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Noël, l’ombre et le féminin réconciliateur : fils conducteurs vers le Soi

Alors que, sur le pas de la porte, je souhaite en fin de séance aux consultants une belle présence à eux-mêmes en cette période de Noël, j’entends souvent cette réponse : « Bah ! Ces fêtes, ce n’est que du commerce tout ça ! » Rachel Huber

William Blake (vers 1809-1815) © Wikipedia, Domaine public

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Non ! Noël ne se réduit pas à une fête commerciale !

Bien qu’elle ne puisse être qualifiée de véritablement universelle, cette célébration s’est imposée comme un phénomène culturel mondial, rassemblant les individus autour de valeurs essentielles telles que le partage, la joie, la convivialité et l’amour, tout en nourrissant notre besoin inné de lien et de transcendance.

Au-delà des apparences festives, les traditions, les rituels et les symboles propres à cette période reflètent l’impact des archétypes universels sur notre monde intérieur.

Selon Carl Gustav Jung, la lumière, symbole central de Noël, reflète l’émergence du Soi, cet archétype fondamental qui harmonise les dimensions conscientes et inconscientes de l’individu. Cette rencontre surgit au cœur des ténèbres, rappelant que toute transformation intérieure naît souvent de l’obscurité et du chaos.

L’expérience subjective de la psyché : coexistence du temps cyclique et du temps linéaire

Ainsi, dans cette dynamique de clair-obscur, où le Soi se révèle dans la traversée du tumulte vers l’harmonie, nous découvrons une dimension essentielle de notre expérience intérieure : celle du temps. Noël, dans sa symbolique, nous invite aussi à réfléchir à la manière dont le temps, à la fois cyclique et linéaire, influence notre psyché, mettant en lumière des modes d’existence qui s’entrelacent et se transforment au gré de notre évolution intérieure.

La notion de temps cyclique trouve ses racines dans les sociétés anciennes, notamment dans les traditions mythologiques, religieuses et agricoles. Ces cultures percevaient le temps comme une répétition perpétuelle de cycles naturels, tels que le lever et le coucher du soleil, les saisons ou les phases lunaires. Le temps cyclique symbolise l’éternel retour, une structure où chaque fin marque un nouveau départ.

Cette conception se retrouve dans les cultures mésopotamienne, égyptienne, grecque, indienne ou encore amérindienne. Dans ces traditions, le cycle était associé à des notions de régénération, de renaissance et de sacralité. Les rites agricoles célébraient la mort et la renaissance des récoltes. Dans la mythologie grecque, par exemple, la figure de Dionysos incarnait cette cyclicité par sa mort et sa résurrection, et les grandes traditions orientales, comme l’hindouisme et le bouddhisme, envisageaient le temps comme une succession d’ères ou de renaissances karmiques. Le temps cyclique est aussi profondément lié aux rites et festivités religieuses : Roch Hachana, la Pâque, L’Aïd el-Fitr, L’Aïd el-Adha, Noël…

La conception linéaire du temps, avec un début, un milieu et une fin, est particulièrement associée aux grandes religions monothéistes comme le judaïsme, le christianisme et l’islam. Ces religions proposent une histoire sacrée qui s’écoule de manière linéaire, avec une création initiale, une histoire marquée par des événements majeurs et une fin eschatologique. Cette perspective introduit une origine absolue, la Création et une fin ultime, le Jugement dernier ou la Révélation.

Si les religions monothéistes ont donné une impulsion à la conception linéaire du temps, il ne faut pas négliger les apports de la philosophie, qui a exploré les concepts de durée, d’éternité et de devenir, ni ceux des sciences, qui ont proposé des modèles toujours plus précis du temps. Cette transformation reflète une évolution dans la manière de concevoir le monde et la place de l’homme. Le temps linéaire invite à une progression morale, historique et individuelle.

Jung et la complémentarité des visions temporelles

Malgré cette évolution, la vision cyclique du temps ne disparaît pas totalement. Les fêtes religieuses comme Noël, qui reviennent chaque année, conservent une empreinte cyclique tout en étant intégrées dans un cadre linéaire. De même, certaines traditions païennes et modernes, comme le Nouvel An ou les anniversaires, perpétuent cette notion de renouveau périodique.

Jung offre une interprétation de cette dualité : il voit dans le temps cyclique une représentation archétypale des rythmes de la psyché. La répétition des cycles de vie – naissance, mort, renaissance – est essentielle à la transformation intérieure. En revanche, le temps linéaire incarne le progrès vers l’individuation, ce processus unique et personnel.

Ces deux visions ne s’opposent pas mais se complètent, offrant à l’homme une structure temporelle qui relie le mythe appartenant à l’inconscient collectif, à l’expérience personnelle et unique de la quête individuelle.

Noël et l’ombre : la lumière qui naît dans les ténèbres

Noël est célébré au moment du solstice d’hiver. C’est le jour de l’année où la nuit est la plus longue et le jour le plus court dans l’hémisphère nord. Pour nos ancêtres, c’était un moment charnière, marquant le point le plus bas du cycle solaire. Ils craignaient que le soleil ne s’éteigne et que l’obscurité ne règne éternellement. Mais le solstice d’hiver est aussi un moment d’espoir. Immédiatement après, les jours commencent à rallonger, témoignant du retour de la lumière et du renouveau de la vie.

Or, dans la pensée jungienne, l’ombre représente les aspects refoulés, ignorés ou niés de la psyché demeurant dans l’inconscient. Le processus, pour avancer sur le chemin de l’individuation, exige de confronter ce qui se cache dans les replis obscurs de notre psyché. Noël, en tant que moment de renaissance, peut être regardé comme la confrontation avec cette ombre : c’est dans le creuset des ténèbres que naît la lumière intérieure, souvent associée à l’émergence du Soi.

Mais qu’est-ce que l’ombre ? Voici la définition de Jung :

« Sous le terme d’ombre, je comprends la partie « négative » de la personnalité, c’est-à-dire la somme possible des défauts cachés, des fonctions insuffisamment développées et des contenus désavantageux de l’inconscient personnel. » Psychologie de l’inconscient, C. G. Jung, p.120 « Ainsi quelle que soit la forme qu’elle adopte, la fonction de l’ombre est de représenter le côté opposé du Moi et d’incarner précisément les traits de caractère que nous détestons le plus chez les autres. » L’homme et ses symboles, C. G. Jung, p. 173

Dans cette définition, l’ombre apparaît comme la part de nous-même que nous jugeons peu flatteuse, celle que nous préférons dissimuler, non seulement aux yeux de nos semblables et de la société, mais également à notre propre regard. Mais cette notion d’ombre est beaucoup plus vaste :

Il précise,

« Si l’ombre n’était composée que de mauvaises choses, il n’y aurait aucun problème. Cependant, l’ombre est, en règle générale, non seulement quelque chose d’inférieur, de primitif ou d’inadapté, mais elle n’est pas absolument mauvaise. Elle renferme même certaines qualités enfantines ou primitives qui, dans une certaine mesure, pourraient raviver et embellir l’existence humaine. » Psychologie et Religion, C. G. Jung, p. 157

Elie Georges Humbert contextualise :

« Dans la psychologie analytique, les notions ne sont pas des abstractions : c’est-à-dire qu’elles ne sont pas formées pour désigner des entités ou pour désigner des facteurs ou des puissances dans le psychisme. Jung est arrivé à la notion d’ombre par l’effort d’interprétation des rêves. L’ombre est d’abord une catégorie d’interprétation des rêves. Il apparaît, dans les rêves, différentes figures qui sont du même sexe que le rêveur : contenu manifeste du rêve. Ces figures sont en rapport d’opposition ou d’accompagnement ou d’amitié avec le rêveur. Comment comprendre ces figures ? Et à quoi correspondent-elles ?

Ces figures, pour Jung, représentent une certaine position, d’une part, du psychisme du rêveur, position qui était sexuée de la même manière que le conscient, donc dans une relation que l’on pourrait dire analogue à celle du conscient, à la différence des figures qui seront féminines dans les rêves d’un homme, ou masculines dans les rêves d’une femme, qui indiqueront non pas des positions du psychisme parallèles ou analogues au conscient, mais complémentaires, en corrélation, et donc des figures qui seront médiatrices vers l’inconscient, puisque d’une manière très générale, c’est comme ça qu’il définit l’anima et l’animus, comme des fonctions médiatrices.

Si nous relevons maintenant, dans les rêves, des figures du même sexe que le rêveur, il ne s’agit pas de médiation, il s’agirait de parts du psychisme qui pourraient entrer dans le champ de conscience, qui sont déjà dans une position similaire à celle du champ de conscience, mais qui, en fait, ne s’expriment encore que dans les rêves, n’apparaissent encore que dans les rêves.

Ces notions ne sont pas des concepts abstrayant quelque chose, mais ce sont des catégories qui permettent l’interprétation. Et pas une interprétation intellectuelle, mais qui permettent le rapport du conscient diurne avec ce qui est apparu dans le rêve. »

Jung ou la totalité de l’Homme futur « anima et animus » 2/8

Jolande Jacobi ajoute :

« Je ne peux contrôler que ce dont je suis conscient, et c’est pour cela que, tout d’abord, il faut travailler dans le processus d’individuation son ombre. C’est-à-dire ses traits refoulés et cachés, que l’on n’ose pas employer dans son Moi. Les traits de l’ombre ont toujours le même sexe que le Moi, ils sont phénotypiquement du même sexe que le Moi. Et après vient le développement de l’autre côté de la personnalité, donc pour un homme, les côtés féminins, et pour la femme les côtés masculins.

Et d’après Jung, et c’est très important pour lui, (cet autre côté : ajouté par moi) ne doit être pris en travail qu’après que l’ombre soit ajoutée au Moi. Parce que le Moi est trop faible pour rencontrer l’autre sexe sans cet élargissement par les traits de l’ombre. Et pour cela, Jung a beaucoup recommandé que dans la première partie de la vie, on doit s’occuper, en vue du processus d’individuation, de l’élargissement du Moi par l’ombre. Au moment où l’on rencontre l’anima et l’animus, la deuxième partie de la vie a ouvert sa porte, et cette deuxième partie dépend de la longueur de la vie. »

Jung ou la totalité de l’Homme futur « anima et animus » 2/8

Soulignons que l’ombre ne se manifeste pas de manière unique. Comme l’explique Élie Humbert, elle peut apparaître sous une forme intérieure, par exemple à travers les rêves.

Joseph : le rôle méconnu de l’ombre dans la Nativité

De manière archétypale, Joseph, souvent relégué au rôle de figure secondaire, incarne une part de l’ombre dans le récit de la Nativité. Confronté au doute existentiel face à l’annonce de Marie, il expérimente les angoisses universelles liées à l’inconnu, au jugement et à l’inadéquation. En effet, sa situation sociale le plonge dans la solitude, l’exposant à la peur de l’exclusion et au besoin d’appartenance. Et la responsabilité immense d’élever l’enfant Jésus le confronte à des doutes profonds, tels la peur de l’échec et l’insécurité.

En explorant ces facettes obscures de Joseph, nous pouvons enrichir notre compréhension de l’intégration de l’ombre dans le récit. Son parcours, marqué par l’acceptation progressive de ses doutes et de ses peurs, témoigne d’une transformation intérieure profonde. Loin d’être un personnage statique, l’évolution intérieure de Joseph devient un modèle, invitant à reconnaître et à accueillir nos propres ombres pour cheminer vers une plus grande intégrité.

Cependant, l’ombre peut également se manifester sous une forme extérieure, notamment lorsque quelqu’un projette sur une personne des traits ou des caractéristiques dissimulés dans son propre inconscient.

Un exemple concret de l’ombre projetée dans le contexte de Noël

Elle se manifeste souvent dans les tensions familiales qui surgissent pendant cette période. Ces tensions, exacerbées par les attentes idéalisées liées à Noël, peuvent révéler ces projections : rancunes refoulées, jugements non exprimés ou peurs projetées sur certains membres de la famille.

Déborah, 26 ans, vient pour la première fois au cabinet début septembre, alors qu’elle se trouve dans une situation de stress émotionnel lié à sa relation avec sa patronne, à qui elle ne peut rien refuser. Fin novembre, elle fait une crise d’angoisse au travail. Elle met en lien un événement conflictuel avec sa patronne et des conflits récurrents avec sa mère, Hélène. Déborah reproche à sa mère d’être égoïste et distante, estimant qu’elle ne prend jamais suffisamment en compte ses besoins émotionnels.

Les fêtes de fin d’année approchant, elle déplore « devoir participer à cette grande mascarade familiale où personne n’est content de se voir et où chacun fait semblant d’être le plus heureux », notamment sa mère. Cette situation nourrit chez Déborah un sentiment de frustration qu’elle cherche à comprendre et à apaiser.

Au fil de ses séances, Déborah a commencé à explorer ces deux relations plus en profondeur. Elle a pris conscience que sa critique de sa mère cachait une part d’elle-même qu’elle refusait d’accepter : sa difficulté à exprimer ses émotions et ses besoins d’attention. Elle a réalisé qu’elle attendait de sa mère et de sa patronne une proximité affective qu’elle ne recevait pas, mais surtout qu’elle-même n’avait jamais permis à sa mère de l’approcher intimement. Ce moment de prise de conscience a été un tournant dans sa psychothérapie. Déborah a découvert qu’elle projetait sur sa mère et sa patronne une partie d’elle-même : la peur de la vulnérabilité et le besoin d’attention non exprimé.

À travers cette exploration, Déborah a entamé un processus d’intégration de son ombre, apprenant à reconnaître ses propres besoins émotionnels et à les exprimer plus ouvertement, tant envers sa mère qu’au travail.

Les projections de l’ombre jouent un rôle extrêmement important car elles nous offrent une occasion de prendre conscience de ce que nous ne parvenons pas à reconnaître en nous-mêmes.

L’émergence du Soi : une découverte expérientielle

Aussi, lorsque nous parvenons à reconnaître ces projections de l’ombre en nous, un chemin s’ouvre, celui de l’acceptation. C’est ce mouvement intérieur qui prépare le terrain pour un éclairage nouveau, à l’image de la naissance du Christ dans une modeste crèche, au cœur de la nuit. Noël, par la naissance de Jésus, devient le symbole de l’émergence d’une nouvelle conscience dans le monde.

Un parallèle saisissant avec la découverte du Soi. La réunification du moi, après avoir traversé une désorganisation profonde, est comparable à l’émergence d’un nouveau centre intérieur. Ce processus de recentrage, semblable à celui décrit par Jung, marque une transformation profonde dans cette quête d’unité psychique. Une renaissance intérieure qui reflète son processus d’individuation.

En effet, la période de 1912 à 1918 représente pour lui une phase d’introspection profonde, marquée par une traversée dépressive : la rupture avec Freud le confronte à une décompensation

« Ce fut au temps de l’Avent de l’année 1913 que je me décidai à entreprendre le pas décisif – le 12 décembre. J’étais assis à mon bureau, pesai une fois encore les craintes que j’éprouvais, puis je me laissai tomber. » Ma vie, C.G. Jung, p.287. 

C’est en affrontant et confrontant les contenus de son inconscient, au cours de cette période cruciale de sa vie, que Jung développe la notion du Soi. Ce concept rend compte à la fois de sa théorie analytique et du sens de l’existence humaine.

Gerhard Adler, porte un éclairage sur la relation entre la notion divine dans l’œuvre de Jung et le concept du Soi :

« C’est là que se trouve le lien entre les symboles religieux et la contribution de Jung à la religion moderne et aux problèmes de l’homme moderne dans ses rapports avec la religion. Beaucoup de gens émettent de vives critiques sur les valeurs religieuses traditionnelles, mais il me semble, en même temps, que parmi eux, nombreux sont ceux qui tentent de retrouver de nouvelles valeurs personnelles.

Jung a dit un jour que l’homme moderne avait besoin de quelque chose de plus que la foi, l’amour et l’espoir. Le quatrième élément qu’il faut ajouter, c’est l’expérience. L’homme moderne a besoin d’expérimenter avant de croire, avant de pouvoir adhérer à toute valeur religieuse qui lui est offerte. C’est là-dessus que repose la crise actuelle de la religion traditionnelle et en même temps l’espoir d’une nouvelle religion authentique qui prendra sa source dans l’expérience de l’homme et dans la recherche qu’il poursuit de son indépendance.

Jung a expérimenté cela de la manière suivante : pour lui, le Soi, c’est l’Archétype de Dieu. Et il nous faut ici éviter un grave malentendu qui a fait beaucoup de tort à la connaissance réelle de la pensée Jungienne : Jung ne dit pas que le Soi est Dieu, mais simplement que le Soi est l’Archétype de Dieu. En d’autres termes : c’est une idée inconsciente, une image inconsciente de la psyché, qui est plus vaste que le Moi. Jung a parlé du Dieu intérieur : le Soi c’est l’expression de ce Dieu intérieur que l’homme tente de découvrir, qu’il doit retrouver avant d’être capable de croire. »

Jung ou la totalité de l’Homme futur « Le Symbole du soi et individuation » 3/8

Le Soi, expression du dieu intérieur à chacun, agit comme un guide dans cette recherche d’harmonie entre le conscient et l’inconscient et au cours de cette quête d’unité psychique et spirituelle. En et pour cela, une énergie fondamentale se déploie : celle de l’amour, qui devient le vecteur de réconciliation entre l’individu et l’universel, entre le terrestre et le divin.

L’amour, en tant que force transformatrice, joue également un rôle central dans la quête d’harmonie entre le conscient et l’inconscient. L’amour, agit non seulement comme un vecteur de réconciliation de l’individu avec l’universalité, le monde physique et le sacré, mais aussi comme un catalyseur du processus d’individuation.

C’est dans ce mouvement que l’on peut rapprocher l’amour de ce que Jung nomme la fonction transcendante. Celle-ci, par l’union des opposés « conscient et inconscient », « lumière et ombre », « éros et logos », permet la transformation psychique et l’émergence d’une nouvelle totalité intérieure. Ainsi, l’amour, dans son essence, n’est pas simplement une émotion ou un sentiment, mais une énergie psychique qui favorise cette union des polarités, opérant comme un pont vers l’intégration et la plénitude du Soi.

Noël : amours au pluriel

Faisons le lien avec la continuité du processus d’individuation. Comme le souligne Jolande Jacobi, la seconde moitié de la vie constitue une période propice pour explorer et intégrer la relation avec l’anima ou l’animus.

Dans l’expérience de Jung, l’anima occupe une place essentielle en tant que médiatrice entre l’inconscient et le conscient. Il en déduit que celle-ci se manifeste à travers différentes figures, initialement projetées sur des personnes ou des images extérieures, reflétant ainsi les aspects inconscients de la psyché de l’individu.

Comme le souligne Marie-Louise Von Franz, ces projections des figures de l’anima évoluent au fil du processus d’individuation :

« Mais enfin, la femme, c’est une multitude de possibilités ! Au plus bas de l’échelle, nous pourrions placer par exemple la « pin-up girl », dont le rôle semble n’être que d’exciter les fonctions biologiques. Ensuite, une certaine spiritualisation de la femme pourrait apparaître avec la Vierge Marie qui est, elle aussi, une projection d’une féminité psychique très évoluée dans l’homme, et puis la Minerve, la sagesse… Alors ? Qu’en est-il exactement de cette hiérarchie de l’anima ? Quand un homme ne connaît pas beaucoup son anima, cela débute avec la fantaisie érotique, dans une évolution avec l’anima, il développe une relation où la relation avec la femme est humanisée, ensuite il y a l’idée de la spiritualisation, comme dans le mysticisme du Moyen Âge, ils choisissaient la Vierge comme symbole de l’anima, pour ne plus la projeter sur une femme concrète. Mais c’était vraiment une différenciation de l’Eros intérieurement.

La sagesse, dont Jung disait avec un sourire « un peu moins c’est plus », ce qui veut dire qu’il y a une redescente vers la matière, vers le concret, vers le plus humain.

Pour Jung, un homme qui aurait développé toutes ses relations avec l’anima pourrait vraiment avoir une relation avec une femme, comprendrait vraiment la femme. Pas seulement sur le niveau biologique, mais au niveau de l’être humain, il pourrait faire un constat complet mais de manière plus importante, il aurait une attitude sentimentale de sagesse envers lui-même et le monde. Vers l’inconscient et le monde extérieur. »

Jung ou la totalité de l’Homme futur « anima et animus » 2/8

Ces figures de l’anima reflètent ainsi les étapes d’une l’évolution intérieure. L’exploration de la dimension du sexe opposé en soi permet de faire émerger des aspects profonds et parfois dissimulés de l’âme. Cela ouvre la voie à une rencontre plus authentique avec soi-même. En accédant à une image plus complète de l’âme, nous favorisons une gestion plus équilibrée de nos émotions et de nos affects.

Il s’agit de se connecter à une dimension plus vaste de l’amour, qui, dans ce cadre, n’est pas limité à une simple expérience émotionnelle individuelle, mais se présente comme un principe universel qui se déploie à travers diverses formes et expressions au cours de l’existence humaine.

Cette rencontre avec cette dimension marque donc un tournant majeur : elle symbolise la fin d’une phase où l’amour était principalement orienté vers l’accomplissement biologique. Désormais, l’amour se tourne vers une quête intérieure, révélant un « au-delà qui se prépare », une dimension plus spirituelle et introspective de l’existence.

La figure de Marie dans la Nativité : le féminin réconciliateur vers la réintégration de l’Eros

Dans la symbolique chrétienne, Noël est marqué par la figure de Marie, mère de Jésus, qui occupe une place centrale en tant que figure d’amour inconditionnel, de médiation et d’intercession. Dans la psychologie analytique, comme projection de l’anima, Marie-Louise von Franz le souligne, la Vierge Marie symbolise un aspect très évolué de la féminité psychique chez l’homme. Von Franz évoque l’exemple du mysticisme médiéval, courant spirituel et théologique ayant influencé la théologie chrétienne et les pratiques spirituelles en offrant un espace d’expression plus personnel et intérieur de la foi. Dans ce contexte, Marie est devenue une projection idéalisée et unilatérale de l’anima masculine, représentant un féminin spiritualisé, lumineux et désincarné.

Les dogmes de l’Église catholique, progressivement élaborés au cours de l’histoire, à travers les Conciles œcuméniques et les Pères de l’Église, dans le cadre du Magistère, c’est-à-dire de l’autorité enseignante de l’Église dont les femmes ne faisaient pas partie, ont figé une vision partielle et immatérielle du féminin, évacuant ses aspects liés à l’ombre, à la sexualité sacrée et à la puissance transformatrice.

Cette projection, bien que visant à différencier et à sublimer les aspects de l’Eros, traduit en réalité une incapacité à intégrer pleinement le féminin dans sa totalité, incluant ses dimensions ambivalentes et sombres. Aussi, cette idéalisation excessive, bien que cherchant à élever le féminin, trahit une féminité psychique immature et incomplète dans la psyché de l’homme. Elle éloigne non seulement de l’intégration de l’ombre dans la psyché masculine, mais aussi d’une véritable humanisation du féminin sacré. Jung, en appelant à « redescendre vers le concret », critique cette séparation du féminin avec la matière et l’humanité réelle, plaidant pour une incarnation qui harmonise ces deux pôles, spiritualité et enracinement dans la vie quotidienne.

Mais qu’en est-il pour la femme ? Marie incarne plusieurs archétypes puissants : la Vierge, la Mère, mais aussi la Sage, symbolisant à la fois la pureté, la compassion, la réceptivité, l’aspect nourricier et protecteur mais aussi une connaissance intérieure intuitive lié au féminin. Mais un féminin non pas comme simple attribut de genre, mais comme force archétypale présente en chaque individu, homme ou femme.

Annick de Souzenelle, également reconnue pour son exploration profonde de la psychologie jungienne, développe dans Le Féminin de l’Être cette dimension symbolique et spirituelle du féminin, en l’inscrivant au cœur de la quête de l’être. À partir de la traduction du texte biblique en hébreu, elle revisite le mythe d’une Ève « sortie de la côte d’Adam » pour révéler Isha. Dans la Genèse, Isha, qui en hébreu désigne « la femme », est formée à partir d’Ish, l’homme. De Souzenelle interprète ce terme, Isha, comme représentant le féminin de l’être, car il incarne la dimension intérieure, réceptive et cachée de l’humain : ce qui n’est pas encore pleinement advenu à la conscience. Isha se révèle ainsi être un archétype universel du féminin de tout être humain. Pour de Souzenelle, cette dynamique symbolise non pas une infériorité, mais un lien essentiel avec le monde intérieur.

Or, ce qui n’est pas encore éclairé par la lumière de la conscience, tel qu’Isha, fait peur, parce qu’il représente l’inconnu, difficile à contrôler et porteur d’ambivalence. Cet aspect de l’être, bien que porteur d’un potentiel créateur et libérateur, peut être projeté sous un jour négatif car il représente une rupture avec le connu et une invitation à un travail intérieur exigeant. Il s’agit de se confronter à des vérités refoulées et remettre en question les repères établis, notamment par l’ego ou les conceptions patriarcales. En exigeant un travail de transformation, cette part de l’être, bien que créatrice, suscite résistances et inquiétudes, car elle implique une confrontation avec ses ombres et une réorganisation intérieure profonde.

Et Noël, avec Marie comme figure centrale, nous invite à une reconnexion avec ses vibrations archétypales et à une intégration plus profonde de tous les aspects de cette polarité de notre psyché, autorisant ainsi l’accueil du Soi en chacun de nous. Ce cheminement vers le « féminin de l’être » constitue une étape fondamentale du développement spirituel et de la transformation intérieure, rejoignant les dynamiques du processus d’individuation décrites par Jung.

Dans L’âme et la vie Jung écrivait :

« La femme sait de plus en plus que l’amour seul lui donne la plénitude du développement. De même que l’homme commence à saisir que l’esprit seul donne à sa vie son sens le plus noble, et tous deux, au fond, cherchent le rapport qui les unira. Parce que l’amour a besoin, pour se compléter, de l’esprit, et l’esprit de l’amour. » L’âme et la vie, C.G. Jung, p. 130

Ainsi, l’amour aide à dépasser les attitudes unilatérales du Moi. Cette dynamique d’évolution souligne que sous l’activation des grands archétypes de l’inconscient collectif liés à la Nativité, et en résonance avec nos propres structures psychiques, nous sommes invités à initier ou poursuivre un véritable processus alchimique intérieur.

Au-delà des apparences : Noël

Dans sa profondeur symbolique, Noël nous guide bien au-delà des apparences. Ce temps suspendu devient un moment privilégié où l’ombre et la lumière, souvent en tension en nous, trouvent un espace de dialogue, nous poussant à reconnaître et à intégrer les polarités opposées qui nous habitent. Ce cheminement éclaire nos ombres, intérieures et projetées, et nous invite à renouer avec l’unité de notre être.

Enfin, à l’instar du Soi qui représente l’archétype de Dieu, Noël nous invite à faire émerger cette lumière divine en nous. La naissance de l’enfant Jésus dans la modeste crèche, au cœur de la nuit, témoigne de cette révélation du divin intérieur. Et le féminin réconciliateur, incarné par la figure de Marie, met en lumière cette capacité propre à chacun de nous à accueillir le divin dans la matière. Cette fonction transcendante de l’amour ouvre la voie vers le Soi, nous incitant à découvrir ou redécouvrir notre propre dimension sacrée. À travers ce processus d’incarnation, Noël devient le moment privilégié où nous pouvons faire le lien entre l’humanité et le divin, accueillir ce « Dieu intérieur » et ainsi nous rapprocher de cette réalité profonde du Soi, en nous ouvrant à toutes les dimensions de l’amour.

Alors, chers lecteurs, je vous souhaite, une belle présence à vous-mêmes, en cette période de Noël !

Rachel Huber – Décembre 2024

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Rachel Huber

Rachel Huber est praticienne en psychothérapies, sophrologue, enseignante, formatrice et assure des supervisions. Son cabinet se trouve dans le Sud-Est de la France.

Très attachée à la psychologie jungienne, s’appuyant sur des textes fondateurs, elle démontre comment celle-ci apporte un éclairage autour des questionnements liés à nos modes de vie actuels.

Elle est membre Fédération Française de Psychothérapie et Psychanalyse (FF2P).

Pour en savoir plus, voir son site internet Cabinet Sophro-Psy

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