C.G. Jung montre comment, en passant par diverses crises d’élaboration de la forme, le Rêveur aboutit à une structure d’accueil satisfaisante pour son esprit et pour l’inconscient. Il s’agit de la grande vision qu’il dit être celle de l’horloge du monde.
Le mouvement en spirale des rêves
La recherche d’un équilibre satisfaisant pour le Rêveur est trop intellectuelle. Son besoin de symétrie et d’unification doit aussi tenir compte de l’harmonie intérieure et du fait qu’il n’est pas un pur esprit pensant, mais un homme en relation avec la société humaine.
Le processus inconscient fait preuve de patience et de ténacité. Il précise, reprend son discours sous d’autres formes, réutilise des images antérieures. Par exemple, au rêve 28 nous retrouvons la fontaine centrale du rêve 13.
On constate, à nouveau, le besoin d’abstraction et de forme équilibrée. C’est le seul cadre dans lequel peut s’insérer le message de l’inconscient à un sujet aussi scientifique et structuré.
Un premier signe dissymétrique incorrect, comprenant cinq éléments, se voit remplacé par un signe comprenant huit éléments autour d’un point central. On se rapproche plus d’une appréciation correcte de la place exacte du centre dans le mandala en construction.
Le rêve 32 a une portée didactique. Il faut voir que la voie vers le point central n’est pas seulement tracée par la pensée abstraite. Elle inclut l’intégration des processus qui, depuis que la reproduction sexuée existe, sont à l’origine de la vie. Le centre est désigné comme utérus et un croquis exécuté par la femme inconnue montre comment atteindre ce lieu que l’on peut considérer comme étant le pôle opposé du principe masculin du Rêveur.
Voir les rêves de la série du rêveur
On se trouve devant une illustration de l’approche indirecte, et aussi explicative, du mouvement des rêves que Jung appelle “circumambulatio “. Il explique ce mouvement très clairement dans Psychologie et alchimie (p.41) :
“La voie vers le but est tout d’abord indiscernable et chaotique, et ce n’est que progressivement que se multiplient les indications qui précisent l’existence de ce but. Ce chemin ne va pas en ligne droite : il est apparemment cyclique. Une connaissance plus précise a montré qu’il s’élevait en spirale. Après certains intervalles, les thèmes oniriques ramènent sans cesse à des formes données qui, à leur façon, désignent un centre. … On pourrait mettre ces développements spiralés en parallèle avec le processus de croissance des plantes.”
Le fait que le centre soit indiscernable et son approche chaotique alors qu’il était déjà là, s’expliquent grâce à la théorie du noyau central de signification déjà évoquée. Les rêves ne nous parviennent pas dans ce que nous considérons comme le bon ordre.
La comparaison de Jung avec les plantes est d’autant plus justifiée que les fleurs, les arbres, les jardins apparaissent souvent dans les séries de rêves étudiées. De plus, l’arbre est, en alchimie, un symbole de la Philosophie Hermétique.
Crise et aide du vieux sage
Des opposés sont mis en évidence, au rêve 37 : la lumière et l’obscurité, le bien et le mal.
Le conflit entre les contraires fait partie des éléments constructifs d’une représentation de la totalité. Mais, pour l’instant, le mandala ne représente rien, il est vide, comme le sont la table ronde et les quatre chaises du rêve 38. Ni le cercle, ni la quaternité n’habitent encore la forme en gestation. De plus, le centre est obscur.
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La crise au sujet de l’organisation du mandala prend des allures dramatiques, au rêve 40, quand il est dit au Rêveur qu’il doit découvrir le pôle au risque de sa vie, ce que nous interprétons par : au risque de la détérioration de l’équilibre de sa psyché.
L’inconscient s’impatiente, le but avait été montré clairement, au rêve 25 :
« Il s’agit de construire un point central et de rendre la figure symétrique par réflexion en ce point. «
On ne peut faire plus clair mais il ne semble pas y avoir eu une suffisante intégration, au niveau conscient, des projets de l’inconscient.
Le message péremptoire commence enfin à être entendu. Au rêve 42, amplifié par le rêve 47, Le Rêveur reçoit l’aide du vieux sage qui lui montre l’emplacement du centre.
Nécessité de la concentration sur le centre
À l’important rêve 43, une faible lumière a un point de pénétration, que le sujet lui-même interprétera comme étant le pôle, et huit rayons partent du centre. La concentration sur ce centre doit être permanente, ce qui induit un état de tension à la limite du supportable. Il existe, en outre, un réel danger de submersion de la conscience par les forces de l’inconscient.
Jamais, jusqu’au rêve final, la pression ne se relâche, car il faut avoir assez d’énergie pour atteindre l’étoile centrale dont il est question au rêve 51. Le rêve est accompagné d’un croquis où est représentée cette étoile à huit branches déjà espérée au moment de l’impression visuelle 29.
Au rêve 52 retentit un commandement : “aux noyaux ! ” destiné, nous semble-t-il, à attirer l’attention du rêveur, en sa qualité de scientifique, sur l’importance structurelle du centre à tous les niveaux de la matière. Noyau de la cellule, noyau des fruits, noyau de l’atome et pourquoi pas rêves noyaux ?
La dernière allusion au centre, avant la Grande Vision finale, celle de l’impression visuelle 57 :
« La bague sombre, au milieu un œuf »
Cette vision offre une synthèse entre le plan structurel et le plan symbolique, preuve que le discours du rêve n’est pas univoque et se situe à plusieurs niveaux.
Il s’agit toujours du centre du cercle, mais d’un centre habité par une image, riche d’une signification universelle et philosophique : un œuf.
Cependant, le choix final ne se portera pas sur le centre symbolique. Le besoin conscient du Rêveur d’une représentation abstraite sera le plus fort. C’est un centre géométrique et vide, mais aussi lieu virtuel où peuvent se rencontrer une infinité de lignes, qui comblera son désir d’harmonie quand se produira la vision de la Grande Horloge du Monde.
Le moi est encore trop dominant
Il demeure encore quelques questions de symétrie à résoudre pour que soit mise en place une distribution spatiale équilibrée.
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Les derniers problèmes à ce sujet sont engendrés par ce que Jung appelle le mandala perturbé du rêve 51, déjà cité. Ces mandalas perturbés apparaissent de temps en temps. Ils se composent de toutes les formes qui dérivent du cercle, du carré ou de la croix régulière, de même que celles qui sont basées non sur le nombre 4 mais sur trois ou cinq.
Ce croquis du Rêveur, très harmonieux et qui, comme nous l’avons vu, contient l’étoile centrale, a le défaut de rejeter la forme symétrique du carré pour le rectangle.
Cette prédominance des horizontales sur les verticales, montre que la conscience du Moi est dominante, ce qui entraîne une perte de hauteur et de profondeur.
Le Rêveur, nous apprend Jung, continue quand même à être préoccupé par ce problème de symétrie. L’inconscient aussi qui est vraiment contrarié. Au rêve 53, le sujet est enfermé dans une pièce carrée vide sous prétexte qu’il ne veut pas payer l’impôt ! Ce que l’on peut interpréter par : il ne veut pas laisser sa part à l’enseignement des rêves.
Jung raconte dans Psychologie et alchimie, (p. 255.) que, à la suite de ce rêve, le sujet élabore six mandalas où il cherche à établir la longueur exacte des verticales.
Le rêveur accepte le projet de l’inconscient et un processus d’organisation
Tous ces efforts graphiques montrent que le Rêveur s’intéresse, maintenant, sérieusement aux messages transmis par ses rêves et qu’il coopère, à sa manière, avec l’inconscient.
Cependant, l’essentiel du travail s’effectue grâce à un processus d’organisation, dont une étude attentive de la série montre les manifestations. Notre impression personnelle est que le projet de l’inconscient inclut l’établissement d’une sorte de structure d’accueil, construite à partir de matériaux conscients acceptables pour le Rêveur :
• forme satisfaisante,
• distribution spatiale équilibrée,
• centre géométrique bien déterminé.
Son Moi conscient sera ainsi protégé des dangers de déstabilisation, ou même de dissolution, par un cadre solide, dans lequel vont pouvoir s’insérer les opposés réunis : le ternaire masculin et le quaternaire féminin.
Les conditions favorables de réception paraissent, ainsi, réunies pour l’accueil d’une manifestation de la totalité, Ce que le Rêveur appelle le mandala de l’Horloge du monde et Jung La grande vision (59)
Une question reste posée. Pouvons-nous, comme sur le plan de la construction narrative, observer des convergences, au sujet de la construction du cadre de réception des rêves d’aboutissement, entre la série du Rêveur et celle de la Rêveuse ?
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Publié initialement dans le cadre d’une thèse cette page a été adaptée par Ariaga (Ariane Callot), son auteure.
Les ouvrages cités sont référencés à la page bibliographie.
Notes :