Les Sept Sermons aux morts de C.G. Jung considérés comme un programme de ce qu’il avait à communiquer au monde sur l’inconscient.
L’éclairage de Christine Maillard
L’étude des Sept Sermons aux morts a été effectuée de manière très approfondie par Christine Maillard dans son livre :
Du Plérôme à l’Étoile. Les Sept Sermons aux Morts de Carl Gustav Jung.
Cet ouvrage a été pour nous une source d’inspiration mais le livre date de 1993 alors que Le livre Rouge, dont les Sept Sermons étaient la seule partie connue, n’était pas encore publié. Même si beaucoup d’extraits circulaient il n’était pas possible d’en faire état.
Depuis, le Livre Rouge a été publié 1 et Christine Maillard a fait une réécriture de son livre :
Au cœur du Livre Rouge. Les Sept Sermons aux morts publié début 2017.
Christine Maillard décrypte et commente les inspirations et les relations des Sept Sermons. Nous renvoyons les lecteurs qui veulent une étude complète à cette remarquable analyse car, dans nos écrits sur Jung, nous nous intéressons surtout à l’influence de Nietzsche sur le texte des Sept Sermons.
Les circonstances autour des Sept Sermons aux morts
Datés de 1916, les Sept Sermons aux morts, Septem sermones ad mortuos pour le texte original, tiennent, dans l’œuvre de Jung une place à la fois marginale et incontournable.
Presque reniés par Jung qui qui les avait publié discrètement, il les qualifia de de “péché de jeunesse”. Non seulement ils font partie de ce moment où Jung racontait l’histoire de son inconscient dans le Livre Rouge mais ils contiennent, présenté d’une manière ésotérique, l’essentiel des idées développées ultérieurement par les écrits théoriques. Sorte de rêve éveillé, ils furent écrits en des circonstances et dans une ambiance très particulières que Jung raconte dans Ma vie.(p. 221sq)
La nécessité de cette rédaction intervint au cours d’une phase importante de métamorphose, induite par les expériences d’immersion de Jung dans les régions profondes de l’inconscient. Survint, vers la fin de cette période, une journée durant laquelle régna une atmosphère pesante, pleine de présences inconnues. Un certain nombre d’événements synchronistiques affectèrent la famille entière, en particulier les enfants. La sonnette de la porte d’entrée sonnait sans raisons, et il avait l’impression que la maison entière était pleine d’esprits. Une question lui “brûlait les lèvres” :
“Au nom du ciel, qu’est-ce que cela ? Alors il y eut comme une réponse en chœur :
“Nous nous en revenons de Jérusalem, où nous n’avons pas trouvé ce que nous cherchions.”
C’est par ces mots que commencent les Sept Sermons. Ce texte, tel un rêve, demande à être analysé, que ce soit pour ses sources conscientes ou inconscientes.
Il faut noter que, dans le Livre Rouge, les Sept Sermons sont déclamés par Philémon le magicien alors que pour la publication des Sept Sermons ils sont présentés comme :
« Les sept enseignements aux morts écrits par Basilide à Alexandrie, la ville où l’Orient vient rencontrer l’occident. »
Basilide était un gnostique qui enseigna au deuxième siècle.
Il est possible que Jung ait voulu, avec ce personnage de Basilide, se dégager des influences visibles et cachées qu’il reçut du du Zarathoustra de Nietzsche. En effet, il faut conserver à l’arrière-plan tout l’édifice défensif qu’il construisit, pour éviter de tomber dans les mêmes erreurs que ce philosophe à la fois aimé et détesté.
L’habillage gnostique de ces conversations avec les morts, forme symbolique d’un dialogue avec ce qui provenait de son propre monde intérieur, est aussi une résultante des lectures acharnées qu’il fit, après son rêve de l’exploration des profondeurs de la maison, en 1909.
Dans Ma Vie (p. 186) il raconte en détail ce rêve au cours duquel il explore les différents niveaux inférieurs d’une maison, la sienne. Plus il descend vers la profondeur, plus il découvre des choses anciennes jusqu’à arriver à un lieu où se trouvent des ossements et des débris d’une civilisation primitive. Il écrit à ce sujet :
“ Le rêve de la maison fit sur moi un curieux effet : il réveilla mon vieil intérêt pour l’archéologie. … je lus comme un possédé, porté par un intérêt brûlant j’étudiais des monceaux de matériaux mythologiques puis aussi gnostiques, pour aboutir en fin de compte à une désorientation totale”.
La langue emphatique des archétypes
Au moment où se faisait sentir le besoin de matériaux, propres à exprimer à la fois une pensée peu conforme à la religion établie et un enthousiasme poétique, il n’est pas étonnant que les écrits des gnostiques aient eu une influence sur ce texte. Les gnostiques n’ont, en effet, jamais hésité devant le grandiose ou la mise en cause de l’image de Dieu.
Cependant, si la tonalité est gnostique, on reconnaît aussi, à la lecture des Sept Sermons, le lyrisme du Zarathoustra. Cette forme, correspondant à la langue emphatique des archétypes, est destinée à la transcription de ce qui, aux yeux de Jung, venait directement du monde intérieur. Il écrit au sujet du récit qu’il fit de ses imaginations dans le livret rouge pendant la période de sa confrontation avec l’inconscient :
« Je fixai tout d’abord les phantasmes tels que je les avais perçus, le plus souvent en une « langue emphatique » car celle-ci correspond au style des archétypes. Les archétypes parlent de façon pathétique et redondante. » (Ma vie, p. 207)
Parmi les contenus de ce monde intérieur, se trouvait certainement le Zarathoustra. De plus, fait curieusement omis au cours du récit de Ma vie, Jung avait, pendant ses années d’immersion, relu le Zarathoustra.
Ceci est confirmé par Christine Maillard qui écrit que :
« Jung relut le Zarathoustra d’une manière approfondie en 1914-1915, pendant les premières années de sa grande introversion. » 2
Les sermons comme prélude à la suite de l’œuvre
Comme Jung le reconnaissait, à un âge avancé, les Sept Sermons sont le prélude, le schéma ordonnateur, de ce qu’il avait à communiquer au monde sur l’inconscient. Un lien visible existe avec ce que Nietzsche avait, lui aussi, à exprimer. Par exemple, ces lignes de Ecce homo au sujet de l’inspiration, auraient pu être écrites par Jung lui même:
“La notion de révélation, au sens ou soudain, avec une sûreté et une finesse indicible, quelque chose devient visible, audible qui ébranle et bouleverse au plus profond, cette notion décrit simplement l’état de fait. On entend, on ne cherche pas ; on prend on ne demande pas qui donne; tel un éclair une pensée vous illumine, avec nécessité, sans hésitation dans la forme, – jamais le choix ne m’a été laissé. “ (p. 127)
En résonance à ces paroles on peut lire sous la plume de Jung :
“Tous mes écrits sont pour ainsi dire des tâches qui me furent imposées de l’intérieur. Ils naquirent sous la pression d’un destin. Ce que j’ai écrit m’a fondu dessus, du dedans de moi-même. J’ai prêté la parole à l’esprit qui m’agitait.” (Ma Vie,p. 258)
Pour avoir la suprême audace de faire monter des profondeurs la pensée d’abîme, il faut avoir la force du lion dit Zarathoustra, car:
“Le monde est profond, et plus profond que le jour l’imagina jamais. Toute chose n’a pas le droit de s’exprimer au jour”.
Même si ces paroles de Nietzsche se situent en un contexte différent, elles ont fait leur chemin vers le conscient de Jung. Elles sont à l’origine de la psychologie des profondeurs et, probablement aussi, de l’idée du danger recelé par ces mêmes profondeurs.
Le danger est très présent dans Les Sept Sermons. Il y est dit au sujet du terrible Abraxas, caractérisé comme l’effet du tout, c’est à dire en tant qu’actualisation d’un Plérôme symbolisant la Totalité indifférenciée :
“Il est le Plein qui s’unit au vide.
Il est l’accouplement sacré.
Il est l’amour et son meurtre.
Il est le saint et son traître.
Il est la plus claire lumière du jour et la nuit la plus profonde de la folie.
Le voir, c’est la cécité,
Le connaître, c’est la maladie,
L’adorer, c’est la mort,
Le craindre c’est la sagesse,
Ne pas lui résister, c’est le salut. »
Il y avait là, chez Jung, non seulement l’idée essentielle que toute chose porte en elle son contraire mais aussi une crainte, inspirée par la relation de Nietzsche avec le dangereux abîme que lui-même venait de côtoyer, pendant plus de trois années.
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Publié initialement dans le cadre d’une thèse cette page a été adaptée par Ariaga (Ariane Callot), son auteure.
Les ouvrages cités sont référencés à la page bibliographie.
Notes :
- Sur le livre rouge voir sur le site cgjung.net la partie consacrée au Livre Rouge ↩
- Les Sept Sermons aux Morts, p.36 ↩