Jung utilisait les mots, en particulier ceux de dialectique et de totalité, d’une manière non conventionnelle. À la fin de sa vie, il a privilégié la notion d’une totalité humaine immergée dans la grande Totalité de la vie.
La manière de Jung d’utiliser les mots
Après avoir donné un aperçu sur nos propres présupposés, nous devons aussi éclaircir les relations de Jung avec l’idée de totalité.
En effet, même si tous les possibles demeurent à l’arrière plan du sens donné aux mots, il est utile d’indiquer celui mis en évidence. Cela est d’autant plus indispensable chez un découvreur de nouveaux territoires tel que Jung qui utilise certains vocables d’une manière non conventionnelle. Pour donner un exemple des fréquents malentendus dus à une lecture très fragmentaire et à des conclusions hâtives prenons le mot dialectique.
La relation conflictuelle de Jung envers Hegel
Le terme dialectique est revêtu d’un sens philosophique et politique lourd.
L’emploi qu’en fait Jung pourrait suggérer une influence hégélienne. Il l’utilise aussi bien comme titre d’un de ses ouvrages, Dialectique du Moi et de l’inconscient, que pour donner un nom au processus de la relation entre l’analyste et l’analysant et entre l’analysant et les contenus émergeant de l’inconscient, contenus dont la compréhension est facilitée par l’analyste. C’est ainsi qu’il écrit :
« Et c’est pourquoi on est en droit d’affirmer que toute compréhension profonde de l’action psychothérapeutique conduit immanquablement à la conclusion qu’en dernière analyse, c’est à dire dans la mesure où l’individualité représente un fait irréductible, la relation médecin-patient comporte un processus dialectique. » (La guérison psychologique, p. 89.)
Or, Jung réagit assez vivement à toute allusion au sujet d’une quelconque influence de Hegel sur sa pensée, et ceci jusqu’à la fin de sa vie. C’est ainsi qu’on peut lire dans une lettre écrite deux ans avant sa mort :
“Hegel… peut être considéré comme un psychologue raté… La dialectique hégélienne, je peux le dire en toute tranquillité n’a pas exercé la moindre influence sur moi, autant que je le sache. J’ai utilisé le terme allemand Auseinandersetzung dans le sens de la langue courante. Étant un empiriste et non un penseur en philosophie, j’ai choisi des termes qui ont leur source réelle dans l’expérience.” (1959, Correspondance, tome 5, p. 112.)
Que signifie processus dialectique pour Jung ?
Pour Jung, il existe toujours une tension entre les opposés. On est confronté avec un « vis-à-vis avec lequel il faut compter” et “processus dialectique” signifie système de relation et d’interaction.
L’approche par le terme dialectique nous met sur le chemin de ce que n’est pas la totalité pour Jung :
Ce n’est ni la totalité au sens hégélien.
Ni, encore moins, la totalité au sens politique de totalitaire, concept pour lequel il a la plus profonde horreur de quelque bord que s’exerce cette forme de totalité.
Si on devait faire un reproche à Jung ce serait celui d’un certain élitisme qui lui fait penser que seul l’homme libéré de la massification et tentant de devenir un véritable être individué peut prétendre à la totalité.
De quelle totalité parlons-nous avec Jung ?
Au cours de son travail, différentes approches de la totalité sont effectuées, parfois bien plus philosophiques qu’il veut bien l’avouer. En effet, s’il privilégie une approche très pragmatique, à partir des matériaux recueillis dans sa pratique et ses lectures, s’il a pour principe de ne jamais avoir de discussion à priori sur le sens des choses, il est difficile de nier que sa pensée touche souvent à l’éthique, la métaphysique et même l’épistémologie.
La totalité dont il sera le plus souvent question, au niveau empirique réclamé par Jung, est la totalité psychique vers laquelle on peut cheminer “humainement”. Il s’agirait d’une psyché globale, au sein de laquelle les contenus conscients doivent être complétés par les contenus de l’inconscient. (c.f. Un mythe moderne p. 73).
Cette démarche idéale peut sembler utopique mais elle est potentiellement réalisable :
“Deviens celui que tu as été depuis toujours ! C’est à dire efforce toi d’atteindre à cette totalité à cet épanouissement de toi même que nous font perdre les circonstances d’une existence consciente et civilisée, à cette totalité que chacun porte potentiellement en lui même depuis toujours. » (Un mythe moderne p. 181)
Jung évoque aussi, avec beaucoup de précautions, probablement pour ne pas être surpris à philosopher, une Totalité métaphysique inconnaissable dont il semble avoir l’intuition, mais au sujet de laquelle il se refuse à affirmer quoi que ce soit, car elle relève pour lui du transcendant invérifiable. Cette Totalité, dont il eut une sorte de “vision” en 1916, et qu’il assimilait alors au Plérôme des Gnostiques, serait celle d’un Dieu unissant en lui tous les contraires avant la différenciation.
La totalité humaine dans la grande Totalité de la vie
Pendant la dernière partie de sa vie, Jung privilégia une approche de la totalité que nous aimerions faire nôtre. Il s’agit d’une totalité humaine, immergée au sein de la grande Totalité de la vie. Si on adopte cette vision, la lutte pour la prééminence entre le corps et l’esprit n’a plus de sens car l’un est intimement lié à l’autre.
Dans cette Totalité, chacun est à la fois unique par son individuation et en relation avec l’ensemble de la Nature. La totalité de la Vie, y compris celle de la vie de l’esprit, serait alors faite d’un seul et même substrat.
Les éclaircissements que nous avons cru bon de donner étaient destinés à éviter les confusions conceptuelles.
Nous allons maintenant explorer les différents niveaux de la psychologie des profondeurs.
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Publié initialement dans le cadre d’une thèse cette page a été adaptée par Ariaga (Ariane Callot), son auteure.
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