Les recherches d’Ariane Callot ne constituent pas un travail « sur » Jung mais « à partir » de Jung. Les influences et les objectifs de cette étude sont rappelés ainsi que les propositions qui la sous-tendent.
Influences et objectifs
Freud, un tournant dans l’histoire de la pensée
L’idée que nous avons de l’Homme et de sa relation aussi bien à l’humanité qu’à la Nature est en crise. Nous vivons dans un monde éclaté où dominent les rapports de force et la méfiance envers l’Autre.
Bien des voies ont été explorées mais c’est Freud qui ouvrit véritablement la voie vers l’inconscient.
Même s’il avait eu des précurseurs, il est le premier à avoir proposé une véritable approche de l’inconscient en procurant au monde des rêves et des fantasmes un statut et une syntaxe.
La démarche freudienne constitue un tournant dans l’histoire de la pensée. Les notions de déplacement, de compensation, de mise en image et d’élaboration qu’il a mises en évidence, donnent au rêve une cohérence interne et au rêveur une possibilité d’auto-explication.
L’approche freudienne de l’interprétation des rêves demeure donc la fondation d’un premier niveau de la pratique analytique.
Elle ne nous a cependant pas fourni de réponse constructive au problème de la crise vécue par des êtres humains ayant élevé un mur intérieur les séparant de leur totalité et ayant coupé le lien avec celle des autres.
Il semble que se soit perdu la numineuse intuition de l’existence d’une Totalité plus vaste. Cela nous a conduit à rechercher un autre appui, que nous pensons avoir trouvé chez Jung.
L’approche freudienne de la psyché
Les approches de la psyché freudienne et jungienne, même si elles s’enracinent dans le même terrain, ont produit des résultats très différents quand il s’agit de caractériser les relations entre les deux pôles que sont le conscient et l’inconscient.
Dans le cas de Freud on observe des rapports de force conflictuels et dans celui de Jung des rapports de dialogue et de coopération.
En effet, le souci essentiel de Freud était d’étayer, contre tous ses détracteurs, sa théorie de la sexualité comme fondement de l’inconscient.
L’essentiel de l’analyse freudienne renvoie à une problématique du désir, au sein du triangle parental. Ce désir omniprésent a pour conséquence une lutte incessante entre la convoitise envers un objet défendu et la peur de la sanction liée à la transgression.
S’il y a transgression, imaginaire ou réelle, suivent expiation et renonciation à l’origine de refoulements qui sont une autre forme de violence induisant un rejet de soi-même ou des autres. Il découle de cette problématique une théorie de la sexualité comme fondement de l’inconscient, démontrant que le besoin sexuel n’unit pas les hommes mais au contraire les sépare.
A ces sources de conflit entre le conscient et l’inconscient il faut ajouter la lutte entre les forces de vie et les forces de mort, Éros et Thanatos.
La pulsion de mort induit une relation conflictuelle supplémentaire entre l’instinct de conservation de la Vie et un sombre désir de destruction tapi à la racine de l’être psychique. L’inconscient est, en quelque sorte, une poubelle du conscient. Il constitue un réservoir d’affects, de désirs, de craintes qui sont à l’encontre de l’adaptation à la civilisation humaine.
Pourquoi Jung plutôt que Freud
Ce qui nous a séduit dans l’attitude de Jung, par rapport à celle de Freud, est une vision théorique et pratique différente, plus fondée sur la relation que sur l’affrontement.
Jung est, en effet, le premier à avoir défini une réalité positive de l’inconscient. On peut se mettre à son écoute, non seulement pour déceler ce qui produit les névroses mais aussi pour rechercher des éléments créateurs de la civilisation humaine.
Freud envisage presque le rapport avec l’inconscient comme une guerre pour défendre le Moi.
Jung, lui aussi, pense qu’il faut défendre le Moi. En effet, il y a forcément dans l’inconscient des menaces très négatives pour la personnalité du sujet. L’ombre, par exemple, à laquelle il faut ajouter de puissantes forces archaïques qui pourraient être dévastatrices pour le Moi conscient. Cependant, à ses yeux, l’inconscient est globalement une réalité positive. Il ne s’agit surtout pas de déprécier ses contenus dans le but d’établir une sorte d’impérialisme du Moi par rapport aux contenus psychiques.
L’enjeu de la théorie jungienne est d’établir une dynamique à partir d’une relation constructive entre le Moi et l’inconscient. La finalité est de faire émerger, autant que faire se peut, une totalité psychique par une coopération entre le Moi et la force centrale organisatrice qu’il nomme le Soi.
L’inconscient comme un matériau à transmuter
Autre sujet d’intérêt, une conception alchimique de l’inconscient qui est, pour Jung, un matériau brut destiné à être transformé par le contact avec le conscient. Même les aspects négatifs font partie de ce matériau qui, lorsqu’il est reçu et écouté, commence à être transmuté et redevient une énergie positive.
C’est à partir de l’étude des textes alchimiques qu’il a envisagé la possibilité de proposer une théorie plus générale sur les rêves comme manifestation des “intentions” de l’inconscient”. Il a trouvé dans ces textes une abondance de matériaux, comparable à celle de la production onirique chez certains sujets prêtant attention à leurs rêves pendant une assez longue période.
En effet, l’expérience analytique révèle parfois des séries de rêves qui paraissent obéir à une logique interne et soulevant des questions d’un autre ordre que celles qui naissent de l’analyse des rêves isolés.
Si on fait des séries de rêves un objet d’étude global indépendant du contexte personnel du rêveur, on observe alors le rattachement de l’activité consciente à un fond bien plus ancien.
Un travail d’individuation
On voit ainsi s’élaborer un travail d’individuation, sur la base d’une participation à des processus que l’histoire du rêveur ne suffit pas à expliquer. Ceci nous renvoie à une dynamique fondamentale rattachée à une Nature oubliée à partir de laquelle se serait lentement élaborée la psyché humaine.
Freud a parlé de l’existence d’un courant souterrain véhiculant un savoir qui dépasserait l’expérience vécue des sujets. Les fantasmes originaires dont on peut lire l’histoire dans Totem et Tabou (cf.p.236,237) postulent
“ l’existence d’une âme collective dans laquelle s’accomplissent les mêmes processus que ceux ayant leur siège dans l’âme individuelle ” et une “continuité de la vie psychique de l’homme”.
Le problème réside, pour nous, dans le fait que l’hérédité psychique freudienne, qui est à l’origine du développement de l’enfant et des régressions névrotiques, repose une fois de plus sur le triangle des désirs et refoulements familiaux. Or, la richesse symbolique des séries de rêves nous apparaît aller bien au delà de la problématique du désir et de la faute ou d’un complexe d’œdipe à l’origine de tous les commencements.
Au delà des fantasmes originaires les archétypes
Jung est allé plus loin que Freud au sujet des fantasmes originaires. Ils constituent pour lui les conditions préalables communes à toute l’humanité, des patterns qui sont des productions naturelles au même titre que les instincts. Il leur donne le nom d’archétypes et postule qu’ils structurent toute la vie inconsciente.
L’universalité des symboles, par delà leur incarnation dans des images particulières, trouverait son origine dans l’enracinement premier de certaines représentations, à caractère quasiment universel, en ce fond commun à toute l’humanité. La rupture du lien avec ce substrat originel serait à la source du sentiment d’incomplétude et d’angoisse de l’homme.
Le choix et les moyens
Un dernier point, et pas le moindre, expliquant notre choix de prendre appui sur Jung trouve son origine dans son caractère et ses écrits.
Il pensait que les théories ne sont que des propositions. Souvent, et ses détracteurs le lui ont reproché, il a changé d’avis.
Il plaisantait avec ses amis sur le sort réservé à une œuvre qui serait certainement malmenée par ses successeurs. C’est pourquoi, profitant de son indulgence, nous tenons à préciser que nous n’effectuons pas un travail “sur” Jung mais “à partir” de Jung.
Nous ne pourrons cependant nous dispenser, après l’avoir choisi comme mentor, de fournir au lecteur qui ne le connaîtrait pas, une sorte de cartographie des concepts et procédés fondamentaux de la pensée jungienne. Nous donnerons aussi une description du matériau utilisé pour notre recherche.
Il s’agit de deux séries de rêves. L’une est celle commentée par Jung dans Psychologie et alchimie, nous l’avons nommé la série du rêveur.
L’autre, plus récente, fournie par un analyste jungien procure un élément de comparaison, nous l’avons nommé la série de la rêveuse.
Propositions
Thèse originale
Le sous-titre de la thèse de philosophie, soutenue par Ariane Callot en 2000, était : De L’oubli à la manifestation de la Nature dans les séries de rêves.
Cette thèse a été, en grande partie, revue pour être moins « universitaire » et d’une lecture plus aisée. Elle a été divisée en une suite d’articles.
Les Recherches sur Jung regroupent des textes destinés à donner aux lecteurs une boite à outils permettant de préciser les concepts de Jung et ses présupposés.
Les Écrits sur Jung sont plus personnels.
Cheminement
Cheminant dans les pas de Jung, l’auteure a tenté, dans l’ensemble de la recherche, de donner à penser :
- que l’on peut, par l’intermédiaire des séries de rêves, observer les re-présentations structurelles et symboliques d’un enseignement de l’inconscient,
- que, même si la Totalité en Soi est impensable et irreprésentable, il existe cependant un lieu de re-présentation d’une manifestation de cette Totalité : l’être humain,
- qu’une symbolique alchimique perdure dans les rêves de nos contemporains et que cette présence s’explique par la perte de contact avec la Nature et l’idée que le progrès est à l’extérieur de l’homme.
Enfin et surtout, débarrassée du carcan universitaire, Ariane Callot a voulu faire une relecture critique de ce travail. Elle a effectué des ajouts, des suppressions et tenté de rendre le tout lisible pour le lecteur non spécialiste.
Le nous de la thèse originale a été conservé car plusieurs personnes ont collaboré à cette étude. Il y a d’abord Jung dont la pensée n’a pas quittée Ariane Callot avec lequel des dialogues intérieurs parfois difficiles ont surgi. Sans oublier tous ceux qui ont écrit avant nous sur les sujets abordés et ceux qui, depuis la fin de ce travail, ont apporté aide et conseils.