Du Faust de Goethe à la lecture des textes alchimiques, le parcours de C.G.Jung dans la recherche de l’utilité de cette symbolique, souvent obscure, pour appuyer ses théories et ses œuvres.
Le Faust de Goethe
Si la relation consciente de Jung à l’alchimie s’est faite d’une manière tardive, une relation souterraine commence dès l’âge de seize ans. On peut la situer à un moment de crise existentielle et spirituelle, quand sa mère lui dit (cf. Ma vie,p.81) :
« Il faut que tu lises le Faust de Goethe »
Rappelons que ce fut un moment miraculeux, un baume sur ses blessures d’adolescent tourmenté. Il écrit, toujours sur cette même page :
« Méphisto et la grande initiation finale restèrent pour moi un événement merveilleux et mystérieux aux confins du monde de ma conscience »
Cette porte ouverte par Goethe, le resta définitivement. Ce ne fut pas le cas de celle que Jung crut avoir claquée, vigoureusement et pour longtemps, sur l’angoissant Zarathoustra de Nietzsche.
Il ne se rendit cependant pas compte, à cette époque, du côté alchimique d’une oeuvre, au sujet de laquelle il écrit, dans une lettre de 1955 (tome IV, p.65) :
“La seconde partie du Faust m’a accompagné tout au long de mon existence, mais il y a seulement vingt ans que j’ai commencé à y voir un peu clair, surtout par la lecture des Noces Chymiques, livre que Goethe avait certes lu mais qu’il n’a pas mentionné – détail intéressant- parmi les ouvrages d’alchimie qu’il avait découvert pendant son séjour à Leipzig. …
Il est vrai que Goethe n’a, à notre connaissance, utilisé qu’une littérature alchimique relativement tardive, et il m’a fallu étudier les ouvrages de l’Antiquité et du haut Moyen-Âge pour me convaincre que le Faust dans ses deux parties, représentait un opus alchymicum dans le meilleur sens du terme.”
Jung pense que le Faust est entièrement imprégné du mystère de la conjunctio, c’est à dire de la noce chymique. Ce ne sont d’ailleurs pas, à son avis, directement les ouvrages lus, oubliés ou non, par Goethe qui ont fourni au Faust cet arrière-plan alchimique. Il s’agit des émergences du courant souterrain, déjà évoqué, perdurant depuis Hermès Trismégiste, sous la forme de la chaîne d’or.
Ces racines profondes lui semblent expliquer l’effet de numinosité produit par le Faust.
Un lien intérieur fort, longtemps invisible, s’établit ainsi entre Jung et l’alchimie, par l’intermédiaire d’un Goethe, dont le Faust a été l’opus magnum, le grand oeuvre. Nous ajouterons que, dans la seconde partie du Faust, acte II, intitulée LABORATOIRE, ce qui est déjà significatif, on trouve des passages dignes de figurer dans des textes alchimiques.
Voici un exemple mais on peut trouver d’autres textes, en particulier ceux qui parlent de la conjonction du masculin et du féminin. Il s’agit,ici, de la fabrication d’un homonculus que l’on pourrait comparer au fils alchimique des Philosophes. Wagner est devant le foyer et il dit :
« Cela brille ! Voyez nous avons ferme espoir.
Qu’en mêlant – le mélange est ce qu’il faut savoir-
Cent et cent éléments, cette humaine substance
Dûment nous la composerons,
En creuset la distillerons
Comme il faut la rectifierons
Et le grand œuvre enfin naîtra dans le silence. »
Les rêves incitant Jung à s’intéresser à l’alchimie
Il y eut, évidemment, des rêves incitant Jung à s’intéresser à l’alchimie. Il ne les comprit pas plus, à l’époque où ils survinrent, qu’il ne comprit la connotation alchimique du Faust.
Rappelons, dans son enfance, la terrible vision de la cathédrale de Bâle, à partir de laquelle se posera pour lui le problème de l’homme chrétien et de l’ambiguïté divine, problèmes latents dans les écrits alchimiques.
D’autres rêves survinrent à l’âge adulte. Il en fait le récit, ainsi que de leurs conséquences, au cours de Ma vie (p.235 à 239)
Il s’agit de rêves montrant, de manière récurrente, une aile de sa maison, ou une construction ajoutée, qui lui sont étrangères. Il finit, à un moment de cette suite de rêves, par se rendre dans l’aile inconnue et y découvre une merveilleuse bibliothèque, dont les ouvrages proviennent du XVI° et du XVII° siècle. Ils contiennent des symboles singuliers, qu’il n’identifiera que tardivement comme des symboles alchimiques.
Le rêve décisif se situe en 1926. Nous n’en retiendrons que le fait qu’il se situe dans une vaste demeure seigneuriale, aux nombreuses dépendances. Alors qu’il se trouve dans la cour les portails se ferment. Le paysan qui l’accompagne et lui sert de cocher s’écrie :
“Nous voilà maintenant prisonniers du XVII° siècle !” – Résigné je pense : “Oui, c’est bien ça ! Mais que faire ? Nous voilà prisonniers pour des années ! “ Puis il me vient à l’esprit la pensée consolante : un jour, dans des années, je pourrai ressortir.”(p.237)
Son désir d’interpréter ce rêve l’incite à effectuer des recherches. Il explore de nombreux domaines de la tradition symbolique, mais le véritable déclic n’a lieu qu’en 1928, au moment où Richard Wilhelm lui envoie un texte de l’alchimie chinoise : Le secret de la fleur d’or. C’est alors que naît en lui le désir de connaître les alchimistes.
Jung commence à lire les œuvres des alchimistes
Il commande, et reçoit, une volumineuse collection de traités en latin. Il se contente, pendant un certain temps, de les garder dans un placard d’où il les sort périodiquement pour les feuilleter, tout en s’exclamant sur leur obscurité et leur stupidité.
Mais Jung est un acharné, et, petit à petit, des lambeaux de sens émergent de cette éclatante absurdité. Les connexions se font enfin et il découvre qu’il s’agit de symboles.
Il se retrouve dorénavant en pays de connaissance, lit avec acharnement, jusqu’au moment où lui revient en mémoire le rêve de son emprisonnement au XVII° siècle.
Une fois de plus, le discours onirique lui a indiqué le chemin à suivre. Il comprend, à ce moment-là, que sa voie pour les années à venir est d’étudier l’alchimie depuis ses débuts et d’y chercher un fil conducteur, en utilisant la démarche d’un philologue étudiant une langue inconnue.
Il fait des recherches au sujet de la relation entre les symboles et la syntaxe qui en fait les composantes d’un discours, à l’intérieur duquel ils prennent sens. Il s’agit d’un travail de bénédictin :
“Il me fallut longtemps pour trouver le fil dans le labyrinthe des démarches de la pensée alchimique, car nulle Ariane ne me l’avait glissé dans la main. Dans le Rosarium, je remarquai que certaines expressions et certaines tournures curieuses se répétaient fréquemment. Ainsi, par exemple, solve et coagula, unum vas, lapis, prima materia, Mercurius.
Je vis que ces expressions étaient toujours utilisées dans un certain sens, que je ne parvenais pourtant pas à saisir de façon sûre. Si bien que je décidai de me constituer un dictionnaire de mots de référence avec des renvois. Le temps aidant j’ai recueilli plusieurs milliers de termes de référence, et cela me faisait des volumes entiers de citations. Je suivais une méthode purement philologique, comme s’il s’agissait de déchiffrer une langue inconnue. Ainsi se précisa petit à petit en moi le sens des expressions alchimiques. » (p.238)
Il faudra plus de dix ans avant que les résultats des recherches de Jung sur la symbolique alchimique et ses possibilités d’utilisation pour l’interprétation des manifestations de l’inconscient prennent une forme théorique au sein d’œuvres majeures.
Page précédente | Page suivante
Publié initialement dans le cadre d’une thèse cette page a été adaptée par Ariaga (Ariane Callot), son auteure.
Les ouvrages cités sont référencés à la page bibliographie.