Comment, dans la série de rêves, apparait la maison symbolique de l’alchimiste, l’important étant la cuisine et son fourneau.
La vision de la clé évoquée dans le texte précédent va ouvrir à la Rêveuse une porte sur des thèmes alchimiques essentiels regroupés au cours des rêves 24, 26 et 27, le rêve intermédiaire 25 étant une acceptation implicite de l’union des contraires.
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La maison symbolique de l’alchimiste
Au rêve 24, nous visitons la maison symbolique de l’alchimiste.
Rêve no 24 : l'afficherOn trouve tout d’abord un jardin. C’est la preuve que la période inflationniste de la Rêveuse, qui se voyait déjà reçue triomphalement dans sa ville natale, se termine car ce jardin fleuri est tout petit.
Le thème a déjà été évoqué, et nous y reviendrons, au sujet d’un autre songe très alchimique du début de la seconde partie (Rêve 80). Rappelons que le Rêveur avait découvert dans les profondeurs, un beau jardin disposé symétriquement avec une fontaine au milieu (Rêve13).
La pièce importante est la cuisine. Le rêve insiste sur le fait qu’elle est de style ancien, sans appareils modernes. Il est aisé d’établir une relation entre l’endroit où l’on fait la cuisine, le lieu où s’opèrent mélanges et cuissons, et l’alchimie. D’autant plus que, dans ce lieu, se trouvent surabondance de possibilités de cuisson avec à la fois un fourneau ancien et, au centre de la pièce, un four en hauteur.
Le fourneau des alchimistes
Pour les alchimistes, le premier fourneau est celui où agit le feu de la Nature pour la composition des métaux. Ils le nomment leur fourneau secret. Quant au fourneau qu’ils utilisent pour la partie opérative de l’œuvre, il est ainsi décrit par d’ Espagnet que Maïer cite à la p. 174 du Dictionnaire Mytho-hermétique :
“Ceux qui sont expérimentés dans les opérations du magistère, ont appelé fourneau ou four le troisième vase qui renferme les autres et conserve tout l’oeuvre, et ils ont affecté de le cacher fort secrètement. Ils l’ont nommé Athanor, parce qu’il entretient comme un feu immortel et inextinguible ; car il administre dans les opérations un feu continuel, quoiqu’ inégal quelquefois, selon la quantité de la matière et la grandeur du fourneau.”
L’alchimiste à son fourneau est une illustration incontournable de lŒuvre. Le Mutus Liber, dont nous avons déjà présenté deux reproductions, en est le meilleur exemple.
Le fourneau du rêve se révèle particulièrement intéressant, sur le plan symbolique, car il contient des cendres. Or, la cendre, résultat d’une calcination dont nous avons vu qu’elle représentait la première phase du Grand Œuvre, est citée par de nombreux traités, y compris les plus anciens.
Au cours de la traduction et commentaire de l’Aurora consurgens (p.347 sq),par Marie-Louise von Franz on peut lire :
“L’homme est cendre et redeviendra cendre. Les philosophes ont prescrit que cette cendre doit être mélangée avec l’eau permanente qui est le ferment de l’or, et leur or est le corps, c’est à dire la terre qu’Aristote a nommée coagulant, parce qu’elle coagule l’eau.”
Elle mentionne aussi les grecs qui parlaient des cendres de Marie et cite aussi Zozime, se référant à une sentence d’Agathodaïmon selon lequel la cendre est tout.
La cendre, sur un plan psychologique
Cette cendre symboliserait, toujours selon Marie-Louise von Franz :
“Le substrat irréductible et indissoluble des éléments physiques et psychiques que tout homme possède de naissance et à partir desquels s’accomplit son individuation. Ces éléments sont la matière brute d’un Moi “objectif”, c’est à dire du Soi.”
Ces restes, ou cendres, diffèrent, si on passe sur un plan psychologique, des petites histoires que nous nous racontons avec complaisance pour éviter de voir notre intériorité. Il s’agit d’éléments irréductibles qui sont la matière première résiduelle faisant de nous un véritable individu.
Un des moyens de consumer par le feu toutes les « superfluités », comme le dit Jung dans Psychologie du transfert (p. 55), est offert par l’analyse, qui représente « à proprement parler un travail de purification » semblable à la calcinatio des alchimistes.
Il apparaît, à ce stade de la série, que l’inconscient de la Rêveuse la poussait vivement à accomplir ce travail. Mais le message n’a pas été entendu. Pourtant, Madame X, avec qui elle est fâchée dans la vie, l’appelle au bord de l’eau pour lui parler de quelque chose de très important.
La perte du contact avec la Nature
Madame X pourrait symboliser la Mère Nature avec laquelle la Rêveuse, comme la majorité de ses contemporains, a perdu tout véritable contact conscient.
La curieuse formulation qu’elle donne au récit de son rêve, en écrivant qu’elle est fâchée dans la vie avec madame X, conforte l’idée que c’est sur le plan conscient qu’elle est fâchée avec la Vie et la Nature. Il y a une césure et la Nature primordiale, reléguée dans les profondeurs de l’inconscient, se manifeste, avec force, par le truchement des songes. L’eau symbolise cet inconscient.
La Rêveuse se montre très coopérative puisqu’elle accepte de passer sur des pierres très coupantes qui lui font affreusement mal aux pieds.
La douleur a, ici, une signification sur deux plans d’interprétation : douleur de la Rêveuse en proie à des problèmes conscients induits par l’inconscient, souffrances que l’alchimiste subit au cours de son cheminement vers l’obtention de la Pierre.
Ouverture sur le travail alchimique
La Rêveuse a éprouvé, au cours du rêve 24, une profonde satisfaction à la vue du four et elle a désiré en posséder un.
Ce moment de la série, que nous considérons comme une période d’œuvre pré-consciente, trouve, en quelque sorte, son apogée au rêve 26 prolongement du rêve 24.
Rêve no 26 : l'afficherL’eau, dont il faut rappeler qu’en tant qu’eau ignée elle symbolise le mercure pour la Science Hermétique, coule d’en haut. Quand elle frappe à la porte de la famille des alchimistes, on lui ouvre et elle est accueillie dans la cuisine, le lieu où se passe l’Œuvre.
Le fait que, dans la cuisine il y a une grande activité, peut aussi être interprété, sur le plan psychologique, comme une forte activation des processus inconscients.
La Rêveuse a atteint un sommet qu’elle va devoir redescendre car toutes ces émergences restent au niveau onirique. Il n’y a pas d’intégration suffisante du discours du rêve par le conscient.
L’inceste alchimique
Au rêve 27, la route descend de la gare, le musicien est vieux, et le fourneau qu’il tient dans ses bras, petit.
Rêve no 27 : l'afficherDemeure un élément très positif : même si c’est avec difficulté, elle retrouve son fils. Or, l’union mère-fils fait partie, comme d’autres relations incestueuses, et sous le déguisement de l’unio mystica (union mystique), de la symbolique de la conjonction. Comme l’écrit Jung dans Psychologie du transfert ( p.77) :
“…les dieux originels engendrent presque toujours par l’inceste. L’inceste est en effet le degré d’union des semblables qui suit immédiatement l’idée originelle de l’auto-fécondation.”
Mais la mère et le fils ne partent pas en voyage et, au contraire, ils quittent la gare.
Une ascension impossible
Le sommet de la montagne du mercure philosophique, si l’on en croit les philosophes alchimistes, est quasiment impossible à atteindre. Ceci est symbolisé au rêve 28.
Rêve no 28 : l'afficherNotre Rêveuse se fait voler sa voiture pas des gangsters. Elle voit, impuissante après avoir perdu le véhicule symbolisant ses possibilités de cheminement, se détacher la roue symbolisant “ la suite des opérations de l’œuvre hermétique.”(Pernety,p.442)
La roue a un rapport étroit avec l’opus circulatorum, l’œuvre circulaire, ayant pour but la sublimation. Tourner la roue signifie aussi recommencer les opérations, que ce soit pour obtenir la Pierre ou la multiplier en qualité.
Jung propose d’autres interprétations du symbole de la roue. Nous reprendrons ce thème quand il reviendra, comme le fait la roue, aux rêves 57 et 61.
Une disjonction s’installe, au rêve 29.
Rêve no 29 : l'afficherEntre le trois et le quatre, entre les éléments mâle et femelle qui sont, selon l’Atalante fugitive (p.84,) le fondement de l’Œuvre Hermétique :
“L’assemblée entière des philosophes s’accorde pour déclarer que leur oeuvre n’est rien d’autre que mâle et femelle.”
Sauvée par un grand chien
Cette disjonction va atteindre son acmé au rêve 37 au cours duquel la Rêveuse se présente comme un homme combattant un autre homme.
Rêve no 37 : l'afficherElle sera, heureusement, sauvée par un très grand chien. Ceci montre que la chaîne qui la relie oniriquement à l’alchimie existe, le chien étant, entre autres, un des symboles du Mercure Alchimique.
Le chien a, aussi, une fonction que l’on pourrait comparer à celle de l’ange gardien. Ce protecteur est le résultat, dans les phantasmes des alchimistes, d’une conjonction, d’un hierosgamos qui, à partir du mariage du Soleil et de la Lune, se poursuit jusqu’au niveau du règne animal. Le texte qui suit, cité par Jung dans Psychologie du transfert (p.111), trouve un écho dans ce songe 37 de la Rêveuse
“Et Hermès dit à son père : Père, je crains que l’ennemi ne m’attaque dans ma propre maison. Et il répondit : Fils, prend le Chien de Corascène et la chienne d’Arménie, accouple-les ensemble et ils engendreront un chien couleur de ciel, et imbibe le d’eau de mer dans sa soif unique, car il gardera ton ami et te protégera contre ton ennemi, et il te viendra en aide où que tu sois, demeurant toujours avec toi dans ce monde et dans l’autre.”
Un désordre apparent
Entre le rêve 29 et le rêve 37 apparaissent, en désordre, un certain nombre d’opposés ce qui explique le besoin, éprouvé au rêve 31, de mettre de l’ordre, de respecter les règles.
Rêve no 31 : l'afficherOn trouve, en effet, des images de profondeur, comme une crypte ou une cave, mélangées à des désirs de monter, de s’envoler, tel un oiseau vers les hauteurs célestes. Le besoin de détachement des profondeurs, est, au rêve suivant, confirmé par la présence d’un sage, symbolisant l’élévation spirituelle.
Au rêve 30, on observe une image significative, car elle est un des morceaux constituants de la totalité du rêve d’aboutissement final.
Rêve no 30 : l'afficherIl s’agit d’escaliers en forme de pyramide. Cette pyramide ne réapparaîtra que tardivement, et une seule fois, dans la seconde partie, sous la forme vivante d’une belle pyramide de poissons aux écailles brillantes (rêve143). Nous avons, ici encore, la preuve qu’un élément important des rêves d’aboutissement peut se situer loin dans le temps et à n’importe quelle place de l’ensemble de la série.
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Publié initialement dans le cadre d’une thèse cette page a été adaptée par Ariaga (Ariane Callot), son auteure.
Les ouvrages cités sont référencés à la page bibliographie.