Les matières médicales homéopathiques sont nombreuses et variées. Elles ont un caractère rébarbatif pour le lecteur du fait de leur apparente complexité et du foisonnement des symptômes décrits, pêle-mêle, sans ligne directrice apparente. La question est de savoir s’il existe un fil conducteur entre les éléments disparates de ces écheveaux.
Sens de la maladie
Avant de vouloir reconnaître un ordre intérieur éventuel au sein des remèdes homéopathiques, on peut se poser la question du sens de la maladie, non pas de savoir si la maladie est une sorte de réponse moralisante à des événements ou à un comportement, punition, résultat ou récompense, mais plutôt de réfléchir à sa dynamique, à sa fonction (si elle existe) biologique et psychique. Il ne s’agit en aucune façon de définir l’origine de la maladie car il faudrait se prendre pour un démiurge pour affirmer quoique ce soit dans ce domaine. Tout au plus pouvons-nous entrevoir des modes réactionnels plus ou moins récurrents dans les anamnèses des patients.
Equilibre – agression – stress – compensation – décompensation
On peut considérer l’organisme humain comme un système soumis à des agressions internes et externes qui ont pour conséquence le « stress ». La réponse à l’événement stressant va entraîner une tentative « d’adaptation » à la situation nouvelle pour revenir à un état d’équilibre. Ces réactions de stress vont s’exprimer par de l’anxiété et des troubles somatiques divers. Il y aura anxiété, compensation et éventuellement décompensation.
Nous trouvons là la notion hippocratique de la vis medicatrix naturae, principe régulateur, la notion du principe vital cher au vitalisme barthésien qui est un principe de cohésion du système vivant, ou bien le concept homéopathique de dynamis théorisé par Hahnemann.
L’idée moderne d’homéostasie[1] décrit également d’une tendance de la structure vivante à s’auto-équilibrer sous l’influence d’un hypothétique centre organisateur qui aurait horreur du déséquilibre. On connaît aussi l’étude du stress avec la réaction d’agressivité, de fuite et surtout l’inhibition pathogène[2].
Freud admet un refoulement des pulsions perturbatrices ou des événements difficiles à accueillir, capable de maintenir un équilibre convenable. Quant à Jung, il admet la présence d’un centre organisateur dont le but serait d’harmoniser le monde conscient du moi et celui du soi, entité « sur-ordonnée » au moi. Le soi embrasse non seulement la psyché consciente, mais aussi la psyché inconsciente, et constitue de ce fait pour ainsi dire une personnalité plus ample, que nous sommes aussi[3]. Pour Jung, la guérison de la dissociation entre moi et soi, s’appelle l’individuation, qui consiste à intégrer l’inconscient, c’est-à-dire à faire la synthèse du « conscient » et de l’inconscient »[4].
On peut aussi considérer à la suite de chercheurs contemporains qu’il existe un « soi du corps ». Par analogie entre le système nerveux qui s’appuie sur une identité cognitive et le système immunitaire qui a ses propres propriétés cognitives constituées par une mémoire cellulaire, une identification, un apprentissage. Nous avons ainsi un immunosoma ou identité immunocorporelle.[5]
Il paraît difficile de dissocier totalement corps et esprit, et de considérer l’esprit organe privilégié du système nerveux central totalement séparé d’un soma général vide de sens. Cette notion moderne issue de la pensée grecque semble avoir vécu. Il y a une relation indissociable entre le corps et l’esprit, comme l’avers et l’envers d’une même pièce de monnaie.
La maladie et le processus thérapeutique
On peut considérer le symptôme comme une tentative de compensation de l’organisme pour revenir à l’homéostasie. Il est de même pour la maladie. Il s’agirait alors d’un message issu de notre être profond qui surgit et se conscientise sous forme de symptômes annonciateurs, de désordres banals, puis de dysfonctionnements plus ou moins profonds et finalement de remaniements physiques et psychiques profonds. On peut alors considérer que la maladie résulte de la dissociation entre le moi et les aspects inconscients personnels et hérités (inconscient collectif) du soi, elle résulte de l’ignorance du soi. Toutes ses manifestations sont des tentatives énergétiques de revenir à un équilibre. La maladie aiguë est un avertissement souvent anodin. La maladie chronique est un blocage de cette énergie dans une impasse existentielle et vitale.
Bien entendu c’est la mise en conscience du message du soi, ou la possibilité de décrypter le message verbal ou non verbal du soi qui peut guérir éventuellement la dissociation, c’est la possibilité de donner du sens au dilemme qui guérit, de participer à l’individuation. En effet c’est le fait de donner un sens au conflit qui guérit et cette émergence du sens peut se faire par le langage, mais peut se faire aussi par le truchement d’un processus thérapeutique qui est porteur de sens : processus analogique pharmacologique ou non ou mieux encore mimesis[6] par les « semblables »[7] telle qu’elle se fait en homéopathie ou dans d’autres thérapeutiques qui utilisent une processus mimétique. Cette individuation n’est certainement pas toujours possible et de toute façon elle n’évite pas la loi d’entropie de la vie qui mène inéluctablement de l’ordre au désordre.
Jung, le mandala et le soi
Jung, à la suite d’études de nombreuses séries de rêves souligne l’importance du nombre quatre dans la symbolisation du soi. Il nomme quaternité cet archétype représentatif de la totalité du soi. Cette quaternité se symbolise de façon privilégiée sous forme de mandala (qui signifie cercle en sanskrit). C’est un cercle magique qui est traditionnellement un instrument de contemplation. Dans le domaine des coutumes religieuses et en psychologie, il désigne des figures de forme circulaire qui sont dessinées, peintes, sculptées ou dansées. Très fréquemment ils présentent une structure reposant sur quatre éléments[8]. C’est un cosmogramme centré sur un point sous forme de circonférence, avec quatre directions ; il y a interconnexion entre tous les points du mandala qui sont connectés au centre et entre eux. C’est l’interconnexion des points en interdépendance qui fait fonctionner la structure.
Rôle du mandala en pathologie
Pour Jung, les figures centrées sont rêvées dans des périodes « de dissociation ou de désorientation ». Jung y voit une « tentative d’autorégulation de la nature ».
« Le mandala apparaît dans des états de dissociation ou de désorientation psychiques, par exemple chez des enfants entre huit et onze ans dont les parents divorcent, ou chez des adultes qui, par suite de leur névrose et de son traitement, sont confrontés aux problèmes des contradictions de la nature humaine et, de ce fait, désorientés, ou chez des schizophrènes dont l’image du monde a été bouleversée par l’irruption de contenus incompréhensibles provenant de l’inconscient…. Il s’agit là d’une « tentative d’autoguérison de la nature » qui ne résulte pas d’une réflexion consciente, mais d’une pulsion instinctive.[9] ». Bien entendu Jung parle principalement de la projection en rêve d’un état intérieur lors d’une cure psychique. Il est probable que l’identification d’un malade à une structure somato-psychique ou sont inclus les liens archétypaux qui existent entre la pensée et la matière dans la description d’un remède suit également un cheminement « d’autorégulation ». Si le remède est homéopathique, c’est à dire dans un univers situé pour l’essentiel dans le monde de la synchronicité entre la matière et la pensée, aux frontières du symbolique[10], la cure sera aussi physique que psychique, car elle fera appel à la totalité du soi. Le mandala est l’image d’un monde intérieur dont on n’a pas conscience et qui nous ouvre à un processus thérapeutique de réintégration.
Tout est dans tout
« Il existe des relations inconnues entre ce que nous appelons la psyché inconsciente et ce que nous appelons la matière (un mystère contre lequel la médecine psychosomatique lutte). Il se pourrait que la psyché et la matière soient un même phénomène observé respectivement de « l’intérieur » et de « l’extérieur »[11]. C’est ce que Jung a appelé la synchronicité.[12] »
Le soi a un aspect psychique, mais aussi un aspect matériel et physique. Il peut s’inscrire dans la matière, en particulier dans la pathologie somatique. Il peut aussi se projeter par analogie de forme ou de sens sur un objet environnant , plante, animal, minéral. Il existe alors une correspondance symbolique entre le soi et une représentation analogique du soi. S’il y a synchronicité entre le monde extérieur et le monde psychique, tout remède végétal, minéral ou animal peut être une représentation d’une totalité : en ce sens il est un aspect du soi.
On trouve depuis l’antiquité l’idée que l’univers est fait de correspondances entre la nature, l’homme et le monde minéral, animal et végétal : Hermès Trismégiste[13], pensée alchimique[14], Paracelse[15], etc..
Homéopathie
Les descriptions de remèdes homéopathiques comportent des signes psychiques, généraux et physiques qui peuvent être agencés sous forme de mandala.
Ainsi dans la matière médicale d’un remède, si nous sommes en mesure de déterminer un thème archétypal central sur lequel vont s’articuler des thèmes directionnels liés au centre et entre eux par le sens, nous sommes en présence d’une représentation dynamique et centrée du remède qui peut à un moment donné correspondre à une tentative d’autorégulation du soi.
Le thème central archétypal est un « métathème » sur lequel tous les thèmes annexes viennent se brancher en croix.
On peut imaginer de représenter les remèdes homéopathiques sous une telle forme centrée. On schématise ainsi sous une forme dynamique et visuelle l’énergie du remède sans dissocier ses deux aspects: le psychique et le physique.
Le thème central représente alors l’image archétypal la plus profonde du remède qui va s’organiser selon 4 directions en général, allant du centre vers la périphérie selon une dynamique de compensation puis de décompensation plus on s’éloigne de la zone centrale d’homéostasie.
Chaque symptôme du remède homéopathique est étudié. Les symptômes homéopathiques les plus caractéristiques sont retenus en priorité et ceux d’entre eux qui sont confirmés par des correspondances physiques (forme, couleur, odeur, consistance, mode de préparation, nom, relation mythologique) deviennent privilégiés, véritables archétypes, témoin d’une relation de synchronicité[16] entre le physique et le psychique. Je nomme ce schéma homéographe[17].
La totalité de symptômes
La maladie est un désaccord énergétique entre un « soi » et les contraintes liées au monde « objectif » et conscient où nous évoluons : elle est d’abord une tentative de retrouver un équilibre. Si le sujet en déséquilibre peut aller vers une autorégulation en rêvant, on trouve l’équivalent de ce processus dans l’apparition de symptômes de maladies qui sont aussi au départ une tentative compensatoire d’atteindre l’homéostasie.
La maladie a une « image semblable thérapeutique» en homéopathie.
Cette image ou « totalité des symptômes homéopathiques» est une image qui peut paraître confuse et chaotique; les symptômes de la maladie sont en compensation ou en décompensation. Ce schéma confus de la maladie peut trouver son image-miroir dans un remède semblable qui est une tentative d’expression de l’ordre et de la totalité pour aboutir à un état, une problématique équilibrée : il s’agit d’une régulation par mimesis.
La totalité du soi est au-delà du langage (même si le langage est l’instrument le plus efficace de symbolisation et s’il structure l’inconscient) : c’est la raison pour laquelle elle peut s’exprimer par l’intermédiaire d’un « archétype » associant le physique et le psychique sous forme semblable, voire même symbolique.
Suite de remèdes homéopathiques
Cette tentative de régulation vers l’équilibre va se faire par une succession de tableaux. Le soi est un idéal, un concept dont il serait présomptueux de vouloir connaître l’équivalent homéopathique absolu. Notre médecine n’est pas une mystique, mais une pratique où nous sommes confrontés chaque jour à des situations, des problématiques, des pathologies, témoins de la tentative vitale d’organisation entre le soi et le vécu. Le patient a un passé personnel et transpersonnel. Les à-coups successifs existentiels répondent peut-être à un schéma unique, mais notre souci est avant tout d’accompagner le malade dans son cheminement de vie à travers le polymorphisme de ses épreuves, avec toute la modestie thérapeutique que cela suppose.
Mandala – Homéographe
C’est le tableau dynamique synthétique d’un remède homéopathique formé (voir plus haut) :
- d’un thème archétypal central commun et à partir de là
- de 4 thèmes directionnels, chacun exprimé en stress, en compensation et en décompensation.
L’archétype témoigne d’une synchronicité entre la matière et la pensée, entre la substance et le symptôme[18]. Les symptômes archétypaux sont valorisée par rapport aux symptômes homéopathiques simples dans l’architecture de du mandala homéopathique, l’homéographe.
L’identification positive à l’homéographe, ou à toute thérapie est en elle même un processus de réintégration à la totalité du soi ; la prise physique du remède homéopathique est une information supplémentaire qui ne passe pas par le langage.
La réaction n’est possible que s’il y a synchronicité entre deux mondes, celui du malade et celui du remède, reliés entre eux par le sens, mais déphasés sur le plan de la dynamique vitale. Il faut une sorte de « différence de potentiel » énergétique entre les deux informations pour que cette réaction ait lieu.
Important : il est possible que l’un des remèdes décrits sur ce site vous convienne, mais on ne peut l’affirmer sans un interrogatoire et un examen sérieux effectués par un médecin homéopathe. Le site est fait pour faire connaître l’homéopathie, en aucun cas il ne peut se substituer à un thérapeute. Le docteur Bernard Long n’assure plus de consultations.
Adresser un message à Bernard Long (Il ne doit pas concerner une consultation à caractère médical).
Ouvrages
Symboles et archétypes en homéopathie, reprend un certain nombre d’articles publiés sur ce site et les complète.
Le Répertoire homéopathique des maladies aiguës complète utilement cet ouvrage.
Articles de Bernard Long
Notes
[2] H. LABORIT – Eloge de la fuite – Paris, Laffont, 1976.
[3] C. G. JUNG – Dialectique du Moi et de l’inconscient, trad. R Cahen – Paris, Gallimard, 1964. p. 122.
[4] C. G. JUNG – Métamorphoses de l’âme et de ses symboles – trad. Y. Le Lay – Paris, 1993. p. 500.
[5] F. VARELA in : Quand l’esprit dialogue avec le corps – Paris, Trédaniel, 1997.
[6] M. BASTIDE, A. LAGACHE – Le paradigme du sens. Paris, Atelier Alpha Bleue, 1992.
[7] Il convient de distinguer l’analogie qui est une simple ressemblance, un lien de sens de la similitude qui est une relation analogique privilégiée car elle inclut l’existence de la « totalité des signes semblables » qui représentent des lignes de force caractéristiques telles qu’on les trouve dans une caricature. L’identité est une ressemblance point par point. On reconnaît parfois mieux une caricature qu’une photo d’identité, a fortiori qu’une vague ressemblance.
[8] C. G. JUNG – Psychologie et orientalisme, trad. Kessler, Rigal et Rochlitz – Paris, Albin Michel, 1995. p. 103.
[9] C. G. JUNG – Psychologie et orientalisme. pp. 104-105.
[10] B. LONG– Signes et symboles – Cahiers du Groupement hahnemannien –1996, n°4 :121-133 (et in : Congrès national d’homéopathie de Toulouse – Le cœur et la raison – 28, 29 avril 1995).
[11] A. JAFFE – Le symbolisme dans les arts plastiques – in L’homme et ses symboles – Paris, Robert Laffont. p. 254 : Jean Bazaine dit « Un objet force notre amitié… parce qu’il nous apparaît chargé de forces qui le dépasser… » Des déclarations de ce genre évoquent le vieux concept alchimique de l’esprit de la matière, que l’on considérait comme étant l’esprit qui se trouve dans et au delà d’objets inanimés tels que le métal ou la pierre.
[12] M. L. von FRANZ – Le processus d’individuation – in : L’homme et ses symboles – p. 210.
[13] « Tout descend du ciel sur la terre, dans l’eau et dans l’air, seulement ce qui tend d’en bas vers le haut est vivifiant; ce qui tend vers le bas est subordonné à ce qui monte. Mais ce qui descend d’en haut est générateur; tout ce qui d’exhale vers le haut est nourrissant. La terre, qui est seule à subsister en repos dans son lieu, est le réceptacle de toutes choses, elle reçoit en elle tous les genres et, de nouveau, les rend au jour. C’est donc là le Tout qui, comme il t’en souvient, contient tout et qui est tout. L’âme et la matière, embrassées par le nature, sont mises en mouvement par elle, avec une telle diversité dans l ‘aspect multiforme de tout ce qui prend figure qu’on y reconnaît un nombre infini d’espèces qui, tout en se distinguant par la différence de leurs qualités, sont cependant unies à telle fin que le Tout semble un et que de l’Un tout semble être sorti. or les éléments, grâce auxquels la matière tout entière a pris forme, sont au nombre de quatre : le feu, l’eau, la terre, l’air; une seule matière, une seule âme, un seul dieu. » in : Hermès Trismégiste – II, Asclepius. Paris, Les Belles Lettres, 1973. p. 298.
[14] Selon la pensée alchimique le monde minéral est sexué au même titre que le monde animal et végétal. Il existe une correspondance entre les différents éléments de l’univers, une synchronicité entre l’esprit et la matière qui permet par projection de l’imagerie inconsciente de considérer la croissance des minéraux et leur transformation selon une logique anthropomorphique qui constitue surtout une découverte de son propre espace intérieur. cf. JUNG – Psychologie et alchimie. Paris, Buchet/Chastel, 1970 ; M. ELIADE – Forgerons et alchimistes. Paris, Flammarion, 1956.
[15] Toute la médecine de Paracelse est basée sur ce souci fondamental d’intégrer l’homme dans l’univers. cf. R. ALLENDY – Paracelse. Paris, Dervy-Livres, 1987.
[16] B. LONG– Homéopathie et synchronicité – Cahiers du Groupement hahnemannien –1996; n°6 : 205-220.
[17] B. LONG. Homéographe. Homéopathie et quaternité. Le remède centré. Echos du C.L.H, n° 79 : 25-39.
B. LONG. Médicament homéopathique, médicament du Soi. Cahiers du Groupement Hahnemannien. 2003 ; n° 6 : 253-283.
[18] L’idée de cette correspondance m’est venue clairement après l’expérience faite en 1991 avec une classe de collège : il s’agissait de faire représenter graphiquement par un groupe d’adolescence la pathogénie vibratoire ressentie à l’évocation le la « lumière » émise par l’évocation des thèmes de PHOSPHORUS. cf. B. LONG – 4° Congrès international du C.L.H – Phosphorus en images, Cahiers de Biothérapie n°124, Octobre-novembre 1993; cf. aussi : B. LONG – Signes et symboles ainsi que Homéopathie et synchronicité.