Comprendre l’incestuel au cœur des familles et son lien avec l’anorexie, telle est l’étude, ponctuée de multiples exemples, menée par Ève Pilyser. L’auteure revisite les relations parents / enfants en s’appuyant sur de nombreux contes et mythes.
Dauphin éditions – 15 x 22 x 1,6 cm – 288 pages
Ève Pilyser souligne l’importance du milieu familial dans le développement de l’enfant :
« L’enfant, du fait de sa très grande dépendance à son milieu familial, a besoin du support de sa famille pour s’autoriser à grandir et à se développer. » (p.14)
L’auteure s’adresse en premier lieu aux parents, éducateurs et accompagnants :
« Mon propos en tant que psychanalyste se double ainsi d’une démarche citoyenne où, prenant la mesure des problématiques relationnelles intrafamiliales et transgénérationnelles de notre temps, je souhaite m’adresser à travers cet ouvrage à tous les parents, éducateurs et accompagnants de vie de nos enfants. Ceci, afin que soit porté un regard en profondeur, non édulcoré, sur les racines encore archaïques de certains de nos comportements. » (p.12)
Les actes liés à l’inceste font régulièrement la une des médias. Mais qu’en est-il de l’incestuel ?
« Ce terme désigne des situations, gestes, regards, incestueux au niveau de la charge tant émotionnelle, énergétique, qu’affective qu’ils déploient dans la relation entre adultes et enfants de la même famille. Cela, sans qu’ils soient considérés comme interdits juridiquement ni même codifiés.
Il s’agit de pratiques beaucoup plus floues, difficiles à nommer comme perturbantes et à quantifier dans leurs impacts sur l’enfant. Mais, elles viennent instaurer une ambiance délétère car incestueuse dans la vie familiale quotidienne. Or, si l’inceste est souvent nié ou occulté en amont de sa révélation, il constitue un passage à l’acte objectivement repérable et juridiquement condamné. » (p.11)
Le parent maltraitant défend férocement son statut :
« En ce qui concerne le parent maltraitant, il tente et parvient à mon sens à garder l’ascendant sur son enfant. Il défend férocement son statut afin de ne pas être réellement mis en danger par le statut de persécuteur qu’il a lui-même projeté sur celui-ci. Le fait de maltraiter son enfant lui permet de garder du pouvoir sur lui et de ne pas perdre son statut de parent.
Ainsi, l’enfant est certes perçu par ses parents comme un ennemi au niveau conjugal, mais il peut le ressentir et même le penser en partie consciemment. Ce qui expliquerait peut-être que ces enfants éprouvent un attachement souvent profond à leurs parents parallèlement à leur crainte. » (p58/59)
La mère ramenée à une plus juste place :
« Concernant l’image de la mère, il me paraît nécessaire d’aller plus loin. Car, si elle ne peut plus être totalement idéalisée à notre époque, concernant en particulier la question des abus sexuels, elle n’a pas encore été ramenée à sa juste place au même titre que celle des hommes. […]
Mais qu’en est-il de la femme en tant que mère, et de quelle manière s’y prendrait-elle alors ? Car une mère peut violer, sans procéder de la même manière qu’un homme, mais selon les attributs de son propre sexe, féminin ; elle capture, elle caresse trop, ça déborde, dans la durée, ça dérape, ça se glisse, partout sur le corps, dans un air de rien qui empêche ou dénie toute tentative de protestation comme de protection.
A l’instar de la figure de la Grande Mère de mort, elle englobe, happe, dévore et emprisonne. » (p.89)
Le refus d’assumer la fonction parentale dans son entièreté :
« […] assumer de dire non, de s’opposer à l’enfant lorsque c’est nécessaire alors que c’est tellement plus confortable de dire oui. Se désigner soi-même comme étant maman et non devenue mère participe d’une tendance actuelle sociétale inconsciente. Celle de refus d’assumer la fonction parentale dans son entièreté, pour vouloir n’en vivre que la partie gratifiante de partenaire privilégié et unique de plaisirs partagés.
Cela entraîne une forme d’arasement de la différence de génération entre l’adulte et l’enfant, un déplacement du statut de l’enfant qui s’en retrouve moins éduqué mais sensé tout comprendre. L’éducation donnée n’est alors plus articulée à une éthique fondamentale mais orientée vers un but inatteignable de perfection, d’amour réciproque et sans faille. Elle dérive vers une représentation narcissique de soi-même au risque d’un burn-out parental malheureusement de plus en plus fréquent. » (p.145)
L’auteure établit un lien entre l’inceste et l’anorexie. Elle remarque que :
« Dans les familles où une jeune fille développe une anorexie mentale, on peut observer deux mouvements pulsionnels opposés, éprouvés inconsciemment par la mère envers sa fille et rendant leur relation si problématique.
Le premier est un besoin fusionnel insuffisamment assouvi dans la petite enfance de la mère et projeté sur son enfant nouveau-né. Ce besoin va pousser la mère à demander à sa fille de combler ce manque, en attendant d’elle qu’elle se montre conforme à ses désirs, à l’image qu’elle se fait d’une relation mère-fille idéale; sa fille devra être sage, obéissante, performante mais discrète et surtout ne pas faire de vagues : bref, une enfant parfaite.
Le deuxième mouvement est issu de la peur de la rivalité à venir entre elles deux, fantasmée par la mère comme meurtrière, et il est le plus souvent tout à fait inconscient. Or, il est essentiel qu’il soit mis en lumière car il constitue le nœud de la problématique de la mère dans la relation avec sa fille et le déclencheur du conflit intérieur de la fille. » (p.134)
Le symptôme anorexique, une ultime défense :
« Le symptôme anorexique peut ainsi se lire comme une ultime défense: maintenir à distance la terreur inconsciente maternelle d’un passage à l’acte réellement incestueux entre fille et père, commandé par son désir.
Seule la désérotisation à l’extrême du corps de la jeune fille peut alors – du fait de son aspect décharné – empêcher que le regard masculin, en particulier paternel, se montre dangereusement désirant. En se rendant squelettique, le comportement de la personne anorexique peut assurer au groupe familial dans son ensemble une barrière efficace contre une sexualité réellement incestueuse. » (p.139)
Ève Pilyser élargit la vision du complexe d’Œdipe :
« C’est une vision élargie, à travers l’entièreté du mythe et du complexe d’Œdipe, qui est explorée ici. Dans cette relecture, j’interroge le complexe œdipien parental à l’œuvre dans certaines configurations familiales où il se projette sur l’enfant, produisant une inversion de l’ordre des générations. Cet enfant devient alors inconsciemment aux yeux de ses parents un enfant terrifiant, support fantasmatique de base aux comportements de maltraitance, y compris incestueux, mais également de démission devant la charge éducative envers l’enfant réel. » (p.261)
Ève Pilyser
Ève Pilyser est psychologue clinicienne, psychothérapeute et psychanalyste jungienne, membre de la SFPA. Elle travaille auprès d’enfants et de leurs familles mais également avec des adultes et des adolescents. Elle a écrit de nombreux articles dans les Cahiers jungiens de psychanalyse.