Jung pensait que le Divin est inconnaissable mais que nous ne pouvons échapper à l’idée de Dieu car elle est enracinée dans la Nature.
La divinité comme vitalité éternellement agissante
Même si elles semblent parfois puériles, il ne faut pas négliger les relations d’amour qui peuvent exister entre l’homme et son Dieu. On peut aller jusqu’à les considérer comme souhaitables si elles sont profondes et comblent ce besoin de représentation supérieure inhérent à l’âme humaine qui fait dire à Jung dans Réponse à Job (p.209) :
“Psychologiquement parlant, toute idée de quelque chose d’ultime relève du concept de Dieu, qu’il s’agisse d’éléments premiers ou derniers, des plus hauts ou des plus bas. Le nom que l’on y consacre ne change rien à la chose.”
Cependant, cette vision psychologique de Dieu est insuffisante quand il s’agit de combler le sentiment légitime d’aspiration à une transcendance de ceux qui refusent toute référence à un concept spirituel téléologique lié à une puissance divine.
A ceux là, nous pourrions suggérer l’hypothèse que l’écoute du discours onirique révèle chez l’homme une sorte d’aptitude biologique transcendante. Cette aptitude biologique aurait besoin, pour se développer, d’une éducation dispensée d’une manière ésotérique par un inconscient collectif dépositaire du savoir originaire concernant les lois de la Nature. Le stade du concept verbal serait alors dépassé, et la divinité ressentie comme une
“vitalité éternellement agissante, un flot ininterrompu et qui se métamorphose en des formes infinies…”,
ainsi que l’écrit Jung toujours dans dans Réponse à Job (p.16).
Le divin sans référence aux religions traditionnelles
La vision d’un divin, irriguant la vie de l’homme en dehors de toute référence aux religions traditionnelles, pourrait rétablir la confiance de ceux qui se ressentent, sans en être conscients, coupés de leurs racines profondes. Le rapport entre l’être humain tel qu’il s’est construit et l’être naturel se verrait, ainsi, restauré.
La relation au principe divin originel serait retrouvée ce qui apporterait un soulagement au malaise éprouvé par ceux qui souffrent d’être des individus éclatés, ayant perdu une partie essentielle de leur totalité.
La dernière injonction de la série de la Rêveuse est : Si oui, transcende ton Dieu et ouvre toi. Cette demande comporte, parmi ses nombreuses possibilités d’interprétation, non pas une invitation à aller au-delà de Dieu, en abandonnant toute possibilité de contact avec la divinité, mais une incitation à dépasser l’idée de Dieu, en faisant émerger un monde plus vaste que celui de la connaissance intellectuelle.
Ce monde serait celui de la relation et de l’amour ce qui nous ramène aux mots clés du texte de l’Arbre de la connaissance de Maturana et Varela souvent évoqué dans notre travail :
“Nous avons pour seul monde celui que nos faisons émerger avec d’autres, et seul l’amour nous y aide.”
Nous ajouterions, toutes les sortes d’amour.
Comme nous l’avions montré sur les lignes de signification de la coopération amoureuse et de l’idée de Dieu, il n’y a pas de frontière entre les formes d’amour.
Voir le schéma des rayons de signification des rêves
C’est ce qu’exprime le message du grand poète et mystique iranien du XII° siècle Rûzbehân cité par Henri Corbin (p.37) dans son prologue au Jasmin des fidèles d’amour :
“Parce qu’il s’agit d’un seul et même amour, c’est dans le livre de l’amour humain qu’il faut apprendre à lire la règle de l’amour divin.”
Le corps comme pont qui relie à l’ensemble de la Nature.
La leçon de l’inconscient concerne un amour que seule l’incarnation rend visible et dont on ne doit pas oublier qu’il repose sur l’émotion et sur un dynamisme biologique pourvu de profondes racines.
L’ouverture, le passage du trou est réclamé dès le premier songe de la série de la Rêveuse.
Rêve no 1 : l'afficherCela signifie qu’il lui est nécessaire, comme préalable à toute possibilité de cheminement vers une réappropriation de sa totalité, de se lâcher au lieu de s’accrocher. Elle doit, consciemment, abandonner certaines des positions d’un Moi nourri de représentations toutes faites et de projections, pour accepter son appartenance à un fonds commun transcendant.
Il s’agit, ensuite, d’accomplir, dans la vie réelle, l’Œuvre d’intégration des différents degrés de manifestations de l’Amour. Pour cela, il lui faut commencer par s’aimer elle-même, en tant qu’être total, ce qui présuppose l’acceptation de sa partie obscure, et de son incarnation, dans un corps qu’elle doit considérer comme le pont qui la relie à l’ensemble de la Nature.
Aimer l’Autre et aimer le Monde
La Rêveuse doit aussi aimer l’Autre car elle n’existe, à la fois, que par sa différenciation et par sa possibilité de se référer à cet autre. La dynamique de la Nature, à laquelle elle appartient, est une dynamique de tensions entre les opposés.
Mais, en électricité, la tension entre les pôles positifs et négatifs ne signifie pas la destruction d’un des pôles, ni que l’un des deux soit bon ou mauvais. Au contraire, cette tension engendre une production d’énergie.
C’est en coopérant avec l’Autre, et en entretenant une relation d’amour, qu’elle va rendre visible sa propre spécificité à l’intérieur d’une totalité où, sans cette acceptation de ce qui lui apparaît comme étranger, elle ne pourrait que se dissoudre.
Elle n’a pas d’autre choix que aimer le Monde, même sous ses aspects négatifs, et il est important qu’elle intègre cela au niveau conscient.
Refuser le Monde tel qu’il est, serait, pour la Rêveuse, refuser la Vie. Il est sa mère, la matrice dont elle est issue, comme l’avaient si bien compris les alchimistes. Comme tous les humains, elle participe à son ordre, hérite de sa mémoire.
Il est aussi le point d’ancrage, le lieu de sa Co-existence. C’est là qu’elle mourra après une incarnation loin d’être minuscule, car elle aura été, et demeurera par ses apports à l’inconscient collectif, une parcelle indispensable sans laquelle l’ensemble ne saurait exister. L’Océan a besoin de chacune de ses gouttes d’eau pour être l’Océan.
Enfin, comme nous l’avons vu, elle ne peut échapper, si elle va au bout du chemin, à la relation d’amour avec le divin, que ce soit sous une forme pensée ou ressentie.
Celui qui monte les degrés de l’amour humain est inévitablement mené par son ascension vers l’amour divin, un amour qui se confond avec l’ensemble des autres niveaux de l’amour dont il est l’expression la moins visible, mais la plus vaste.
Voir les rêves de la série de la rêveuse
CONCLUSIONS
Les songes de la Rêveuse représentent un véritable enseignement de l’inconscient. Cet enseignement est rendu intelligible à la conscience par le triangle de coopération formé par l’inconscient collectif, la conscience et l’analyste. On peut y entendre la voix d’une Nature oubliée par une civilisation qui a fait de l’explication et de la domestication de cette Nature un nouveau mode de relations.
Il nous apparaît aussi que cette voix, si elle était écoutée et comprise par d’autres sujets, acceptant de prêter attention à leurs rêves pendant un longue période, pourrait les mettre sur le chemin d’une guérison de leur angoisse. Cette angoisse a pour origine leur sentiment d’incomplétude et leurs problèmes de relation avec ceux et celles qu’ils considèrent comme des Autres, alors qu’ils partagent un héritage commun dû à leur participation à une même Nature et au même inconscient collectif.
C’est la Nature, et Jung l’avait bien compris au moment de son grand Oui à la Vie, qui RE-présente la Totalité, sous sa forme différenciée.
Cette RE-présentation est visible partout, de l’agencement cosmique à celui de notre corps jusqu’à chaque goutte de notre sang, chacune de nos cellules. On la voit aussi à l’œuvre dans le merveilleux processus de la formation du vivant, que ce soit un cristal ou un nouveau né.
Les séries de rêves, nous ont montré, par leurs émergences structurelles et symboliques que, sous le niveau conscient de l’humain civilisé, perdure la mémoire d‘une Nature à laquelle il appartient.
Une observation attentive permet, aussi, de voir fonctionner des lois régulant de façon harmonieuse le fonctionnement de l‘ensemble de la psyché par un système homéostatique de relations entre les polarités opposées, relations favorisées par une fonction compensatoire entre le conscient et l’inconscient.
Si on y ajoute la coopération entre conscient et inconscient, on parvient à une harmonisation semblable à celle qui se produit entre les différents organes et flux du corps. De là à dire qu’il n’y a aucune différence fondamentale entre la matière et la psyché … Jung aurait sûrement franchi le pas !
Nous formons une unité de Vie, en relation avec d’autres unités de vies, contenant des aspects physiques, psychiques et spirituels. Ces aspects se manifestent tous dans les rêves de ceux qui prêtent attention aux vagues oniriques affleurant sans cesse à la limite de leur conscience.
A ces dimensions observables qui offrent, comme nous avons pu le constater en suivant la voie jungienne, une possibilité de RE-présentation de la totalité humaine, il faut ajouter une dimension transcendante, et irreprésentable, de la Totalité : un sens éternel inconnaissable selon Jung.
Au sujet de cet inconnu on ne peut rien dire, seulement s’ouvrir, comme le dit la Grande Voix du rêve. S’ouvrir à quoi ? On en revient à l’inconnaissable de Jung mais on peut toujours faire un pari pascalien et, pour nous, ce sera s’ouvrir à l’incommensurable Esprit Cosmique.
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Publié initialement dans le cadre d’une thèse cette page a été adaptée par Ariaga (Ariane Callot), son auteure.
Les ouvrages cités sont référencés à la page bibliographie.