Les relations entre les quatre fonctions psychologiques de C.G. Jung et la recherche de la fonction perdue. Le poids de la conscience collective.
La définition des fonctions par Jung
Jung entend par fonction psychologique une forme d’activité psychique qui demeure immuable et qu’il est impossible de rapporter ou de réduire à une autre fonction.
Il observe deux couples d’opposés : deux fonctions rationnelles, pensée et sentiment, et deux fonctions irrationnelles, sensation et intuition. Il ne saurait donner les raisons “a priori” de cette classification, si ce n’est par le fait que “des années d’expérience et d’observation” l’ont conduit à cette distinction.
Les fonctions sont décrites dans le détail aux pages définitions de Types psychologiques (p.426) mais n’oublions pas que la première publication en allemand de cet ouvrage remonte à 1920. Et nous avons trouvé une approche à la fois plus brève et plus inspirée dans quelques pages d’Un mythe moderne écrites à la fin de la vie de Jung.
À la page 237, Jung précise que sa réflexion n’est pas métaphysique mais conduit simplement à une formule psychologique.
On voit là cette crainte, qui, même à la fin de sa vie ne l’avait pas quitté, d’être pris pour un philosophe ou un mystique. Il n’a pas toujours réussi et nous ne pouvons nous empêcher de penser qu’il était philosophe. Ce que Jung nomme donc une formule psychologique est susceptible de décrire le processus permettant la prise de conscience d’un contenu non encore organisé par le Moi conscient, c’est à dire inconscient. Il écrit page 238 :
“En effet, tant qu’un contenu sommeille dans l’inconscient il ne possède pas de qualités discernables et participe par conséquent au non savoir général, au partout et nulle part inconscients … Mais lorsque le contenu inconscient apparaît, c’est à dire surgit dans la sphère du conscient, il est par le fait même immédiatement disjoint, disloqué, désagrégé, écartelé, fragmenté … en quoi ? En les “quatre”, en les quatre dimensions des points cardinaux et de l’esprit. C’est dire qu’un contenu ne peut devenir conscient et objet d’expérience qu’à travers le prisme ou le filtre des quatre fonctions du conscient : Il est perçu comme étant existant (fonction de sensation) ; il est reconnu et différencié (fonction de pensée) ; il se révèle acceptable, “agréable “ ou “désagréable” (fonction de sentiment) ; et finalement il est flairé, soumis à la fonction de l’intuition qui nous indiquera, comme par pressentiment, d’où il vient et où il va. Cette aura que l’intuition dispose autour des choses et par laquelle nous pressentons ne peut être ni perçue par les sens, ni pensée par l’intellect, ni appréciée par le sentiment.”
Sensation et intuition sont des “données” alors que les contenus de la pensée et du sentiment ont le caractère de “déduit” ou de “produit”.
La difficile vie en commun des couples de fonctions
Jung nous montre comment la totalité originelle éclate en couples d’opposés. Ces couples pourraient vivre en parfaite harmonie si chacune de ces fonctions jouaient leur partie, comme dans un quatuor bien réglé.
Tel n’est pas le cas, il y en a toujours un qui joue beaucoup plus fort, un autre que l’on entend à peine et deux qui suivent comme ils peuvent. Il s’agit de ce que Jung appelle la fonction principale ou fonction dominante, de la fonction inférieure qui caractérise le côté faible, ombre de la personnalité, et des deux fonctions auxiliaires.
Le rapport des forces entre les deux attitudes et les quatre fonctions peut évoluer car la typologie n’est pas figée.
La fonction principale est le résultat des exigences sociales qui font que l’enfant, puis l’individu, privilégient la fonction pour laquelle ils ont le plus d’aptitude naturelle et qui les rend plus acceptables et aimables dans la société des autres humains.
Souvent, le sujet va s’identifier à cette fonction privilégiée. Les autres fonctions restent en retrait par rapport à cette fonction, et peuvent même tomber plus ou moins dans l’inconscient. Plus l’unilatéralité de la fonction dominante est prononcée, plus les fonctions insuffisamment développées risquent de régresser vers les profondeurs de l’inconscient.
À la recherche de la fonction perdue
Ce qui reste d’énergie à la fonction inférieure va provoquer des mouvements de l’inconscient se traduisant dans les rêves et les “imaginations”. Seule une prise de conscience de ces formations imaginatives va permettre à la fonction inférieure de retrouver un mode de contact avec le conscient.
Cette recherche de la fonction perdue, du quatrième élément, est une des tâches importantes entreprises par Jung dans le commentaire de la série de rêves. Il s’agit Dans Psychologie et Alchimie des commentaires sur les Rêves de Pauli qui ont été une des grandes inspirations de ce travail et dont nous avons repris, en partie, la méthode pour les commentaires sur la série de la Rêveuse.
Voir les rêves de la série de la rêveuse
Le Moi conscient se présente au monde revêtu de la persona et avec une attitude introvertie ou extravertie. Grâce aux quatre fonctions fondamentales, il s’insère dans un système de relations. Cependant, si la persona est son premier vêtement, il doit en plus supporter une lourde chape : la conscience collective dont nous allons bientôt rencontrer l’opposé, l’inconscient collectif.
La conscience collective
La conscience collective que Jung nomme aussi la conscience collective sociale (voir Les racines de la conscience, p. 544 à 548) est le domaine des concepts généraux raisonnables et des vérités reconnues qui n’offrent aucune difficulté de compréhension et d’adhésion. Cette conscience collective refoule tout ce qui est non reconnu ou contraire à la règle générale. C’est ainsi que :
“Plus forte est la charge de la conscience collective et plus le Moi perd de son importance pratique. Il est en quelque sorte aspiré par les opinions et les tendances de la conscience collective et ainsi naît l’homme de la masse, qui toujours devient la victime d’un -isme quelconque.” (RDC,p.546)
Dans la topographie de la psyché, le Moi se situe au centre de la conscience, comme une sorte de général en chef revêtu de l’armure de la persona. Il n’est pas toujours maître chez lui et il doit supporter le poids de la conscience collective. Cependant, le moi dispose d’un pouvoir, d’une énergie créatrice, dont Jung pense qu’elle est une conquête tardive de l’humanité : la volonté. Grâce à cette énergie l’homme peut influencer le cours des événements et éprouver un sentiment de liberté.
Le Moi conscient peut donc, en réactivant un fonds de souvenirs, en se sentant différencié de son voisin par l’utilisation de sa fonction dominante, et en utilisant ses possibilités de décision, se sentir ferme et rassuré, ce qui est indispensable à l’équilibre de la psyché.
La frontière de la conscience n’est pas inviolable
À l’abri dans son cercle cognitif, le Moi oublie que la frontière avec le domaine de l’inconnu n’est pas étanche.
Il ignore qu’il est entouré par l’ensemble du champ de la conscience et l’intégralité des contenus inconscients. Il se trouve dans la position d’un sous-marin immergé dans l’océan, avec ce que cela implique d’interactions entre un domaine de l’inconscient et un domaine du conscient formant une sorte de double unité, une totalité à la fois consciente et inconsciente. Cette totalité est elle-même sous l’influence d’une organisation centrale dont le Moi est le plus souvent tout à fait inconscient.
La frontière de la conscience n’est pas inviolable. Des Autres peuvent la franchir en tant que RE-présentants d’un domaine qui, selon Jung, est celui de la profondeur.
Nous avons déjà, en cherchant à nous repérer dans le champ de la conscience, évoqué la présence sous-jacente de l’inconscient, car il est difficile de décrire un pôle sans faire allusion à son opposé.
Comment parler de la lumière si ce n’est par rapport aux ténèbres ? C’est dans l’épaisseur de cette ombre que l’on peut descendre, pour visiter des niveaux d’inconscients de plus en plus profonds et de moins en moins propres à rentrer dans le cadre de nos possibilités de représentation.