Ici nous rencontrons la défiance des deux rêveurs envers la femme et tout ce qui concerne les forces primitives de la Nature.
Double rejet de l’élément féminin
Pourquoi, au départ, ces deux rêveurs rejettent ils avec tant de force l’élément féminin ?
Nous sommes arrivés à la conclusion que leur peur est due à l’appartenance du féminin au pôle du sentiment, de l’amour, de la vie (éros). Le masculin, lui, tend vers la raison, la pensé, la parole (logos) . Leur refus de la féminité est issu du conditionnement opéré par une civilisation où le logos est idolâtré, et où il y a une mise à distance de l’éros, de l’amour.
La féminité est considérée comme passive et c’est la raison pour laquelle le Rêveur refuse les pièces d’or qui lui sont offertes par un représentant de l’inconscient. (cf. rêve 18,1) En effet, du point de vue occidental, recevoir c’est être passif, féminin. Or, le Moi conscient veut conserver le contrôle, et on ne peut contrôler que si on est actif.
Le contrôle se situe dans une perspective masculine qui est aussi celle du logos. Contrôler c’est pouvoir gérer les choses, maîtriser le sens, mettre à distance. Le logos est tout le contraire de la fonction érotique qui cherche le contact, la relation. De plus, on ne sait pas jusqu’où un sentiment peut conduire… et la féminité c’est aussi le sentiment.
Cette peur de la féminité, ce désir de garder toujours le contrôle, s’accompagnent d’un manque de confiance en autrui, et en particulier envers la femme.
Pourquoi, finalement, cette défiance envers la femme ? On peut répondre tout simplement parce qu’elle n’est pas un homme ! Ce n’est pas un semblable c’est un Autre. Comme nous l’avons vu, cela explique que la Rêveuse refuse sa féminité, et veuille la remplacer par une personnalité masculine plus acceptable.
Le Rêveur, lui, refuse sa partie féminine qui est synonyme de perte d’un logos particulièrement puissant. N’oublions pas qu’il est considéré comme un génie. Ce refus de tout ce qui est différent, non conforme, renvoie à la peur de l’inconscient qui, selon la thèse de Jung, est féminin.
En effet, l’inconscient est le lieu de ce qui échappe à la maîtrise du conscient qui ne peut qu’enregistrer passivement ses dérangeantes manifestations. C’est le domaine de l’irrationnel, de tout ce qui échappe à la raison et au mental.
Le sentiment, l’émotionnel, l’intuition, étant dévalorisés il est naturel que des situations conflictuelles allant jusqu’à la guerre soient proposés par des récits décrivant une sorte d’état des lieux de la psyché des deux rêveurs.
Conflit entre intellect et nature
Le conflit existe aussi, chez les deux sujets, entre l’intellect et des forces primitives et animales.
L’intellect est représenté chez le Rêveur par l’homme à la barbe en pointe. Il apparait plusieurs fois dans la série sous la forme d’un employé, ou d’un sauveur.
Chez la Rêveuse, la lourdeur de l’intellect est symbolisée par la quantité de sacs, bagages et livres qui apparaissent dans sa série. Il faut y ajouter les allusions à des lois, rangements, ordre et règles mettant en évidence qu’elle aspire à une organisation rationnelle.
Les forces primitives se manifestent dans des rêves comme le rêve 22 où le Rêveur est menacé par un anthropoïde. On note aussi la présence d’animaux tels que : serpents, éléphant ou taureau.
Rêve no 22 : l'afficher
Les animaux, en particulier les chats et les chiens, qui représentent l’instinct, sont pareillement nombreux chez la rêveuse. On y trouve, évidemment, le serpent, très présent dans toutes les manifestations oniriques. Inévitablement, il y a un moment où un rêveur voit apparaître un serpent dans ses songes.
Un conflit implique des armes et des soldats. Pour ce qui est des armes, le Rêveur se contente de fusils. Les songes de la Rêveuse sont plus violents. On y trouve de nombreuses descriptions et utilisations, souvent cruelles, de fusils, épées, sabre, glaive, revolver, couteaux, flèches et même une tronçonneuse.
Les soldats sont présents dans les deux séries mais le conflit ne tourne à la guerre véritable que chez le Rêveur. Il se manifeste par des songes violents mettant en scène les guerres sauvages entre deux peuples ou le combat entre des sauvages, au cours duquel des atrocités bestiales sont commises. Cette violence s’apaise au rêve 45.
Rêve no 45 : l'afficher
Chez la Rêveuse, il s’agit plutôt de combats individuels, signes de relations conflictuelles entre le masculin et le féminin, ou de tortures, infligées à des hommes faibles, et suscitées par l’animus négatif. Les soldats font partie, pour elle, d’un arrière plan menaçant, ou signifient qu’il ne faut pas oublier l’existence d’un ordre, au sens où l’entend Jung. Cet ordre peut, par exemple, être représenté par des gendarmes (cf. rêves 11 et 15)
Rêve no 11 : l'afficher
Rêve no 15 : l'afficher
En dépit des différences d’exposition, il est incontestable que des opposés s’affrontent au sein de la psyché des rêveurs.
Nous pensons que, chez l’un comme chez l’autre, il y a un combat entre le Moi et l’inconscient. Ce combat découle de l’affrontement entre des forces masculines et féminines, entre logos et éros.
À la suite de notre observation de ces séries de rêves, nous avons été conduits à penser que ce thème de l’affrontement entre le masculin et le féminin se poursuit à travers tous les récits, chez le Rêveur comme chez la Rêveuse. Il existe aussi de fortes chances de le retrouver dans le domaine religieux.