C.G. Jung pense que Dieu est irreprésentable alors que les deux rêveurs des séries voudraient un Dieu proche comme celui des images pieuses de l’enfance.
Une ligne qui se brise
Sur les lignes 5 et 6 de notre schéma, l’amour humain nous apparaît comme étant le lieu de passage vers l’amour divin.
Voir le schéma des rayons de signification des rêves
Les manifestations de l’amour, au sens large du terme, rayonnent sans interruption sur une ligne allant du biologique à l’amour de Dieu en ce qu’il a de plus mystique. Cependant, cette ligne est, de nos jours, souvent brisée par une société qui trouve ridicule d’aimer avec tout son corps ou toute son âme, ou mieux encore avec les deux à la fois.
Ceci explique que, au cours des séries étudiées, le système de compensation onirique produise des récits visant à la réunion du Toi et du Moi, du Féminin et du Masculin.
La coopération amoureuse dans les deux séries de rêves
Le thème de la coopération amoureuse est assez discret chez le Rêveur. On peut penser que Jung, opérant un choix parmi une très longue suite de rêves, a opéré des coupures, son but étant, essentiellement, de montrer l’édification du mandala final qui est la vision de la Grande Horloge du Monde.
Pour ce qui est de la Rêveuse, l’acceptation de la chair, la formation de couples, l’aboutissement final en une joyeuse copulation, sont le résultat du travail de puissantes forces biologiques inconscientes et aussi, nous en sommes persuadés, d’une acceptation consciente.
Ces émergences de l’incarnation et de la sexualité dotent la série d’une véritable ossature humaine qui est faible dans la série de Jung.
“Se réjouir avec”, comme le dit la citation du Zohar qui était la conclusion du texte précédent, implique donc une relation avec un Toi que Jung considérait comme indispensable à la progression vers une forme de totalité psychique.
Le processus d’individuation ne peut s’effectuer chez celui qui n’est pas relié à un autre côté, côté qui est toujours un Toi.
Que serait un individu seul, qui ne pourrait être comparé à rien ? Rien. Et ceci s’applique aussi à une autre sorte de relation, elle aussi très ancienne, la relation avec le divin dont nous avons groupé les représentations sur le rayon de signification 6 : Idée de Dieu.
Un Christ familier
Nous pensons que l’homme contemporain a perdu l’expérience du contact numineux avec une représentation de la divinité. Dieu, Celui qui faisait trembler d’amour ou de peur, a disparu dans les couches profondes de l’inconscient collectif pour devenir une idée du Moi conscient.
Chez le Rêveur de Jung, dont nous rappelons qu’il n’avait pas de pratique religieuse, pas plus que la Rêveuse d’ailleurs, le problème se traduisait surtout par un besoin existentiel de mettre en accord sa vie quotidienne et la religion de son enfance. On ne trouve qu’une seule allusion au Christ.
Au contraire, la deuxième partie de la série de la Rêveuse révèle un fort désir de relation avec un Christ, dont l’image devient de plus en plus familière, amicale.
L’Ami est, d’ailleurs, un personnage très présent pendant la seconde partie. Il s’agit du Compagnon, une figure pouvant à la fois représenter l’analyste, l’Ami intérieur, le Soi, ou une préfiguration de l’image christique. (rêves 95, 96, 104, 122, 125).
Voir les rêves de la série de la rêveuse
Il est certain que, en concordance avec le Rêveur qui souhaitait fréquenter une Église conviviale, et pratiquer une religion le dispensant de s’aventurer dans les domaines plus dangereux du féminin et du transcendant, la Rêveuse, à un niveau très proche du conscient, construit une RE-présentation d’un Christ serviable.
Au rêve 94 il lui tend une serviette pour s’essuyer le visage et au rêve 131 il apporte du pain. Ajoutons que ce Christ ressemble aux images pieuses de son enfance : grande robe blanche, cheveux longs.
Rêve no 94 : l'afficher Rêve no 131 : l'afficherOn observe aussi la présence d’une riche symbolique christique : le nombre douze, par exemple, ou le partage du pain. Cette symbolique témoigne de la force d’émission de représentations liées à l’idée de Dieu.
Le nombre douze
Nous avons, dans une étude intitulée Nombres, regardé les quatre premiers nombres sous leur aspect structurel.
Vu sous cet angle, le nombre douze, qui apparaît seulement au cours de la seconde partie de notre série, devrait être considéré comme une triple quaternité.
Cependant, dans notre esprit, le fait que le nombre douze n’est présent qu’au cours de cette seconde partie est surtout le résultat de l’apport conscient d’une mémoire culturelle et religieuse.
Il s’agit, en effet, d’un nombre possédant une forte signification pour toutes les Traditions et revenant fréquemment dans divers textes sacrés. Cependant, en tenant compte du contexte de la série, il nous semble essentiellement rattaché au Christ et au nouveau Testament.
Les rêves de douze
Au rêve 102, des clochards mangent douze sardines. On pense alors aux douze apôtres, à la multiplication des poissons.
Rêve no 102 : l'afficherD’ailleurs, l’explication onirique de ce songe un peu étrange est proposée au rêve 111, au moment où la Grande Voix du rêve tonne MATHIAS. Ceci n’est pas sans rappeler que, pour maintenir le groupe des apôtres du Christ au nombre douze, Mathias est venu remplacer Judas.
Rêve no 111 : l'afficher
Plus loin, le rêve 125 propose douze croissants et comporte un dialogue, au cours duquel la Rêveuse demande à un homme : Est-ce que je peux partager votre pain ? Elle lui demande aussi : d’où venez-vous ? et il répond : Je suis canadien.
Rêve no 125 : l'afficherComment ne pas songer à Cana, la ville où l’Évangile de Jean (2,1-2,11) situe le miracle de Jésus changeant l’eau en vin et, pourquoi pas aussi à l’adjectif substantivé le cananéen ? L’analyse de ce rêve conduit ainsi, par amplification, à une évocation de la Cène à partir des éléments : partage, table, pain et aussi le vin évoqué par le terme canadien.
Vers la fin de la série, au rêve 134, on retrouve le nombre douze en corrélation avec l’âge du fils de la Rêveuse. Là encore on devine une allusion au Christ : Jésus avait douze ans au moment de son premier pèlerinage à Jérusalem.
Rêve no 134 : l'afficherLa rêveuse souhaite une relation conviviale et proche avec le divin
Il apparaît ainsi, que la Rêveuse souhaite une relation “humaine”, conviviale et proche, – quoi de plus proche qu’un fils ? – avec un Christ qui serait celui de son enfance. De plus, cette relation doit être vécue dans la joie, comme le sera la relation avec son mari au moment de l’intense scène de coopération amoureuse, évoquée sur le rayon précédent.
Le rêve suivant apporte une confirmation avec la phrase latine : ad deus qui laetificat juventutem meam, dont il faut rappeler qu’elle se trouve au début de la Messe catholique. Cette phrase exprime probablement le point de vue de l’animus positif.
On pourrait donc croire que la Rêveuse, semblable en cela au Rêveur qui cherchait une relation de convivialité avec l’Eglise, va trouver la paix en se fabriquant, avec la complicité de l’inconscient, une religion à sa mesure fondée sur l’amour reçu et donné par un Christ avec lequel elle entretient une sorte de familiarité liée à la vie quotidienne.
Cela semble d’ailleurs le cas, au moment du rêve 131, quand le Christ lui-même apporte du pain. Elle intervient en personne, elle descend dans la scène, on pourrait écrire la Cène, pour terminer l’œuvre commencée par ce Christ en robe blanche , digne d’une image pieuse.
Le Dieu de Jung n’est ni gentil ni familier
Cependant, toute cette symbolique christique, dont nous n’avons évoqué que l’essentiel, met en évidence le fait que l’apport et les souhaits du Moi conscient sont trop dominants.
Il se produit alors un déséquilibre dans la coopération inconscient-conscient, au profit de ce dernier. De plus, le Dieu, issu des profondeurs de l’inconscient collectif, n’est ni aussi gentil, ni aussi familier, que celui souhaité par la Rêveuse.
L’idée de Dieu, enracinée en l’homme des origines se ressentant en tant que créature fascinée par le sentiment de la puissance d‘une Nature, elle-même gouvernée par un transcendant numineux, ne peut pas se laisser occulter. Il faut ajouter que cette numinosité est au-delà du représentable. Cependant, pour l’homme limité elle représente, comme l’écrit Jung dans Réponse à Job (p.241) celui :
“(…) dont la forme ne possède pas de frontières discernables, qui l’enserre de toutes parts, profond comme les fondements de la terre, étendu à l’infini comme le ciel.”
La seule solution pour l’homme enserré par l’idée de Dieu est de s’ouvrir. C’est ce que semble suggérer le rêve d’aboutissement de ce rayon de signification, l’ultime rêve de la série, par l’intermédiaire de la Parole de la Grande Voix : Si Oui, transcende ton Dieu et ouvre-Toi.
Nous reviendrons sur ces mots dont nous pensons qu’ils désignent à la fois le lieu où se retrouvent tous les rayons de signification, et le point de départ d’une future vague de productions oniriques.
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Publié initialement dans le cadre d’une thèse cette page a été adaptée par Ariaga (Ariane Callot), son auteure.
Les ouvrages cités sont référencés à la page bibliographie.