Le terme représentation, la complexité et la richesse de ses contenus. Le RE d’Edgar Morin. Les rêves comme représentation.
Du représentable à l’irreprésentable
Le terme représentation se montre à nous dans la complexité de ses contenus et, quand nous l’employons, il est riche, non seulement de la signification que nous lui donnons, mais de tous les possibles avec lesquels il est en relation.
Avant de parler du sens de ce mot, allons à la limite pour évoquer son pôle opposé : le non-sens.
Tout au bout de la représentation, il y a l’irreprésentable, une région inaccessible à notre entendement. C’est le lieu de l’Absolument Autre.
L’irreprésentable ne peut devenir présent car il appartient au monde de l’indifférencié, celui où on ne peut pas se présenter à l’autre. Il ne possède aucune des qualités telles que discrimination, communauté d’agencement structurel, référence au connu, qui permettrait une émergence identifiable par la conscience.
La richesse des sens du mot représentation
De l’autre côté il y a le sens, ou plutôt les sens, véhiculés par le vocable.
Le premier que nous retiendrons est d’origine juridique et diplomatique. Il s’agit des modalités substitutives destinées à remplacer celui qui est dans l’impossibilité de se représenter lui-même.
Le représentant, agent de la représentation, sert de lien entre celui qui ne peut se rendre présent et celui avec lequel la communication doit s’établir. Pour que puisse être compris cet Autre, ne pouvant se présenter lui-même pour cause d’altérité excessive, il va falloir trouver des moyens de traduire son discours.
Celui qui parle de contrées étranges en un langage encore plus étrange doit être traduit en un langage adapté aux possibilités cognitives qui font la spécificité de l’esprit humain. Or, ces possibilités se limitent à une reconnaissance d’éléments déjà connus, même s’ils ne font pas partie de notre mémoire consciente.
Le RE d’Edgar Morin
Dans les textes que nous publions, nous écrivons souvent le mot représentation avec un RE suivi de présentation. Ceci se veut un hommage à Edgar MORIN qui justifie ce RE dans le tome 2 de La méthode (p.333 à 346). Nous lui devons beaucoup dans la manière de penser la représentation car la RE présentation est un des piliers de notre recherche sur les séries de rêves.
Le RE d’Edgar Morin est radical conceptuel auquel nous attribuons un sens premier dans toute approche de l’idée de représentation.
Le RE s’enracine, et enracine les termes auxquels il donne son impulsion, dans un modèle antérieur de structures et d’événements qui sont la trame d’une compréhension, d’un acquis, sur lequel l’information peut s’inscrire.
Les RE sont nombreux
Re-produire, re-mémorer, re-connaître, re-voir, re-commencer, re-organiser, tous ces vocables sont potentiellement présents dans une re-présentation dont le socle est un donné. En vocabulaire de la biologie, cela s’appellerait une phylogenèse. On pourrait y ajouter re-faire car nous passons une bonne partie de notre vie à reproduire les mêmes actions, y compris celles qui nous sont nocives. La même chose pour re-penser. Un bon exemple, ces moments où nous tournons en rond dans notre tête, obsédés par un problème et en proie au caquetage mental .
Au moment du RE, il se produit à la fois une déperdition et une acquisition : déperdition pendant la réplication et renouvellement apporté par un sujet unique dans son ontogenèse.
Le REprésenté, présenté à nouveau, est semblable mais jamais identique. L’imitation du connu procure une base solide qui fait que tout n’est pas à réinventer à chaque Re-présentation mais il y a transformation, changement d’état, on pourrait aller jusqu’à parler d’alchimie mentale, pour une conscience habituée à exclure ce qui ne fait pas partie de son cercle cognitif.
Le besoin de pérennité d’une identité débordée par un apport appartenant au domaine de l’inconnu va contraindre cette conscience à un difficile et périlleux processus d’adaptation et de réorganisation.
La RE présentation théâtrale dans les rêves
Nous ne pouvons, pour l’instant, que rester en surface mais, quand nous descendrons dans les profondeurs de la psyché, nous serons au contact de cette altérité qui ne peut se présenter elle-même et délègue des ambassadeurs, en particulier dans les rêves.
Les rêves s’expriment par le truchement d’un autre contenu du vocable représentation : la représentation théâtrale. En effet, dans la plupart des rêves, on retrouve une certaine structure évoquant les différents actes d’une pièce de théâtre avec décor, dialogues et personnages amis ou ennemis. Les scènes peuvent être très surprenantes et défier les règles de la logique, mais les matériaux d’élaboration sont identifiés, même si le sens du discours reste confus et sans univocité.
La RE présentation action
La représentation est aussi action. Les images sont alors non seulement reconnues, décodées, mais matérialisées. Elles deviennent du présent.
Par exemple, Jung a, pendant une période de sa vie, éprouvé le besoin de dessiner les représentations oniriques et les visions qui s’imposaient sans répit à sa conscience. Il faisait de même pour celles qui lui semblaient obscures et difficiles à interpréter. C’est dans la pierre qu’il concrétisa son besoin de représentation-action en construisant la tour de Bollingen, lieu évolutif où il passa les moments les plus intenses de son existence et auquel il consacre un chapitre entier de Ma vie. On peut y lire :
“Je devais, en quelque sorte, représenter dans la pierre mes pensées les plus intimes et mon propre savoir, faire en quelque sorte une profession de foi inscrite dans la pierre.” (p.260)
Et, toujours parlant de la tour ces mots essentiels :
« La tour me donnait l’impression que je renaissais dans la pierre. Je voyais en elle une réalisation de ce qui n’était que soupçonné auparavant, une représentation de l’individuation. » (p. 252)
Il y a dans cette représentation-action une relation non passive avec la représentation. Elle se traduit par un acte personnel, un acte du Moi voulant s’emparer d’images proposées par l’inconscient pour augmenter le champ de sa conscience et le faire savoir par un acte créateur.
Pensons aux créateurs de génie qui sont des êtres capables d’aller chercher du nouveau dans les couches profondes de l’inconscient et d’agencer différemment les matériaux pour exprimer ce qui s’éloigne du RE.
Le cadeau de la représentation
Nous voulons aussi isoler le vocable “ présent ” qui, au sens de cadeau, se dresse tel un pilier au centre du mot représentation.
Nous recevons, en effet, comme un don prodigieux, le résultat des efforts et de la coopération de toutes les lignées biologiques et socio-culturelles qui nous ont précédés. Leur désir d’accession à une conscience de plus en plus vaste nous permet, aujourd’hui, d’être capables de réfléchir sur le fonctionnement de notre propre esprit. Pour cela nous disposons du langage qui est, comme il est dit dans L’arbre de la connaissance de H.R. Maturana et F.J. Varela notre“façon caractéristique d’être humain et d’être humainement actif”(p.13).
C’est grâce à toute cette évolution que nous pouvons faire émerger un monde cohérent de représentations.
Privilégier la représentation-relation
Nous avons privilégié certains sens du mot représentation parce qu’ils sous-tendent notre problématique.
Il en est d’autres, plus scientifiques ou plus philosophiques. Si nous avons fait ce choix, c’est surtout parce que ceux qui ont été mis en avant ont tous un lien avec la relation :
•Son pôle opposé l’impossibilité de la relation avec l’irreprésentable, puis le rétablissement du lien par l’intermédiaire du représentant.
•La relation avec le déjà connu dans la RE-présentation.
•Ce qui unit l’acteur et le spectateur, celui qui fait un présent et celui qui le reçoit.
•Le passage de l’immatériel au réalisé dans la matière, ce que nous appelons la représentation action qui implique aussi une relation.
Nous pensons , pour conclure, que la relation est au cœur de la représentation.
En savoir plus
Publié initialement dans le cadre d’une thèse cette page a été adaptée par Ariaga (Ariane Callot), son auteure.
Les ouvrages cités sont référencés à la page bibliographie.