La psyché, pour Jung, s’enracine dans le biologique, la nature se déployant vers la conscience. C’est sur cette hypothèse qu’il fonde sa recherche d’une totalité psychique.
Que sous-entendait Jung quand il parlait de psyché globale ?
Un univers dont il ignorait les limites mais dont il avait tenté, de la surface aux profondeurs les plus abyssales, de déterminer les pôles et de nommer certaines stratifications.
Il s’était aussi appliqué à rechercher la nature des énergies directrices et de l’organisation de cette psyché dont il ne pouvait scientifiquement observer le fonctionnement qu’à travers le prisme déformant d’une conscience, à la fois observateur et observée.
Notre propos n’est pas de rendre compte de l’ensemble des résultats de cette exploration mais de proposer une sorte de guide de la totalité psychique telle que la concevait Jung.
Nature et psyché
Pour comprendre le modèle de la psyché jungienne, il faut se pénétrer de l’idée qu’elle s’enracine dans l’ordre biologique et que, pour Jung, toute organisation est calquée sur la vie éternelle de l’espèce ce qui explique qu’il puisse écrire dans Les racines de la conscience :
“La psyché n’est en aucune manière un chaos fait d’arbitraire et de hasard, mais une réalité objective qui est accessible à l’exploration au moyen des méthodes des sciences naturelles.”(p. 563)
Il a, en effet, toujours privilégié le domaine des sciences de la nature, choix qui peut s’expliquer par son éloignement des études et la passion de la solitude à une période difficile de son enfance. Il écrit dans Ma vie :
“La nature me semblait pleine de merveilles dans lesquelles je voulais me plonger. Chaque pierre, chaque plante, tout me semblait indescriptible. A cette époque, je me suis plongé dans la nature, je me suis glissé dans son essence, loin de tout monde humain.” (p.52)
À la recherche d’une psychologie de la totalité de l’homme
Pendant son adolescence, il approfondit de manière systématique certains problèmes philosophiques pendant son adolescence. Ces approfondissements rendent quelque peu suspect son manque d’intérêt affirmé, à l’âge adulte, pour la philosophie. Nous pensons que cela était une espèce de refoulement, comme ce fut le cas pour la poésie alors que quand on lit les Sept Sermons aux Morts on sent l’étoffe d’un vrai poète. Il chercha vainement une “psychologie qui eut considéré l’homme comme une totalité”, corps et esprit, et trouva son chemin de Damas quand il rencontra la psychiatrie car :
“En elle seule pouvaient confluer les deux fleuves de mon intérêt et se creuser leur lit en un parcours commun. Là était le champ commun de l’expérience des données biologiques et des données spirituelles que j’avais jusqu’alors cherché en vain. C’était enfin le lieu où la rencontre de la nature et de l’esprit devenait réalité … C’est le sentiment d’une “nature dédoublée”, qui me porta comme une vague magique …” (Ma vie, p. 134, 135.).
Ce cheminement en compagnie de la Nature dura jusqu’à la fin de sa vie. Même quand il se plaignait du “rétrécissement” et de la limitation de la vieillesse il disait, dans ce qui ressemblait à un soupir :
“Et pourtant, il est tant de choses qui m’emplissent : les plantes, les animaux, les nuages, le jour et la nuit et l’éternel dans l’homme. Plus je suis devenu incertain au sujet de moi-même, plus a crû en moi un sentiment de parenté avec les choses.” (Ma vie, p. 408.).
Jung chemine en osmose avec la Nature
Ce besoin, qui, chez Jung, est presque un ressenti, de construire un modèle de la psyché inspiré par la vision d’une Nature se déployant vers la conscience s’exprime ainsi dans Les racines de la conscience (p.522).
“En égard à la structure du corps, il serait surprenant que la psyché fût le seul phénomène biologique à ne pas révéler des traces évidentes de l’histoire de son développement, et il est également vraisemblable que ces signes sont précisément dans le plus étroit rapport avec le fondement instinctif.”
Suivant en cela ce qu’écrit Anthoni Stevens dans l’Œuvre-vie, on peut dire que, à partir d’une racine unique, à la manière d’un spectre lumineux de l’instinct à l’esprit, s’étend un mode de fonctionnement semblable à celui du corps humain.
Ce mode de fonctionnement s’opère“suivant les principes biologiques de l’adaptation, de l’homéostase (ou équilibre) et du développement” (p.45)
L’homéostase ou principe d’auto-régulation est une adaptation au milieu et à ses transformations permettant la conservation de l’identité grâce à un rééquilibrage compensatoire des agressions envers cette identité. Elle concerne aussi le développement engendré par l’incessant processus de transformation dû aux apports extérieurs.
La conception jungienne de la libido
Une pulsion, semblable à celle qui fait circuler le sang à travers le corps, à partir du cœur, propulse un courant psychique issu de la poussée du monde instinctuel.
A cette énergie Freud avait donné le nom de “libido”, terme que Jung a repris en supprimant son acception purement sexuelle.
En effet, tout en conservant l’importance de l’énergie sexuelle dans la libido, Jung a déterminé deux pôles entre lesquels il existe une différence de potentiel : le pôle sexuel, ou plus exactement le pôle instinctuel, et le pôle de l’esprit. C’est la tension entre ces pôles qui est à l’origine d’intensités, ou de valeurs d’ordre psychologique, qu’il appelle l’énergie psychique. Les contenus et la mesure de cette énergie sont absolument indéterminés et seule l’expérience peut en mesurer les effets au niveau des sentiments et des affects.
Qu’est l’esprit pour Jung et Marie-Louise von Franz
La détermination des pôles instinct-esprit nous conduit à penser qu’il manque un repère très utile pour comprendre les propositions de Jung au sujet de la psyché humaine : qu’entend-t-il par esprit ?
Un chapitre consacré à la définition du terme esprit (Geist ) se trouve dans les Essais sur la symbolique de l’esprit. Mais c’est Marie-Louise von Franz, la plus intime collaboratrice de Jung, qui nous donne le résumé le plus simple de ce que, pour lui, signifiait l’esprit. On peut lire dans son ouvrage : C.G. Jung, son mythe en notre temps :
“L’esprit, déclare Jung en résumé, signifie donc originellement un complexe fonctionnel vécu au stade primitif comme une présence invisible, comme un souffle. Quand survient un phénomène psychique ressenti comme appartenant à notre être propre, nous l’appelons notre propre esprit. Si par contre le phénomène psychique paraît nous être étranger, c’est à nos yeux un autre “esprit” que l’on peut considérer en définitive comme un aspect non encore intégré de l’inconscient. Cet aspect spirituel de l’inconscient possède une énergie propre ; il engendre, indépendamment des excitations sensorielles externes des images et des idées spontanées dans l’espace intérieur et les ordonne d’une manière pleine de sens. ” ( p. 98 à 101.)
Dans le champ de vision intérieur il y a des pensées, des sentiments, des réactions, impliquant des jugements de valeur qui, comme les impulsions physiques du pôle instinctuel opposé, sont souvent assez analogues chez beaucoup d’hommes. Il suffit pour s’en persuader de lire les contes, poèmes d’amour ou épopées des différents peuples qui présentent de nombreuses similitudes. “Le dynamisme qui engendre ce genre de phénomènes psychiques est ce que Jung entend par “esprit”.
C’est cet esprit que l’on voit à l’œuvre comme principe d’un mouvement de la psyché dans la production des rêves.
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Publié initialement dans le cadre d’une thèse cette page a été adaptée par Ariaga (Ariane Callot), son auteure.
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