Dans les pas de Jung
Jung a voulu montrer, d’une manière pragmatique, l’élaboration d’une structure et l’évolution de la représentation des images de l’inconscient. Il propose, à titre d’exemple, dans Psychologie et alchimie, une série individuelle de symboles, présentés chronologiquement.
Seule une longue suite de songes et visions, pense Jung, pouvaient permettre cette contribution à la connaissance des processus de l’inconscient qui se manifestent dans les séries de rêves De telles séries, dont nous aurons l’occasion de mesurer l’importance, sont rares.
Nous avons eu la chance, avec des présupposés assez semblables à ceux de Jung, de pouvoir travailler sur une autre série de rêves qui nous a été communiquée , avec l’accord du sujet, par Pierre Trigano que je remercie vivement. Nous espérons que cette seconde série permettra d’ajouter une pierre à la théorie téléologique de l’inconscient.
Évidemment, une seule série ajoutée à celle de Jung est insuffisante. Il serait souhaitable que ce travail soit prolongé par l’étude systématique de suites de rêves, dans le but de mettre en évidence le processus ordonnateur du Soi dont les manifestations ne sont chaotiques qu’en apparence.
Sources et descriptif
Notre première démarche consistera à montrer que les séries de rêves, au premier niveau, racontent une histoire, à la fois semblable et différente. Mais, avant de relater cette histoire, valable dans les deux cas étudiés, nous devons préciser quelques modalités pratiques et décrire les sources, le contexte et la manière de procéder qui ont entouré notre travail sur ces récits oniriques.
Les suites de rêves intitulées, Le Rêveur, quand il s’agit de Psychologie et Alchimie, et La Rêveuse, pour celle que nous proposons, sont présentées en deux parties.
Dans le cas de la série de Jung, il s’agit d’abord d’une suite de 22 rêves intitulée “Les rêves initiaux” et constituant une sorte de mise en place du scénario fourni par l’inconscient.
La deuxième partie, “Les mandalas dans les rêves” privilégie les songes au cours desquels apparaissent des structures, en relation avec les mandalas ou contribuant à l’élaboration de la représentation de l’Horloge du Monde. Cependant, on devine toujours la trame du récit qui se tisse avec le rêve, même si Jung s’en soucie peu. En effet, son interprétation est essentiellement fondée sur l’observation du processus structurel et la présence d’une symbolique alchimique.
La première série contenait déjà cinq rêves de mandalas qui sont rappelés au début de la deuxième série, ce qui explique que la numérotation commence au rêve 6 pour s’achever au rêve 59 ce qui fait en tout 54 rêves pour cette suite et 76 pour l’ensemble de la série. Cela complique un peu les choses car la numérotation de Jung recommence à 1 au début de la seconde partie.
Pour la Rêveuse de notre série, nous opérons aussi une coupure, justifiée par le fait que nous avons voulu attirer l’attention sur le moment où la présence de l’analyste introduit un nouvel élément dans le processus relationnel inconscient-Rêveuse.
Différences entre les deux séries
Chaque rêve de Psychologie et alchimie est suivi d’un commentaire, qui peut aller de quelques lignes à une dizaine de pages. Nous avons préféré, pour notre série personnelle, proposer une présentation par rayons de signification .
Plus d’un demi siècle sépare les rêves du Rêveur de ceux de la Rêveuse, ce qui implique une transformation de la société et des mœurs. La série de Psychologie et alchimie a dû être recueillie au début des années trente, alors que celle que nous présentons commence vers la fin des années quatre vingt.
Il y a aussi une notable différence entre le nombre des rêves proposés et leur étalement dans le temps.
Les matériaux de l’étude de Jung comprenaient quatre cents rêves et visions, couvrant une période de dix mois, et son choix s’est porté sur 76 rêves. Nous disposions aussi d’environ quatre cents rêves et visions et nous en proposons 153, mais ils se situent dans un laps de temps beaucoup plus long.
Il se passe deux ans entre le rêve initial et le moment où la Rêveuse commence à noter régulièrement ses songes. Le second rêve a été suivi d’une importante activité onirique, activité cependant très inférieure à celle du Rêveur, pendant deux ans. Ce sont ces rêves qui constituent la première partie de l’ensemble, des rêves 1 à 74.
La deuxième partie, avec l’accompagnement de l’analyste, couvre deux autres années, des rêves 75 à 153, et aboutit à la réception de deux mandalas et d’une injonction verbale particulièrement impressionnante.
Une autre différence significative apparaît au niveau du volume du corpus. Un matériau plus important a été conservé. La Rêveuse n’étant pas un personnage public, à l’inverse du Rêveur, il nous a été possible de choisir certains songes faisant allusion à des événements d’ordre privé ou intime, sans que cela puisse la gêner de quelque manière que ce soit. L’ensemble possède ainsi une chair qui manque cruellement à la série du Rêveur.
Pour ce qui est de la forme et du style, là aussi nous nous séparons de Jung.
Les deux spectateurs des séries avaient un point commun, ils notaient scrupuleusement leurs rêves et visions, mais Jung, à quelques exceptions près, condense le texte en quelques phrases brèves pour en conserver uniquement le sens profond.
Face au vocabulaire du rêve, on ignore s’il s’agit de la transcription faite par le Rêveur de son songe ou si les mots employés sont ceux de Jung. De plus on travaille sur une traduction, ce qui enlève toute possibilité de saisir le jeu effectué par l’inconscient au niveau de la langue.
Nous avons procédé tout autrement : des rêves ont été raccourcis, d’autres supprimés, mais dans les textes présentés les mots sont toujours ceux de la Rêveuse.
Si nous avons parfois mis des guillemets ils se trouvaient dans le texte même de la Rêveuse. Elle voulait ainsi signaler que le terme ou la phrase employés, parfois surprenants ou incompréhensibles, étaient bien ceux écrits dans le cahier où elle inscrivait ses rêves, le plus souvent en un état de demi-sommeil.
Certains rêves, comme chez Jung, portent la mention intégral, car il nous a semblé difficile d’en enlever ne serait-ce qu’une ligne.
On voit donc que, si notre but est le même, essayer de suivre le discours du rêve, et voir comment s’organise la relation entre les différents éléments, notre matériau, en dépit des points communs, est quelque peu différent de celui de Jung. Nous oserons dire qu’il est beaucoup plus riche, même si cette richesse nous semble encore insuffisante.
Il apparaît que des travaux ultérieurs sur les séries de rêves devraient prendre en compte l’intégralité du corpus, ne supprimant que les détails de nature trop privée.
Tout choix est arbitraire et il n’y a pas de petits rêves si on veut considérer le mouvement d’ensemble d’une série.
Dans le cadre de ce travail, nous avons cependant opéré un choix.
Nous désirions, comme Jung, montrer les processus d’évolution structurels et symboliques. Il nous a cependant semblé utile de proposer un matériau plus abondant.
En effet, un grand nombre de rêves peut constituer un outil de travail pour d’autres chercheurs. De plus, un corpus plus important augmente le nombre des données. Cela facilite l’observation des différents niveaux de représentations oniriques. On peut alors montrer comment se construit l’histoire racontée par la série et mettre en évidence la re-présentation symbolique et la manière dont oeuvre Le Soi organisateur du discours de l’inconscient.