- Qui sont les acteurs qui ont participé à l’essor de la psychologie jungienne en France ?
- Comment, au fil des décennies, C.G. Jung a t’il été perçu en France ?
- Quelles ont été les incidences dans les champs de la psychologie, de la psychiatrie, de la philosophie, de la théologie, des arts et des lettres ?
Florent Serina propose des réponses à ces questions dans son étude C.G. Jung en France sous-titrée Rencontres, passions et controverses.
Éditions Les Belles Lettres – 16 x 24 x 3 cm – 542 pages
Florent Serina a présenté en 2017 une thèse à l’Université de Lausanne : Carl Gustav Jung en France au XXe siècle. Le présent ouvrage reprend les éléments de son étude.
L’auteur précise d’emblée :
« Tout particulièrement en France, où depuis plusieurs décennies, Jung, ou plutôt les représentations qu’on s’en est fait, ont à l’évidence laissé nombre de lecteurs perplexes, suspicieux ou franchement agressifs, tandis que d’autres au contraire s’en font inlassablement les défenseurs inconditionnels. » p.15
Patiemment, au fil des pages, s’appuyant sur de nombreux exemples, Florent Serina nous convie à la découverte de celles et de ceux qui ont fortement contribué à la diffusion de la pensée jungienne en France, de même qu’à nombre de ses détracteurs. Même si d’autres acteurs du monde francophone sont évoqués, en particulier suisses romands, le cœur de cette étude est bien la France, et plus particulièrement les lieux où sont regroupés la plupart d’entre eux : Paris et Strasbourg.
L’édition française des œuvres de Jung
L’édition des œuvres de Jung traduites en français a suivi plusieurs phases. C’est en 1928 qu’apparaît le premier ouvrage de C.G. Jung en langue française, L’inconscient dans la vie psychique normale et anormale, ouvrage repris en 1951 sous le titre de Psychologie de l’inconscient.
Florent Serina souligne le rôle essentiel d’Yves Le Lay (1888-1965) dans la première série de traductions et s’interroge sur sa disparition des mémoires, alors qu’il avait déjà assuré la première traduction du premier ouvrage de Freud en langue française, et l’un des plus populaires, les Cinq leçons sur la psychanalyse. Une juste reconnaissance est rendue par l’auteur à « ce germaniste et philosophe que l’on peut considérer comme avant-gardiste ». Fidèle aux textes de Jung, Yves Le Lay « peut aisément être tenu comme littéraliste ».
L’auteur souligne combien la publication des différents ouvrages en langue française n’est pas homogène dans le temps. Elle est largement influencée par les traducteurs successifs qui ont des approches bien différentes, les plus connus d’entre eux sont Roland Cahen et Étienne Perrot.
Au fil des pages
Pour nous tenir au plus près des sujets abordés, nous reprenons ci-dessous les principales entrées de ce livre.
Première partie : Au début du siècle nouveau (1902-1918)
Premiers échos, premières publications :
1. Le parrainage de Théodore Flournoy
2. Associations d’idées familiales (1907)
3. « Une machine à découvrir le mensonge » ?
Oppositions et néophilie (1907‑1913)
1. Le dédain souverain du professeur Janet
2. Une « petite chose » pour les Français
3. « Il n’y a là pas de moelle »
4. La riposte de Pierre Janet (Londres, août 1913)
Le « moment » romand de la psychologie analytique (1912‑1918)
1. Une complicité plus étroite
2. Le schisme vienno-zurichois vu depuis Genève
3. « Contribution à l’étude des types psychologiques » (1913)
4. Les réunions de Florissant, ou l’amorce d’une alliance genevo-zurichoise
5. « La structure de l’inconscient » (1916)
6. Henri Flournoy, ou la trahison du fils
Deuxième partie : L’entre-deux-guerres
Traduire et éditer C. G. Jung dans l’entre-deux-guerres
1. Emil Medtner, l’homme de l’ombre
2. En quête d’une caution prestigieuse : une préface d’Henri Bergson ?
3. Yves Le Lay, la cheville ouvrière
4. La première grande vague de traductions
5. Des traductions trop littérales ?
Situation de la psychologie analytique dans le champ des sciences du psychisme (1918‑1939)
1. Un intérêt restreint aux études diagnostiques et psychiatriques
2. Des psychanalystes « suspects » de jungisme
L’éclosion d’un mouvement jungien autochtone
1. Le Gros Caillou, ou la naissance d’un jungisme parisien « par en bas »
2. Les premières « Jung-Frauen » francophones
C. G. Jung dans la psychologie syncrétique de Charles Baudouin
1. De la suggestion à la psychanalyse
2. Une bienveillance critique
3. Le temps de l’approfondissement
4. Une fidèle amitié
5. Pour une psychanalyse pacifiée
Des théologiens divisés
1. Le pasteur Berguer, exégète psychanalytique de la vie de Jésus
2. L’abbé Journet, prédicateur d’une psychanalyse moralisée
3. Une première vague de réprobation catholique… 136
4. L’amorce d’un dialogue avec les protestants (Strasbourg, mai 1932)
C. G. Jung au prisme des arts et des lettres
1. Rencontres avec le psychologue de Küsnacht
2. Un modèle pour des personnages de fiction
3. Christian Zervos, avocat de Picasso contre le docteur Jung
André Breton, entre fascination, équivoque et dénégation
1. Une répulsion tardive
2. Réelles affinités ou fausse parenté ?
3. Une « rencontre manquée » ? Hasard objectif et synchronicité
4. Une tentation jungienne ?
5. Jeter Jung aux flammes : Foyers d’incendie de Nicolas Calas
6. Un revirement inavouable ?
Une visite à ses lecteurs parisiens
1. Dans le salon de Daniel Halévy
2. « L’hypothèse de l’inconscient collectif »
C. G. Jung dans l’« anthropologie complète » de Gaston Bachelard
1. L’imagination comme terrain de rencontre
2. Des échanges ténus
3. Une innutrition continue
4. Un intérêt commun pour l’alchimie
5. De la psychanalyse à la phénoménologie
Troisième partie : De la libération aux années 1960
Roland Cahen, « ambassadeur en chef » du jungisme français
1. Un traducteur « par nécessité »
2. Trouver « un seul et unique éditeur et de renom » : la deuxième vague de traductions
3. Le choix de l’adaptation
4. Tentation de privatisation et mise à l’écart
Vers la fondation d’une Société française de psychologie analytique
1. Du Gros Caillou au Groupe d’études Jung
2. Des reconnaissances inégales
3. Du Carmel à la psychothérapie : Élie Georges Humbert
4. L’émergence d’une nouvelle génération de praticiens
5. Genèse de la Société française de psychologie analytique
Situation de la psychologie analytique dans le champ des sciences du psychisme (1945‑1970)
1. Jean Piaget : une lecture « double »
2. Robert Desoille, ou l’imagination active dévoilée
3. Accommoder le jungisme au dogme catholique : Psyché et Maryse Choisy
4. René Laforgue et l’échec d’une section française de la Société internationale de psychothérapie
5. Une visite de Françoise Dolto à Küsnacht
6. La psychanalyse française : de l’éclectisme à l’orthodoxie
Jung selon Lacan, ou l’affirmation d’une via negationis en psychanalyse
1. Jung dans les premiers travaux de Lacan
2. Désencombrer la psychanalyse de ses « aberrations »
3. Détourner les catholiques de l’« hérésie » jungienne
4. Investir et dominer des espaces occupés par Jung ?
5. Des confidences de « la bouche » de Jung ?
Jung et les orientalistes, ou les impérities métaphysiques de la psychologie analytique
1. L’improbation des traditionalistes
2. Louis Massignon, l’ami et compagnon d’Eranos
3. Henry Corbin, de la ferveur à la distanciation
Un dialogue épineux avec les théologiens
1. Pierre Teilhard de Chardin, un lecteur occasionnel ?
2. Le père Bruno, inlassable promoteur d’un dialogue avec le monde catholique
3. De Jung à Lacan, en passant par Eranos : le père Louis Beirnaert
4. Une confuse et dangereuse gnose
Entre fiction et réalité, ou de quelques rencontres artistiques et littéraires
1. L’énigme Cocteau
2. L’alibi douteux de Georges Simenon
3. Georges Remi face à son « démon de la pureté »
Quatrième partie : Des années 1960 aux années 1980
Étienne Perrot, traducteur et panégyriste de l’alchimie jungienne
1. Sur le chemin de l’alchimie spirituelle
2. De la Fontaine de Pierre aux éditions Albin Michel
3. Un « théologien » de la traduction
4. Héraut et « continuateur » de C. G. Jung
Une dette non avouée ? Paradoxes et approximations de Claude Lévi-Strauss
1. Une hypothétique lecture de jeunesse
2. Un exil propice à un approfondissement ?
3. Une ombre embarrassante du structuralisme
4. Marcel Granet, le « chaînon manquant »
5. Une discrète remise en question
Henri Ey sur la voie d’une relecture organo-dynamique de l’originaire jungien
1. Un tropisme zurichois
2. Rencontre(s)
3. Un voisinage involontaire ?
4. Une relecture ellenbergienne ?
5. Prolégomènes à un « néo-jungisme »
Gilles Deleuze avec C. G. Jung ?
1. Un lecteur précoce ?
2. Une sensibilité manifeste
3. Un recours fréquent mais implicite
4. De L’Anti-Œdipe à Mille plateaux
Gilbert Durand, l’« irréductible »
1. Une lecture bachelardienne de l’archétype
2. Rehausser la valeur du « l’empiriste de Küsnacht »
3. Vers une sociologie des profondeurs
4. Une fidélité indéfectible
Jung et les historiens, ou la solitude d’Alphonse Dupront
1. Un legs de Paul Alphandéry ?
2. Rencontre autour d’un projet d’hommage
3. Un jungisme diffus
4. Une voie sans issue ?
Une conclusion, la liste des fonds d’archives consultés, une chronologie de 1875 à 2011, des notes conséquentes (48 pages), un index et une table des matières complètent cet ouvrage.
Bien que listées à la page 463, nous espérons que les 17 photos (en majorité inédites) seront mises à disposition des lecteurs car elles ne figurent pas dans l’ouvrage. Elles permettraient au lecteur de voir Yves Le Lay et bien d’autres acteurs peu connus du mouvement jungien en France.
Merci à Florent Serina d’avoir mis à la disposition du public son important travail de recherche !
Florent Serina
Florent Serina est historien, docteur ès lettres de l’Université de Lausanne où il enseigne actuellement l’histoire de la psychologie, et chercheur associé à l’Institut des Humanités en Médecine. Il consacre l’essentiel de ses recherches à l’histoire sociale, culturelle et politique des sciences et des savoirs sur le psychisme en France aux XIXe et XXe siècles.