Jung, un voyage vers soi de Frédéric Lenoir : enfin un livre à grande diffusion et destiné à un large public ! Reçu dans des émissions très écoutées, fort de sa notoriété, l’auteur présente la vie et l’œuvre de Jung.
Editions Albin Michel – 13,9 x 20,5 x 2,7 cm – 336 pages
D’emblée Frédéric Lenoir indique que Spinoza et Jung sont :
« les deux penseurs modernes qui m’ont le plus marqué et qui me semblent avoir été le plus loin dans la compréhension de l’être humain et du sens de son existence ». (p.7)
Il déplore que Jung :
« reste encore méconnu du grand public, surtout en France, alors même que ses idées imprègnent des pans entiers de notre culture. » (p.8)
et il ajoute :
« Jung est ainsi pour moi le premier penseur de la postmodernité : il ne récuse pas les vecteurs fondamentaux de la modernité – la raison critique, la globalisation et l’avènement de l’individu -, mais il montre les limites de la raison, les ambiguïtés des progrès technologiques, l’impasse de l’individualisme.
Il est à la fois un témoin et un penseur de la quête de sens contemporaine, qu’il a aussi en grande partie inspirée par ses écrits sur les philosophies orientales, l’ésotérisme et les courants mystiques, le lien entre science et spiritualité, le langage symbolique, le dialogue du conscient et de l’inconscient, les phénomènes paranormaux, l’exploration des confins entre la vie et la mort, la conjonction des contraires ou des polarités. » (p.10/11)
Une approche intellectuelle
La première moitié de son ouvrage est une « biographie intellectuelle (p.7) » qui reprend et relie un très grand nombre de citations de Jung. La deuxième partie est consacrée à l’œuvre de Jung revisitée par Frédéric Lenoir.
Ce livre permet aux néophytes de découvrir Jung et de se faire une idée de la richesse de son parcours et de son œuvre. Elle donne au plus audacieux accès aux premières pistes. Ils peuvent ainsi explorer leur être intérieur et avancer dans la quête. Pour les autres, cet ouvrage élargira leur horizon intellectuel.
Les « jungiens avertis » auront sous les yeux de nombreuses citations qu’ils connaissent déjà en majorité. Elles sont autant d’entrées possibles les invitant à puiser à la source dans les différents ouvrages à leur disposition. Ils ne seront pas complètement satisfaits par les explications de Frédéric Lenoir, destinées en premier lieu à un large public.
Bien-être et psychologie positive
A plusieurs reprises dans son livre, mais également dans ses interventions médiatiques, Frédéric Lenoir indique que Jung est l’une des personnes dont se réclament les différents courants reliés au bien-être et à la psychologie positive. Pas si sûr que Jung aurait souscrit à ces courants-là. Il connaissait trop bien les méandres de l’âme et savait mieux que quiconque combien les contraires sont proches.
Frédéric Lenoir s’écarte des courants liés à la psychiatrie et à la psychothérapie. Il s’adresse en premier lieu aux personnes attentives à la spiritualité et en quête d’une meilleure compréhension du monde d’aujourd’hui.
Cette approche positive ne doit pas nous faire oublier que nombreuses sont les personnes atteintes de troubles mentaux difficiles à vivre. Les psychiatres et les psychothérapeutes en témoignent largement, en particulier ceux qui se réclament d’une filiation avec le psychiatre zurichois.
Comme Wolfgang Pauli l’avait annoncé dans les années 1950 Frédéric Lenoir s’inscrit dans un élargissement du champ jungien :
« les idées concernant l’inconscient ne vont pas poursuivre leur développement dans le seul cadre de leur application thérapeutique, mais qu’elles connaîtront une extension décisive par insertion dans le courant général de la science des phénomènes de la vie. »
W. Pauli, Physique moderne et Philosophie, Albin Michel (p.198)
Jung revisité par Frédéric Lenoir
Frédéric Lenoir, confronté à la densité de l’œuvre jungienne, souligne combien il est difficile « de l’exposer de façon linéaire, au fil d’un plan présentant une continuité (p.207). » A son tour il propose un schéma autour du processus d’individuation qui figure à la page 206 :
L’auteur revient plusieurs fois sur le chemin qui conduit à l’individuation :
« il s’agit de passer de la persona au moi. Une fois le moi bien défini et intégré par la psyché, il est possible d’apprivoiser son ombre, d’intégrer son anima et son animus, puis de réconcilier les opposés afin d’accomplir la réalisation du Soi. » (p.271)
Ces termes sont ceux de Frédéric Lenoir et bon nombre de jungiens ne s’y retrouveront pas. Certes, l’image que l’on donne à l’autre doit être reconnue mais la persona continue d’exister et elle est même nécessaire quoique nous fassions.
Apprivoiser son ombre est une belle formulation mais l’ombre dépasse très largement ce simple vocable. Elle ne se laisse pas vraiment apprivoiser.
Intégrer son anima et son animus, oui en partie, car l’anima ou l’animus sont autonomes et seulement intégrable partiellement.
A propos de l’inconscient l’auteur indique :
« tandis que Freud le conçoit comme une sorte de cave, où reposeraient dans la pénombre tous nos désirs refoulés, Jung le perçoit comme un grenier où filtre une douce lumière, celle de nos aspirations vers le sacré. » (p.57)
Rappelons que l’inconscient au sens où le définit Jung s’étend également à « la partie cave » et comprend tous les éléments qui s’opposent aux aspirations vers le sacré.
Frédéric Lenoir distingue trois phases qui conduisent à l’individuation :
« Trois grandes phases sont à identifier. Dans un premier temps, on voit s’établir un élargissement de la conscience car plusieurs contenus inconscients deviennent conscients. Dans un deuxième temps, l’influence dominante et excessive de l’inconscient sur le conscient perd peu à peu de sa force. Enfin, tous ces éléments combinés permettent une modification de la personnalité. Le processus d’individuation est ainsi réalisé. »(p.218)
Selon Jung, le processus d’individuation est toujours en cours de réalisation.
A propos du rêve Frédéric Lenoir précise que :
« Le rêve n’est pas le fruit, comme d’autres données de la conscience, de la continuité logique des événements de la vie, mais le résidu d’une activité psychique s’exerçant durant le sommeil. » (p.250)
Toutes les citations sur lesquelles l’auteur s’appuie dans ce paragraphe vont dans le sens d’éléments précieux et indispensables au bon déroulement du processus d’individuation. Il est cependant étonnant de voir le rêve traité de « résidu ». En effet, utilisé par d’autres courants de pensée, il a ici une connotation négative comme si le rêve était vu « du sommet » de notre conscience diurne.
Jung et le christianisme
Frédéric Lenoir est reconnu pour sa connaissance étendue du monde des religions. A propos de Jung et du christianisme, il relève que :
« Jung a davantage cherché à réinventer le christianisme qu’à l’enterrer; il a ouvert une porte aux déçus des religions institutionnelles plutôt qu’il n’a été volontairement le fossoyeur de ces dernières. »(p.128)
Il met l’accent sur les interrogations de Jung :
« sur la dimension consciente et inconsciente de Dieu, qui a besoin de s’incarner dans l’âme humaine pour s’objectiver. Autrement dit, Dieu a créé l’humanité pour devenir pleinement conscient en elle. Cette théorie suscita un véritable tollé chez les théologiens, tant protestants que catholiques, qui qualifièrent Jung avec ironie de « psychiatre de Dieu ». Si on n’est pas, en effet, obligé de suivre le médecin suisse sur le terrain miné de la théologie, reste que son interprétation psychique et symbolique du « mythe chrétien » et du problème que pose son explication de la question du mal me semble digne d’intérêt.
En voulant rendre plus présentable et fréquentable la figure d’un Dieu où n’existe que le bien, la théologie chrétienne a finalement laissé de côté la problématique du mal dans son caractère le plus abrupt. Pour Jung, la figure d’un Dieu paradoxal est plus crédible que celle, aimable et univoque, d’un « bon Dieu », qui ne rend pas compte de la réalité complexe du monde et de l’âme humaine… » (p.196)
Jung et l’alchimie
Jung a longuement étudié l’alchimie, Frédéric Lenoir revient sur cette période où Jung :
« se lance alors dans une immense entreprise de déchiffrage de ces textes en latin, auxquels, il le reconnaît lui-même, il ne comprenait rien au début. Il lui faut dix ans de travail acharné pour pénétrer la pensée alchimique européenne du Moyen Âge et de la Renaissance. Il découvre ainsi le chaînon historique qui lui manquait entre la pensée gnostique de l’Antiquité et sa propre psychologie des profondeurs. (p.120)
[…] L’étude approfondie des traités d’alchimie européens ne fait que confirmer Jung dans son intuition : les différentes opérations alchimiques sur la matière – l’œuvre au noir, au blanc et au rouge – lui apparaissent comme des étapes et des symboles profonds du processus d’individuation, c’est-à-dire des phénomènes successifs de transmutation de l’esprit pour parvenir jusqu’à l’union des contraires – le masculin et le féminin, l’esprit et la matière, le conscient et l’inconscient -, que les alchimistes nomment «noces alchimiques» et Jung «réalisation du Soi». » (p.122)
Ce livre se vendra à des milliers d’exemplaires et provoquera, nous l’espérons, un intérêt croissant du public pour l’œuvre de Jung. Des termes connus par un très grand nombre de personnes, sans qu’ils soient nécessairement reliés à leur auteur, retrouveront ainsi leur origine et leur sens premier.
A noter la présence d’un cahier photo de 8 pages qui illustre l’ensemble. Une erreur s’est glissée dans la légende de l’une d’elles où il est indiqué « Carl Gustav Jung avec sa femme Emma, dans les années 1950… ». Il ne s’agit pas de sa femme Emma mais d’une personne inconnue.
Décembre 2021