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Qu’est-ce que le féminin, qu’est-ce que le masculin ?

Carl Gustav Jung a abordé tout au long de son œuvre la question du féminin et du masculin. Cette question est fréquemment au cœur de l’actualité. Sommes-nous tous androgynes ?

© Damian Pharren

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Qu’est-ce que le féminin, qu’est-ce que le masculin ?

En deçà de la question du désir sexuel, que ce dernier soit motif de consultation ou non, se trouve un questionnement bien plus profond, plus viscéral : qu’est-ce que le féminin, qu’est-ce que le masculin ?

Cette question, lorsque je la pose, surprend, étonne parfois, tant elle paraît anodine. Mais laisse, toujours, lorsqu’elle pénètre la profondeur de l’être, la porte ouverte au développement d’un autre regard.

« Être ou ne pas être » mais …. « Qu’être ?! »

L’évolution de l’égalité des sexes dans les sociétés est complexe et influencée par de nombreux facteurs tels la culture, la politique et les mouvements sociaux. L’information, véhiculée par les media de masse et les réseaux sociaux tend à exposer les individus à des opinions et des informations similaires, renforçant ainsi leurs préjugés.

Dans ce contexte, si le féminin et le masculin ne sont plus reconnus, car les modèles qu’ils véhiculent ne permettent pas de s’y identifier, alors la question n’est plus : « Être ou ne pas être » mais …. « Qu’être ?! ».

La problématique du féminin et du masculin

D’abord du point de vue de la biologie, il est important de considérer qu’il n’est pas d’homme qui possède uniquement et totalement les caractéristiques du sexe mâle, et il n’est pas de femme qui possède totalement et absolument les caractéristiques du sexe femelle.

En effet, le fœtus, pendant la première partie de sa vie intra-utérine, est asexué. Ce n’est que progressivement que le sexe apparaît et il reste dans tout individu des traces de l’autre sexe.

Sur le versant psychique, Jung met en rapport la représentation archétypique de l’anima à partir de ce fait biologique.

L’anima éclot d’une image intérieure, d’une image de son âme. Ainsi nommée, l’anima est cette part féminine de l’homme qui est en lui. Elle est le principe féminin dans la psyché d’un homme. Elle représente les aspects féminins de la personnalité masculine, y compris les émotions, les intuitions, les sentiments, et d’autres caractéristiques associées traditionnellement au féminin.

L’anima peut apparaître dans les rêves et les fantasmes sous la forme de figures féminines, de femmes, de déesses, etc.

Jung définit ensuite l’animus comme la part masculine de la femme qui est en elle. L’animus est donc le principe masculin dans la psyché d’une femme. Il représente les aspects masculins de la personnalité féminine, tels que la rationalité, la logique, la pensée abstraite, et d’autres caractéristiques traditionnellement associées au masculin.

L’animus peut apparaître dans les rêves et les fantasmes sous la forme de figures masculines, d’hommes, de dieux, etc.

Précisons également que si l’anima est une figure unique pour l’homme, par contre l’animus est une figure multiple pour la femme.

Développons avec les propos du Docteur Roland Cahen :

« L’Anima a des racines, des origines : les unes biologiques, les autres formatives. Au niveau biologique d’abord, chaque être est bisexué, ce n’est qu’au bout d’un certain temps de l’évolution embryologique que l’être indifférencié voit son sexe se préciser de façon déterminée vers l’un ou l’autre sexe. […]

Au niveau endocrinien, aucune ambiguïté : nous savons que l’homme le plus mâle et le plus viril garde, au niveau biologique, des axes de structuration et des traces d’une polarité et d’une polarisation féminine, ou féminoïde, qui aurait été possible. Il semble que ce soit cette donnée  biologique et endocrinologique qui fasse, partiellement, le lit de l’Anima.

Car, à cette polarité féminine au niveau biologique, correspond une espèce de polarité féminine au niveau psychologique. L’homme le plus mâle, le plus viril dans son conscient, dans son inconscient garde les traces d’une psyché féminine : autrement dit, le pré signe de l’inconscient chez l’homme est féminin, et le pré signe de l’inconscient chez la femme est masculin. »
Jung ou la totalité de l’Homme futur « Anima et Animus » 2/8

Nous comprenons ainsi que la totalité de l’être humain, aux niveaux biologique et psychiques, comporte la présence des deux éléments : féminin et masculin.

Le concept d’individuation

L’un des concepts centraux de la psychologie analytique de Carl Gustav Jung est appelé individuation. Il s’agit d’un processus par lequel l’être recherche unité et harmonie intérieure en intégrant les aspects opposés et contradictoires de sa personnalité, tels que le conscient et l’inconscient, la lumière et l’ombre, le masculin et le féminin.

Ce processus représente le voyage de l’être vers la réalisation de soi et la découverte de sa véritable identité. Dans cette quête, le questionnement autour du féminin et du masculin tient une valeur centrale : qu’est-ce que ces notions représentent pour moi, qu’est-ce que j’incarne à travers les valeurs que j’accorde à chacune de ces polarités ?

Sur ce point, anima et animus sont des sources de connaissance essentielles. En effet, quelle est l’image de la femme que je porte en moi, quelle est l’image de l’homme que je porte en moi et que je projette sur l’autre ?

Le mécanisme de projection

Pour commencer à saisir de quelle manière opèrent en l’homme l’anima et en la femme l’animus, il est nécessaire de comprendre ce qu’est le mécanisme de la projection, et c’est avec les mots du Dr Roland Cahen que nous allons le faire :

« Pour que projection il y ait, il faut qu’il y ait une teneur psychique dans l’univers mental d’un être qui soit active, qui soit exclue du conscient, et qui doive demeurer inconsciente, et qui puisse se raccrocher, par quelques atomes crochus, quelquefois forts minimes, à un récepteur de projection.

Une des données projetées par prédilection, c’est l’anima. C’est l’anima dont la manifestation est vraiment universelle. L’anima est cette fonction imageante qui va permettre le lien entre mon conscient et mon inconscient. […]

Il faut bien nous rendre compte que, chaque fois qu’un être attire, de façon fascinante, un autre être, c’est que le fasciné a investi l’objet de sa fascination d’éléments de lui-même qu’il retrouve dans l’autre. L’autre est le réceptacle de ce que de moi-même, j’ai projeté en lui. »
Jung ou la totalité de l’Homme futur « Anima et Animus » 2/8

Mouvements sociétaux : symptôme d’une « maladie sociale » ?

Il semble que le symptôme, que peuvent représenter certains mouvements collectifs (par exemple ce qui relève du mouvement LGBTQIA+), témoigne d’une des maladies caractéristiques du mode de pensée occidental : le dualisme. Dualisme auquel elle a souvent recours en séparant les concepts en oppositions binaires, comme le bien et le mal, le corps et l’esprit, le sujet et l’objet.

Or, une notion fondamentale essentielle de la psychologie de Carl Gustav Jung est, après l’opposition des contraires tels que notre société les éprouve depuis des siècles, la conjonction des contraires. Et, par conséquent, l’enrichissement de l’être à travers l’opposé de ce qu’il connaît actuellement.

C’est là que l’un des questionnements soulevés par les mouvements actuels peut trouver une source de réponse. Car c’est bien de la problématique de l’ipséité [Ce qui fait qu’une personne est unique et absolument distincte d’une autre] dont il s’agit : ce qui constitue l’individualité d’un être, en tant qu’il est lui-même et différent des autres. Plus précisément, son aptitude à se représenter lui-même avec constance, malgré tous les changements physiques et psychologiques qui peuvent advenir à sa personne au cours de son existence. Le processus d’individuation étaye et soutient le développement de l’ipséité, qui se construit et s’élabore tout au long de la vie.

Ainsi, lorsque nous évoquons la question de la nature biologique de l’être humain, qui porte en lui les traces du système glandulaire de l’autre sexe, et que nous replaçons cela dans le contexte du processus d’individuation, qui commence par l’intégration des opposés présents dans la psyché, nous quittons le mode de pensée dualiste pour chercher à transcender ces dualités.

Nous comprenons alors que tout est interdépendant et que l’unité existe au-delà des apparences.

Un des jalons de la psychothérapie est la prise de conscience. Pour Jung, la conscience de soi est une composante essentielle du processus d’individuation. Et toute la ligne de construction de sa psychologie des profondeurs tient en une expérience humaine intérieure et individuelle dont le schéma se retrouve chez tous les êtres humains.

Ainsi, Jung étant profondément intéressé par les éléments universels de la psyché humaine qui transcendent les différences culturelles et individuelles, il fait appel à la notion d’archétype. Forme instinctive de représentation mentale, l’archétype joue un rôle significatif dans la compréhension de la psyché humaine. Et l’archétype qui représente cette conjonction des polarités féminines et masculines se retrouve dans l’iconographie de l’alchimie sous les traits de l’androgyne.

Alors ? Tous androgynes ?

La pensée alchimique est une porte de sortie pour la pensée dualiste occidentale. Elle a contribué à la transformation de la manière dont la réalité était perçue et a encouragé la recherche de l’union des polarités, de l’unité, de l’intégration en offrant une voie pour explorer leur réconciliation vers la transcendance des opposés, contribuant ainsi à élargir la compréhension de la réalité et de la psyché humaine. Une porte que Jung n’hésite pas à ouvrir :

« Il nous apparaît aujourd’hui avec évidence que ce serait une impardonnable erreur de ne voir, dans le courant de pensée alchimique, comme cela a été trop facilement le fait, que des opérations de cornues et de fourneaux. Certes, l’alchimie a aussi ce côté et c’est dans cet aspect qu’elle fût les débuts tâtonnants de la chimie exacte.

Mais, l’alchimie a aussi un côté vie de l’esprit qu’il faut se garder de sous-estimer. Un côté psychologique dont on est loin d’avoir tiré tout ce qu’il y a à en tirer. Il existait une philosophie alchimique, précurseur titubant de la psychologie la plus moderne. Le secret de cette philosophie alchimique et sa clef ignorée pendant des siècles, c’est précisément le fait, l’existence de la fonction transcendante.

De la métamorphose de la personnalité grâce au mélange et à la synthèse de ses facteurs nobles et de ses constituants grossiers, de l’alliage des fonctions différenciées et de celles qui ne le sont pas, en bref, des épousailles, dans l’être, de son conscient et de son inconscient. »
Dialectique du Moi et de l’Inconscient, p.287

L’androgyne alchimique est habituellement représenté comme une figure humaine à la fois masculine et féminine, généralement debout avec une moitié du corps masculin et une moitié du corps féminin, parfois avec deux têtes, l’une masculine et l’autre féminine. Cette représentation symbolise la fusion harmonieuse des polarités opposées présentes en chaque être humain.

Ainsi, les questions posées par les mouvements actuels relatives à la souffrance identitaire éprouvée par certains de ses membres pourraient trouver un modèle exploratoire au sein du processus d’individuation.

En travaillant les notions d’ipséité et de conscience de soi, à travers la figure archétypique de l’androgyne, en tant que symbole de l’unité des opposés, il s’agira de favoriser l’épanouissement personnel et la créativité.

L’androgyne alchimique représente un état de plénitude où les aspects masculins et féminins coexistent en équilibre. L’intégration et l’harmonisation des aspects masculins et féminins de la psyché visent à atteindre la complétude, et plus encore : la réalisation spirituelle.

L’union des opposés

En effet, l’union des opposés est souvent décrite comme un processus de transformation intérieure non seulement sur le plan psychologique, mais aussi sur le plan spirituel, qui conduit à la découverte du Soi.

Élie G. Humbert propose un regard sur la question de la conscience de soi qui s’étend au-delà de soi, vers le Soi Jungien :

« Voilà une question fondamentale pour vivre… La maturation de l’individu ne se fait pas au niveau de ses dons, de son intelligence. Même pas au niveau de ses dons de cœur ou de ses dons d’intuition ou de ses dons d’organisation. Ce n’est pas ça qui fait un individu mûr.

Peu importe, finalement, qu’il soit très doué ou pas très doué. Ce qui fait la maturité d’un individu, c’est quelque chose qui est d’un autre ordre et qui est précisément de l’ordre de la conscience de soi. Cette conscience de soi n’étant pas une forme intellectuelle, il ne faudrait pas le comprendre comme ça. Cette conscience de soi est de l’ordre de la présence à soi-même, et, en même temps,  corrélativement, parce que les deux ne peuvent pas être séparés, de la présence aux autres.

C’est de l’ordre de cette qualité de présence, à la fois dans la permanence et dans le changement. Or, l’histoire montre que le processus par lequel se dégage cette présence à soi-même, que nous appellerons conscience de soi, passe par une crise profonde, une désidentification d’avec tous les dons, d’avec toute la matière psychique dont je suis fait.

Perte d’identification avec le milieu parental, mais pas seulement, avec le milieu culturel, perte d’identification avec le langage, perte d’identification avec les souvenirs, perte d’identification avec les sentiments ordinaires et on passe là par une longue traversée nocturne. Au terme de cette traversée nocturne se produit l’affermissement, on sera très tenté d’appeler ça comme une naissance, de cette présence irréductible à moi-même et aux autres que je suis. »
Jung ou la totalité de l’Homme futur « L’homme moderne » 8/8

Une conscience de soi élargie, qui mène à une plus grande conscience de l’autre, vers un respect accru des différences. Voilà qui ouvre sur l’acceptation de la diversité de l’âme humaine et, si chacun prend part à ce travail, cette vision deviendra sociale.

Novembre 2023

Adresser un message à Rachel Huber

 

Rachel Huber

Rachel Huber est praticienne en psychothérapies, sophrologue, enseignante, formatrice et assure des supervisions. Son cabinet se trouve dans le Sud-Est de la France.

Très attachée à la psychologie jungienne, s’appuyant sur des textes fondateurs, elle démontre comment celle-ci apporte un éclairage autour des questionnements liés à nos modes de vie actuels.

Elle est membre Fédération Française de Psychothérapie et Psychanalyse (FF2P).

Pour en savoir plus, voir son site internet Cabinet Sophro-Psy

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