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La nécessité de reconnaître les forces archétypiques

Les forces archétypiques, actives au sein de notre inconscient, se manifestent d’une manière ou d’une autre, que nous les sollicitions ou pas, que nous le voulions ou non. Nous ne savons quelle forme cet appel va prendre, ni son but, mais il se manifestera. La contribution de notre Moi est essentielle.

Version anglaise de cet article

Vocatus atque non vocatus, deus aderit

Ceci est le proverbe Latin que Carl Jung a fait inscrire au-dessus de la porte d’entrée de sa maison à Küsnacht, et qui a été gravé plus tard sur sa tombe. Il l’avait découvert dans une collection des anciens adages grecs et latins, qui a été compilée durant la Renaissance par l’humaniste néerlandais Erasme.

Le proverbe ci-dessus a été écrit initialement en grec par Thucydide, dans son récit de la Guerre du Péloponnèse quand les Spartiates ont consulté l’oracle de Delphes, avant de partir à la guerre. Plusieurs traductions ont vu le jour en latin, elles sont plus nombreuses en français et en anglais.

La traduction française la plus souvent retenue est Appelé ou non appelé, Dieu sera présent. Deus est traduit par le dieu ou dieu et aderit par sera présent. Dans les traductions anglaises apparaissent également approche, est présent, et dans une lettre de Jung en 1960 sera sur place. Voici l’extrait de cette lettre (Correspondance 1958-1961, p. 221) : 

« Il signifie : oui, le dieu sera présent, mais sous quelle forme et avec quelle intention ? J’ai fait graver là cette inscription pour rappeler à mes patients et à moi-même : Timor dei initium sapientiae [La crainte de Dieu est le début de la sagesse]. Ici commence une autre voie tout aussi importante, non pas d’approche du « christianisme », mais de Dieu lui-même, ce qui semble bien être l’ultime question. »

Les dieux selon les jungiens

Il est important de garder à l’esprit que quand les jungiens parlent de Dieu (ou des dieux), ils ne le prennent pas au sens littéral, comme le font la plupart des personnes qui se réfèrent à une pratique religieuse. Les jungiens peuvent adhérer à n’importe quelle religion ou pratique spirituelle et peuvent même être athées ou agnostiques.

Les jungiens considèrent les mythes et les contes de fées comme l’expression d’une réalité psychique attachée à une culture particulière, au moment où ils ont vu le jour. Certains éléments sont universels et leurs images ou représentations se retrouvent dans la plupart des cultures.

En terme jungien nous les appelons images archétypiques. De la même manière que nous analysons et interprétons nos rêves personnels pour en apprendre davantage sur ce qui se produit dans notre inconscient personnel, les jungiens analysent leur contenu symbolique, partagé par un grand nombre de personnes, pour mieux appréhender les manifestations de l’inconscient collectif. 

La comparaison des diverses versions révèle les idées et les systèmes de croyances dans les différentes cultures et à différentes époques.

Les symboles religieux et les différents récits, y compris ceux véhiculés par la littérature moderne et le cinéma, tombent dans la même catégorie. Dieu, ou les dieux, sont vus comme des représentations des forces archétypiques en action dans l’inconscient collectif d’un peuple.

Le dieu sera présent, mais sous quelle forme et dans quel but ?

Les forces archétypiques, actives au sein de notre inconscient, se manifestent d’une manière ou d’une autre, que nous les sollicitions ou pas, que nous le voulions ou pas. Nous ne savons pas quelle sera la forme que cet appel va prendre ni le but de cet appel, mais il se manifestera. Le dieu sera là, nous appelant à l’action, pour changer et transformer notre vie, d’une façon ou d’une autre.

Il arrive que nous ne reconnaissions pas ce qui arrive en tant qu’appel. Parfois celui-ci peut se présenter comme une tragédie, une perte, un deuil, et c’est uniquement après plusieurs années que nous découvrirons le véritable but de cet appel.

L’exemple classique est celui de quelqu’un qui tombe gravement malade et qui par la suite change d’attitude et se reprend en main. Le plus souvent, cette personne est profondément modifiée par l’épreuve qu’elle a subie. Par exemple, elle accorde de l’attention aux autres et/ou trouve sa véritable vocation.

Les voies de Dieu sont impénétrables

Cet adage est généralement utilisé pour encourager une personne à faire confiance à Dieu, à ses plans, face aux événements inexpliqués qui surviennent dans sa vie et aux troubles qu’ils peuvent entraîner. La tradition chrétienne monothéiste voit en Dieu un être omni-bienveillant, omniscient et tout puissant, qui nous aime et ne veut que notre bien.

De son côté, la psychologie jungienne s’appuie sur des forces archétypiques multiples qui sont de nature double, comprenant des aspects positifs et négatifs. De plus, chacune de ces forces agit indépendamment des autres et poursuit son activité, obéissant ainsi à son propre schéma.

Non seulement elles ne s’intéressent pas aux autres forces archétypiques qui suivent un déroulement différent, mais elles ne se sentent pas concernées par nos souhaits conscients. Elles sont indépendantes de la réalité de notre moi conscient et des engagements qu’il a pris.

Les voies des dieux archétypiques jungiens sont en effet impénétrables. Mais ces dieux sont égoïstes, et leur connaissance et leur pouvoir sont limités, comme c’est le cas pour les dieux de la mythologie grecque et nordique.

Ces forces archétypiques sont comme les instincts, dans le sens qu’elles se battent entre elles pour satisfaire leurs besoins et nous mènent dans des directions différentes. Livrées à elles-mêmes, elles peuvent nous détruire.

Cela nous ramène à une deuxième citation dans la lettre de Jung, « Timor dei initium sapientiae », que l’on peut traduire par « La crainte de Dieu est le début de la sagesse ». Si nous craignons et faisons attention aux forces archétypiques qui s’exercent dans notre inconscient, nous accéderons à plus de sagesse.

Le processus d’individuation

C’est le rôle de notre moi, puisqu’il est au centre de la conscience, de prêter attention à ces forces archétypiques. C’est lui qui est conscient de ce qui se passe car il possède une vision globale et peut fonctionner en tant qu’observateur.

Lorsque nous apprenons à reconnaître l’action des forces archétypiques qui se jouent en nous, nous sommes en mesure de les rendre conscientes. Ce processus, Jung l’a nommé processus d’individuation.

Nous pouvons dialoguer avec ces forces et réduire leur pouvoir, brut et inconscient, qui peut occasionner de nombreux ravages dans nos vies.

Quand nous sentons l’appel, nous devons nous mettre à l’écoute, d’une manière ou d’une autre. Ignorer nos besoins archétypiques les plus profonds, tout comme ceux de nos instincts, aurait des conséquences désastreuses.

Leur « pression » n’en sera que plus forte, jusqu’au moment où ils seront pris en compte et prendront place dans nos vies.

A tout moment, nous pouvons compter sur l’archétype du Soi qui est le « centre organisant et unifiant de la psyché complète (consciente et inconsciente) comme le moi est le centre de la personnalité consciente » (Edward Edinger, Ego and Archetype, p. 3).

Le Dieu invoqué et celui non invoqué se présenteront dans nos vies

Durant un entretien sur Jung Platform, l’analyste jungien néerlandais Robert Bosnak a proposé une traduction différente du proverbe latin “Vocatus atque non vocatus, deus aderit”. Il avance la proposition qu’en tant qu’être humain nous sommes également soumis à des événements aléatoires, auxquels nous ne ne sommes pas toujours en mesure de donner une signification.

Selon Bosnak le dieu qui est invoqué, et celui qui ne l’est pas, vont tous les deux entrer dans nos vies. Le dieu qui est invoqué correspond à ce qu’on considère en général comme un appel ou une vocation. C’est une force positive dans notre vie.

D’un autre côté, le dieu qui n’est pas invoqué correspond à quelque chose qui détruit notre vie, comme un cancer, une dépression, ou, sur une autre échelle, la pandémie de COVID-19. Selon lui il est erroné d’essayer de trouver du sens dans un événement à caractère aléatoire, et c’est même une réaction de fuite.

Selon ses propres termes : « Une partie de la vie est souffrance. Ne lui tournez pas le dos mais ne lui donnez pas tout de suite un sens. Dîtes simplement : aï, ça fait mal ! » Il est impossible de trouver un sens dans certains des événements qui nous touchent,  mais nous pouvons nous positionner en accord avec notre vocation.

Bosnak, pour sa part, a décidé d’animer des ateliers en ligne gratuits appelés « the Spooky dreams café » ou « café des rêves qui font peur ». Durant ces séminaires hebdomadaires, les personnes sont invitées à partager ce qui se présente dans leurs rêves, aujourd’hui liés à la pandémie du Covid-19. La spécialité et la vocation principale de Bosnak se trouvent dans ce travail autour des rêves.

Sens et capacité d’adaptation

Le manque de sens d’un événement tragique, ou de n’importe quel autre événement, ne signifie pas que nous ne pouvons pas accomplir une action significative, en accord avec notre vocation.

Il me paraît important de souligner que notre résilience et notre capacité d’adaptation ne sont pas liées au fait qu’à l’origine certains événements ont du sens ou n’en ont pas.

Juillet 2021

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Peggy Vermeesch

Basée en France, Peggy Vermeesch est psychopraticienne d’orientation jungienne. Elle enseigne l’anglais pour psychologues à l’Université de Bretagne Occidentale, et a également un long parcours de chercheuse en géophysique à l’Imperial College London, l’université du Texas (États-Unis) et celle de Southampton (Royaume-Uni).

Contributrice au sein de l’équipe Espace Francophone Jungien (EFJ) elle assure également les liens entre le monde anglophone (Jungian Psychology Space) et francophone.

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