plus, voir son site internet PBAtitude
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