La carte XVI du tarot
Sur la carte XVI du tarot on aperçoit une tour foudroyée par un éclair qui perce la nuée et est issu du soleil (chez Wirth). Le sommet crénelé est détruit. Deux personnages sont précipités à terre. Des briques et des sphères de trois couleurs tombent également. On pense évidemment à l’athanor des Sages. Normalement le matras est fermé.
Comme nous l’avons vu dans l’étude de calcarea, la préparation de la pierre alchimique se faisait dans un petit ballon, matras, athanor, ou œuf philosophique. Philalèthe insiste beaucoup sur la nécessité de fermer hermétiquement le ballon afin de ne pas gâcher l’opération.1
Or ici nous somme sen présence d’une sorte de cataclysme soudain, où le bel instrument éclate sous l’effet d’un foudroiement effroyable survenu à l’improviste. On pense évidemment à un accident brutal, à un tsunami, aux attaques terroristes du World Trade Center ou de Paris, à une éruption volcanique, à la rupture inopinée d’un barrage, à l’explosion d’un engin terrifiant, à la survenue d’une nouvelle abominable, à l’irruption brusque à cette occasion de l’ineffable et de l’irreprésentable où le soi déborde subitement un moi qui s’effondre.
Il y a invasion brutale du soi dans le moi qui provoque une véritable « catastrophe psychique ».2 Les deux personnages, l’un couronné, l’autre tête nue, bleu et rouge (chez Wirth) peuvent représenter le couple royal, soufre et mercure, violemment précipités hors de l’œuf philosophique. L’union des deux principes n’est pas véritablement réalisée. C’est un échec, les éléments de l’œuvre sont dispersés et précipités dans un vacarme abominable et un désordre inextricable.
On trouve chez le Maître de Pétrarque la description d’une cuisine alchimique dévastée par l’explosion d’un four. L’artiste se désole, hébété au beau milieu d’un fatras de débris éparpillés dans la pièce. Car c’est bien le propre d’un tel accident, celui de laisser pantois celui qui y assiste, abasourdi, terrorisé, stupéfait.
Si on regarde bien la carte du tarot, la foudre provient du soleil, comme si la lumière était contraire au travail de l’artiste, comme si le fait de trop pousser le feu pouvait aussi provoquer l’explosion. C’est que l’individuation ne se fait pas à coups de botte, mais dans la douceur feutrée de la bienveillance et de l’accueil. On risquerait en n’y prenant pas garde de provoquer un état borderline ou de perdre de contrôle d’un mental enfiévré.
On voit au Portail du Jugement de Notre Dame de Paris l’alchimiste qui protège l’Athanor contre les influences extérieures, car le travail de maturation de l’être est, comme celui de la pierre, un travail qui nécessite attention, prudence, inspiration, patience et bonne disposition du cœur.
Maitre de Pétrarque – cuisine alchimique
La plante aconit
Aconitum napelus fait partie de la famille des Renonculacées. L’aconit a de nombreux noms : napel bleu, casque de Jupiter, casque, capuchon, capuce de moine, coqueluchon, sabot, pistolet, char de Vénus, tue-loup, madriette. Son emploi pour empoisonner les flèches et les fauves remonte aux époques les plus lointaines.
Aconit est un emprunt au latin aconitum < (grec άκόνιτον).
Évidemment cette plante est connue depuis l’antiquité3 (il ne s’agit peut-être pas toujours de la variété napellus). L’aconit était lié à la déesse Hécate, déesse magicienne, qui était elle-même une divinité lunaire (elle représente la nouvelle lune ou lune noire.)
La déesse lune fut appelée parfois « Hécate à trois têtes», combinaison d’Artémis (lune croissante), Sénélé (pleine lune) et Hécate (lune décroissante et obscure). On connait le rôle de la lune dans les cultes funéraires (en particulier dans le culte d’Osiris et d’Isis, où le dieu meurt, est mis en morceaux et est partiellement assemblé par sa femme qui lui redonne vie) .4
Diodore de Sicile en parle5 : « Persès eut une fille appelée Hécate, encore plus cruelle et plus méchante que son père. Elle aimait beaucoup la chasse , et , à défaut de gibier, elle perçait les hommes à coups de flèches comme des bêtes féroces. Devenue habile dans la composition des poisons mortels , elle découvrit ce qu’on appelle l’aconit. ».
Ovide parle de la terrible Médée qui prépare l’aconit né de l’écume vomie par le chien des Enfers. « C’est par là qu’Hercule traîna l’affreux Cerbère attaché par des chaînes de diamant. Le monstre détournant ses yeux farouches, repoussait, la lumière et l’éclat du soleil. Tandis qu’il résistait en vain, irrité par sa rage, et de trois aboiements épouvantant les airs, il répandit son écume sur la terre. On dit qu’elle s’épaissit, et que, nourrie et fécondée par un sol fertile, elle devint le germe d’une plante, poison terrible que les habitants des campagnes appellent aconit, parce qu’elle croît sur les rochers, et qu’elle y vit longtemps. »6
Pline l’Ancien dit que l’aconit combat le venin des scorpions, ce qu’on a expérimenté en le donnant dans du vin chaud, que cette plante vénéneuse tue l’homme. Il dit encore qu’au seul attouchement de l’aconit, les scorpions sont frappés de torpeur7. (XXV, 75) ; ils restent sans couleur et sans mouvement, et semblent avouer leur défaite.
Au Moyen Age il servait, comme l’espèce suivante, à empoisonner les loups et les renards en imprégnant des viandes de son suc. Le Napel fut réétudié et introduit dans la matière médicale, en 1762, par le fameux toxicologue viennois A. von Stoerck. Toutes les parties de l’aconit napel sont extrêmement vénéneuses, surtout les racines.8
Certains guérisseurs de France ou d’Italie l’employaient contre la lycantropie. Ce qui n’est pas sans rappeler que l’aconit, mélangé à de la viande, peut empoisonner un loup9 , d’où ses surnoms de « tue-loup » ou d’« étrangle-loup ».10
Son action induit une activité artérielle exagérée, une hyperhémie sanguine, avec une tension psychique, nerveuse, et vasculaire ; le sujet présente une violente agitation physique et mentale unis à une grande anxiété.
Le médicament est adapté à l’état inflammatoire, à l’élément fluxion sanguine, à l’hyperhémie artérielle. Il affecte également les nerfs sensitifs et provoque des fourmillements, des picotements, suivis d’engourdissement…11
Ce que l’on perçoit chez une fleur d’aconit c’est ce capuchon en forme de casque guerrier. Elle porte parfois le nom de « casque de Jupiter », Jupiter à qui on attribuait le foudre que l’on voit très bien sur la carte du tarot. Cette morphologie, nous le verrons, correspond bien à la brutalité des symptômes et à la prédilection céphalique de l’effet aconitum.
Aconit en homéopathie
On en trouve la matière médicale chez HAHNEMANN dans le « Reine Arzneimittellehre » sous le terme de Sturmhut12. La teinture mère est préparée à partir de la plante totale et de la racine lorsque la floraison est à son début.
Selon Kent13 : «Les qui ont besoin d’aconit sont surtout par des sujets pléthoriques et vigoureux au cœur solide, au cerveau actif, à la circulation énergique et qui subissent une maladie soudaine par suite d’une violente exposition à un changement atmosphérique.»
Les symptômes d’aconitum sont caractérisés par la présence :
- la soudaineté d’installation des symptômes
- l’angoisse
- la peur
- l’agitation
- l’idée de mort imminente
- la localisation céphalique
- la localisation phrénique
- le vent froid
- la peau sèche
- l’engourdissement
- la sensation de bouillonnement
Mandala14 de aconitum basé sur la synchronicité entre le psychisme et le physique.
0 – Irruption brutale de l’indicible
La destruction de la tour par un éclair précipité du ciel est comme le signe de l’arrogance humaine terrassée par une force impitoyable qui vient anéantir la construction minutieuse et insolente de l’homme et de son génie bâtisseur. Le moi capitule devant une force inattendue précipitée du ciel. La raison avait tout prévu sauf l’imprévisible.
Au lieu d’un processus lent et harmonieux d’évolution de l’individuation tel qu’il pourrait peut-être se dérouler idéalement, il est des cas où l’irruption du soi sera violente, accidentelle ; le sujet non préparé à cet avènement sera complètement paniqué. Il s’agit d’un véritable ras de marée qui déferle sur le malheureux sujet. Il assiste à une apocalypse vitale, psychologique qui surgit comme une trombe au milieu d’un ciel serein. C’est le sens de cette fleur casquée, violente et empoisonnée.
Les symptômes peuvent apparaître après une violente colère, une peur effroyable, une exposition trop forte au soleil, ou à un vent glacial du nord comme le mistral. Le vent froid est un aspect pneumatique de l’agitation mentale. Nous connaissons le rôle de l’air15 dans la genèse des maladies nerveuses et mentales dans l’ethnomédecine.
Nous entendons encore des traditions qui affirment que le vent rend fou, particulièrement les vents froids et violents. Ils ont pu être associés à certaines époques à l’intervention de démons ou de dieux malfaisants.16 Il y a une atmosphère de guerre, de mort imminente. Il y a une violence extrême des symptômes apparus avec la plus grande soudaineté. C’est l’angoisse avec la peur au ventre, la tête en ébullition et la sensation de mort imminente.
1 – Soudaineté et brutalité des symptômes
On a l’impression que les symptômes d’aconit surviennent avec la brutalité d’une pierre lancée à toute volée. Nous sommes confrontés à une congestion brutale des organes,, avec un pouls rapide, plein et tendu, des engourdissements, des fourmillements, une sécheresse de la peau, une soif de boisson froide.
Les douleurs sont insupportables et portent au désespoir. Le visage est pâle lorsque le sujet se relève et le sujet a l’impression que sa tête est en ébullition. Tout a le goût de l’amertume, sauf l’eau. Il y a un désir de boire de la bière.
2 – Angoisse devant l’irreprésentable
L’irruption brutale et inopinée du soi, irreprésentable, inimaginable, terrifiant créée une angoisse intense, une peur immense, avec une agitation. Le sujet est désemparé, perdu, affolé. Il peut crier, délirer.
J’ai le souvenir d’une dame âgée, pieuse, qui a la suite d’un différend avec le curé avait fait un épisode d’hypertension ; elle marchait, hagarde dans la rue, le bonnet en bataille en marmonnant un flot de paroles peu compréhensibles. Elle n’avait pu imaginer que son curé et la paroisse aient pu penser autrement qu’elle. Elle avait la sensation que sa tête était une bouilloire (la casque d’aconit, comme si la tête faisait trois fois sa taille). Cette agitation s’accompagne d’un désir de compagnie. Parfois une joue est rouge, l’autre pâle.
Pendant l’accouchement la parturiente ressent une grande détresse, avec des gémissements et une agitation qui accompagnent chaque douleur (ou la suivent). Elle a peur de ne pas pouvoir accoucher, de mourir, ou que quelque chose tourne mal. La fièvre s’installe brutalement. Elle s’accompagne de frissons au moindre mouvement ; la peau est sèche, rouge, brûlante, les joues sont rouges ; la respiration est rapide, le pouls est plein, bondissant, rapide et tendu ; les pupilles sont contractées. A la suite d’une insolation, la tête est chaude, bouillonnante, prête à éclater, comme si de l’eau bouillait, avec soif d’eau froide, angoisse et agitation.
3 – Émotions – le moi est court-circuité par le soi
Il existe un curieux symptôme de la matière médicale d’aconit : le sujet a l’impression que les pensées viennent de son estomac. En soi le symptôme peut paraître un peu étonnant, mais en fait, il correspond à une image du corps tout à fait traditionnelle. On connait les recherches actuelles sur le ventre, notre « deuxième cerveau ». Évidemment ces recherches rejoignent l’antique conception phrénique et abdominale, centre vital, émotif et même de la pensée.
Ainsi l’Égypte ancienne considérait-elle la région phénique comme le siège de la personnalité, de la sensibilité, de la pensée. Ce ib est fréquemment le siège du symptôme de la maladie,17 c’est l’épigastre.
Cette conception existe également dans la langue assyrienne : le terme libbu signifiait, cœur, épigastre, abdomen, entrailles, utérus. On trouve des termes correspondant en Afrique, au moyen Orient, en Orient. On connait la place et le rôle du diaphragme dans les yogas. Enfin nous avons bien sûr le ϕρην grec qui se retrouve encore dans des termes tels que « schizophrénie », « hébéphrénie », faisant référence au psychisme en résonance avec la région phrénique.
L’émotion n’est-elle pas ressentie « aux tripes » ? Dans le cas de figure d’aconit, les pensées semblent venir de l’estomac, ce qui pourrait étonner un contemporain, si fier de son cerveau. C’est que le soi inonde soudain le corps dans son entier, touché en plein centre vital et court-circuitant ainsi le moi qui, chez nous, est si bien logé exclusivement dans la tête.
4 – La mort
Cette intense sidération, nous l’avons vu, s’accompagne d’une agitation et d’une peur de la mort. le sujet a l’impression de mort imminente. Il est submergé par le soi et au bord de l’effondrement du moi. Il doit lâcher prise, le moment est venu de quitter cet accoutrement intellectuel et social qu’il avait dû construire pour vivre en société et dans un environnement où l’ego est une nécessité, un habit indispensable. La mort est proche.
Je me rappelle un vieil homme qui avait fait une pneumopathie. Il me répétait : demain à onze heures je serai mort (c’était une illusion, mais il en était persuadé). Cette angoisse mortelle a un cortège d’engourdissement de quelques parties du corps. Le sujet ne peut dormir, il est agité, se réveille en sursaut saisi par l’angoisse, en proie aux cauchemars. Il a une sensation de panique, son pouls est rapide et plein, les douleurs sont intolérables.
Ainsi s’exprime aconitum, par un éventail d’images de violence, d’angoisse et de mort qui se déploie, à partir de son centre archétypal, incarné dans la fleur « casque de Jupiter ».
Important : il est possible que l’un des remèdes décrits sur ce site vous convienne, mais on ne peut l’affirmer sans un interrogatoire et un examen sérieux effectués par un médecin homéopathe. Le site est fait pour faire connaître l’homéopathie, en aucun cas il ne peut se substituer à un thérapeute. Le docteur Bernard Long n’assure plus de consultations.
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Ouvrages
Symboles et archétypes en homéopathie, reprend un certain nombre d’articles publiés sur ce site et les complète.
Le Répertoire homéopathique des maladies aiguës complète utilement cet ouvrage.
Articles de Bernard Long
Notes
- Philalèthe – Entrée ouverte au palais fermé du Roi. Paris : Bibliotheca Hermetica ; 1970. ↩
- Callot A. Symboles et structures dans le cheminement vers une re-présentation de la totalité chez Jung. Thèse de philosophie, Université Montpellier III. 2000. tome 1, p. 54. ↩
- Ducourthial G. Flore magique et astrologique de l’antiquité. Édit. Belin ; 2003. ↩
- Harding. E. Les mystères de la femme dans les temps anciens et modernes. Paris : Payot ; 1953. ↩
- Diodore de Sicile. Bibliothèque historique. Trad. M.F. Hoefer. Paris : Delahays ; 1831. Livre IV, ch. 45. p. 306. ↩
- Ovide. Métamorphoses. Traduction de G.T. Villenave, Paris, 1806.Thésée (VII, 404-452.) ↩
- Pline l’Ancien.Histoire naturelle. Tome second. Livre XXVII. Traduction: É. Littré. ↩
- Fournier P. : Le livre des plantes médicinales et vénéneuses de France, 3 vol., Paris : Lechevalier ; 1947-1948. ↩
- aconitum lycoctonum ? ↩
- Mozzani E. – Livre des superstitions – Paris : Robert Laffont ; 1995. ↩
- Lathoud J.A. Etudes de matière médicale homéopathique. Levier ; 1980. ↩
- Sturmhut = chapeau de tempête. On trouve aussi Eisenhut = chapeau de fer. ↩
- Kent J.T. – Matière médicale homéopathique, trad. Périchon Bastaire et Demarque – Annales homéopathiques françaises, 1981. ↩
- Les descriptions de remèdes homéopathiques comportent des signes psychiques, généraux et physiques qui peuvent être agencés sous forme de mandala. Je nomme ce schéma homéographe. (cf article sur le mandala). ↩
- Pneuma, taw n (nh (soufflé de vie en égyp. ancien), prana, lung, ↩
- La maladie sacrée d’Hippocrate. ↩
- Long B. Le ib et le ḥ3ty dans les textes médicaux de l’Egypte ancienne. In : Hommages à François Daumas, Montpellier, Institut d’Egyptologie, Université Paul Valéry, 1986, p.483. ↩