Jung s’est posé toute sa vie la question pratique de la confrontation avec l’inconscient. Il a proposé la fonction transcendante comme ouverture de la frontière conscient – inconscient et itinéraire vers l’individuation.
Importance de la fonction transcendante dans l’œuvre de Jung
Dans son ouvrage L’Âme et le Soi, Jung consacre la partie III à la fonction transcendante.
Il s’agit d’un essai de 1916, revu en 1959. Dans son avant propos, il note les limitations de cet écrit car son concept a mûri pendant plus de quarante ans. Il pense, cependant, que les réflexions de base ont résisté au temps et sont encore valables car elles cherchent à répondre à la question fondamentale : ”Comment peut-on, en pratique, se confronter avec l’inconscient ?”
Toute l’œuvre de Jung tentera de répondre à cette question que se posent indirectement les religions et les philosophies au sujet de l’inconnu à la frontière duquel viennent se briser leurs théories rationnelles.
La fonction transcendante est complexe
Pour Jung, le terme de fonction transcendante n’est pas vraiment issu du sens mathématique de variation d’une variable en fonction d’une autre et d’un lien constant sous le changement. Il n’est pas non plus rattaché à un sens purement biologique étroitement lié à une approche téléologique. Il apparaît qu’il participe des deux versants et surtout que, sous ce terme, ne se cachent ni mystère ni intention métaphysique.
Il ne s’agit pas non plus, comme il le précise dans ses Types psychologiques, d’une des quatre fonctions de base.
C’est une fonction complexe, issue de l’union des contenus conscients et inconscients, et résultant du fait que :
“l’inconscient se comporte, face à la conscience, dans un mode de compensation et de complémentarité.” (L’âme et le soi, p.151)
Le jugement ne peut se référer à du nouveau
Le caractère ferme et orienté du conscient, acquisition tardive du Moi, est le seul garant de la régularité, de l’orientation, de la durabilité, d’un processus psychique. Sans cette stabilité pas de science, pas de technique, pas de civilisation. Mais cela comporte des inconvénients : les nécessités de l’existence exigeant que le processus psychique soit aussi stable que possible, tous les événements qui semblent indésirables, parce qu’ils ne vont pas dans le sens de la direction choisie, sont exclus.
Le jugement, qui choisit une possibilité aux dépens des autres, ne peut se référer à du nouveau, puisque ce jugement procède de l’expérience acquise.
Le processus n’a pas la possibilité de s’appuyer sur des acquis issus de l’inconscient, du fait que ces contenus inconscients ne sont généralement pas accessibles à la conscience. C’est pourquoi le processus psychique orienté souffre inévitablement d’unilatéralité. En effet :
L’unilatéralité est une propriété inévitable parce que nécessaire dans le processus orienté, car orientation équivaut à unilatéralité. (L’âme et le soi,p.153)
Naturellement, il va y avoir dans l’inconscient une polarité opposée, demeurant discrète tant qu’elle n’aura pas un potentiel énergétique supérieur. Mais, si l’unilatéralité est trop importante, on va voir la force opposée faire irruption dans le conscient, et le désordre s’installer.
Ouvrir la frontière conscient-inconscient
La solution, pour Jung, est d’ouvrir la frontière conscient-inconscient et cela écrit-il :
“Ne s’obtient pas en condamnant les contenus de l’inconscient unilatéralement par une décision consciente, mais bien plutôt en reconnaissant leur sens de compensation du conscient et en le faisant entrer en ligne de compte. La tendance de l’inconscient et celle du conscient sont en fait les deux facteurs qui constituent la fonction transcendante. On l’appelle transcendante parce qu’elle permet le passage organique d’une attitude à une autre, c’est à dire sans perte de l’inconscient. » (L’âme et le soi, p.156)
On voit dans cette définition, où Jung a introduit le terme organique, combien il est essentiel que demeure l’organisation qui structure et affermit le Moi conscient.
Pour que se constitue la fonction transcendante il faut des données de l’inconscient.
Jung, dans le cadre onirique, considère la fonction transcendante comme un processus naturel, une manifestation de l’énergie générée par la tension entre les contraires. La manifestation de cette énergie trouve ensuite son expression au cours des phénomènes imaginatifs survenant au moment des rêves, des visions et des fantasmes.
Les symboles sont le carburant du mélange entre les opposés
Une fois de plus, nous nous trouvons dans un mode relationnel, puisque cette énergie est motrice des échanges entre la conscience et l’inconscient. Ces échanges s’effectuent par le truchement des symboles qui expriment le mieux possible un état de fait complexe que la conscience n’a pas encore clairement saisi. Ils vont être utilisés, comme un carburant, pour provoquer une transformation et façonner un nouveau contenu, dont la matière première est un mélange des deux opposés :
“La confrontation des positions crée une tension énergétiquesource de vie, un troisième terme qui n’est pas un produit mort-né de la logique selon le principe du “tertium non datur “mais une reprise du mouvement issue du suspens entre les opposés, une naissance vivante qui conduit à un nouveau palier, une nouvelle situation. La fonction transcendante apparaît donc comme une propriété des contraires rapprochés.”( L’âme et le soi, p. 176. )
La fonction transcendante est alors la “ base moyenne ” pense Jung dans Types psychologiques ( p.474) sur laquelle les opposés peuvent se joindre en permettant à chacun de conserver sa valeur.
Si la confrontation doit impérativement être conduite à partir du Moi autour duquel tout s’organise, il faut que s’instaure un dialogue entre deux interlocuteurs égaux en droit, et décidés à rapprocher et comparer leurs points de vue, comme cela se fait dans une représentation, au sens diplomatique et juridique.
L’analyste est le lieu de passage d’un réseau de liens
L’analyste, en tant qu’interprète du langage symbolique, peut jouer un rôle important, en étant le lieu de passage d’un réseau de liens et de ponts projectifs que Freud avait appelés le “transfert”, appellation conservée par Jung.
Il aidera le rêveur qui tournait en rond dans son malaise psychique. Il favorisera une forme de transmutation, au sens alchimique, comme le note Jung, dont nous verrons ultérieurement l’intérêt passionné pour la philosophie alchimique :
“Le secret de cette philosophie alchimique, et sa clé ignorée pendant des siècles, c’est précisément le fait, l’existence de la fonction transcendante, de la métamorphose de la personnalité, grâce au mélange et à la synthèse de ses facteurs nobles et de ses constituants grossiers, de l’alliage des fonctions différenciées et de celles qui ne le sont pas, en bref, des épousailles, dans l’être de son conscient et de son inconscient.”(Dialectique du moi et de l’inconscient, p.216.)
Au fond, l’être que nous croyons connaître le mieux, nous- mêmes, abrite un étranger et tout le but du cheminement vers la totalité est d’accueillir cet étranger pour devenir un être complet. Il faut avoir le courage d’accéder à soi-même. Il s’agit d’un processus long et difficile qui peut s’imposer tyranniquement à l’insu de celui qui le subit avec toute la force de la Nature car, pour Jung :
“Le sens et le but de ce processus sont de réaliser, dans son intégralité, avec tous ses aspects, la personnalité originellement préfigurée dans le germe embryonnaire”. (Psychologie de l’inconscient, p.205.)
C’est à la fois cette intégralité de la personnalité, et ce projet d’établir et d’épanouir la totalité potentielle originelle, que Jung a appelé le Soi. Le cheminement vers cette totalité a reçu l’appellation de “processus d’individuation ”.
Une représentation schématique
Nous avons tenté de schématiser le rôle de la fonction transcendante dans le processus d’individuation.
Important
- Les flèches grisées symbolisant le chemin vers la TOTALITÉ ne signifient pas que cette voie est linéaire et dépourvue de multiples détours.
- Les pointillés symbolisant les étapes de l’analyse des rêves ne signifient pas que chaque étape marque un progrès car cette analyse n’est pas, elle non plus, exempte de péripéties voire de régressions.
Pour conclure
Quand le “M O I” ignore ou veut ignorer les manifestations de l’inconscient, les interactions conscient-inconscient n’en ont pas moins lieu mais elles demeurent stériles.
Publié initialement dans le cadre d’une thèse cette page a été adaptée par Ariaga (Ariane Callot), son auteure.
Les ouvrages cités sont référencés à la page bibliographie.