Quelle est la ligne éditoriale des éditions La Fontaine de Pierre ? Quels sont les ouvrages qu’ils ont publiés ? Comment se situent-ils dans “le paysage” jungien ? Ils répondent à nos questions.
Parmi les ouvrages des éditions de La Fontaine de Pierre…
EFJ : Les éditions de La Fontaine de Pierre ont vu le jour il y a plus de 40 ans. Pouvez-vous en préciser le contexte ?
La Fontaine de Pierre : Les éditions de la Fontaine de Pierre sont nées en 1978, fondées par Étienne et Francine Perrot.
Tous deux avaient à cœur de mieux faire connaître la psychologie de C.G. Jung en France et en pays francophones. Jung et sa psychologie les avaient, l’un comme l’autre, infiniment aidés, et ils étaient devenus analystes et conférenciers dans ce domaine.
Marie-Louise von Franz, la très proche collaboratrice de Jung, a été l’analyste de Francine Perrot, et Étienne Perrot la consultait lui aussi régulièrement. Elle a signalé à Francine Perrot l’existence de cours en anglais qu’elle avait donnés à l’Institut C.G. Jung de Zurich.
Francine les a lus, les a beaucoup appréciés et plus tard, avec l’approbation de Marie-Louise von Franz, a commencé à traduire un premier livre consacré à une interprétation d’un conte d’Apulée, L’Âne d’Or. N’ayant pas trouvé d’éditeurs qui prennent ce manuscrit, ils se sont décidés à le publier par eux-mêmes, et ils ont créé leur maison d’édition. D’autres livres sur les contes de fées ont suivi.
Dans le même temps, Étienne Perrot donnait des conférences sur l’alchimie, sur l’interprétation des rêves, et rassemblait ses différentes conférences en livres. Et il écrivait des articles, publiés dans des revues avant de devenir des livres. Il s’était par ailleurs consacré à la traduction de certains des livres alchimiques de Jung.
Tel est le point de départ des éditions.
Quelle est la ligne éditoriale des éditions La Fontaine de Pierre ?
Si nous essayons d’évoquer quelle est la ligne éditoriale suivie par les éditions depuis que nous les avons reprises en 2005, aidés de quelques amis, nous dirions que nous avons privilégié les auteurs étroitement reliés à Jung, comme Marie-Louise von Franz ou Barbara Hannah, car leurs livres parlent très directement à l’âme.
Or, le souci de nos éditions est moins l’analyse conceptuelle ou théorique de l’œuvre de Jung que la pratique d’une rencontre avec l’inconscient. On pourrait dire que la lecture des livres que nous éditons place le lecteur dans sa propre réalité intérieure en vue d’une transformation, ce qui signifie qu’elle peut jouer un rôle dans son cheminement ou dans l’apaisement de ses souffrances.
L’alchimie, les contes de fées sont au cœur de la plupart de vos ouvrages ?
Comme disait Étienne Perrot, l’alchimie, c’est la transformation. D’où aussi notre souci de mettre à la disposition des lecteurs quelques grands textes alchimiques ou des études et méditations sur des textes ou des images alchimiques qui ont tant inspirés Jung.
Pour Jung, pour nos auteurs, les contes de fées sont, sur le plan collectif, ce que les rêves sont sur le plan individuel : une rencontre avec l’inconscient, avec l’inconnu en nous. Les contes et mythes reflètent l’âme collective d’un peuple à une époque donnée alors que les rêves reflètent l’âme individuelle d’un être. Les livres de Marie-Louise von Franz partent souvent d’un thème qui se trouve dans les contes. Étienne Perrot part plus souvent d’un rêve pour en montrer ensuite l’universalité.
Quel est le rôle des images dans les contes et mythes ?
Des images de contes et de mythes peuvent soudain apparaître dans le rêve d’un individu, vous, moi. Pourquoi ? Parce qu’il existe un fond commun à tous les êtres, que Jung a appelé l’inconscient collectif, et qui se manifeste dans les rêves par des images archétypiques, universelles, primordiales. Par exemple l’arbre de vie, ou l’animal qui porte secours et guide, qui parle et enseigne, ou Mère Nature, ou le Père protecteur… ou, si ces images sont redoutables, l’animal dévorateur, la sorcière ou le diable.
Les images de contes, de mythes, peuvent éclairer de manière très significative ce qui se passe dans la profondeur de l’inconscient de chacun. Il est donc essentiel, pour celui qui interprète les rêves, puis pour ce rêveur lui-même s’il le souhaite, d’apprendre à connaître contes, mythes, légendes pour comprendre ce qui se joue à l’intérieur de lui, pour prendre conscience, accueillir, assimiler des forces puissantes qui sont à l’œuvre en lui. D’où l’importance de ces images dans nos livres, dans Le Symbolisme des animaux de Barbara Hannah, par exemple.
Vous pouvez nous donner un exemple ?
Dans Entretiens, Jung donne l’exemple d’une femme qui avait peur des orages et croyait que c’était son mari qui la visait personnellement à travers les orages, puisqu’il aimait les orages.
Jung montre qu’elle projette l’image de Zeus et de ses éclairs sur son mari, que le mythe de Zeus se revit dans la relation que cette femme a avec son mari, que cet archétype l’habite si fortement qu’elle peut difficilement vivre une relation humaine avec un homme.
Si un tel mythe reste inconscient, il possède la personne qui le vit, alors que, s’il devient conscient, il place la personne dans un mouvement plus vaste, plus universel que son moi, son ego. Mais il s’agit d’en être conscient, sinon le mythe, l’archétype s’empare de nous et nous mène par le bout du nez, ce qui peut parfois avoir des conséquences graves.
Comment s’exprime l’inconscient ?
Grâce aux contes et aux légendes relatés dans nos livres, grâce aux images alchimiques ou contemporaines, grâce aux rêves, l’inconscient se manifeste dans son propre langage symbolique. Ensuite, les commentaires faits par nos auteurs sur ces contes, images ou rêves amènent à la compréhension consciente des processus se déroulant dans la profondeur de chacun.
Ce qui est à l’œuvre dans nos livres, c’est le processus consistant à établir un lien entre le conscient et l’inconscient, c’est la découverte de la dialectique du moi et de l’inconscient, pour reprendre le titre d’un livre de Jung.
L’archétype du Soi est décrit dans un grand nombre d’ouvrages ?
Nos livres sont consacrés à la psychologie junguienne en général, mais ils tendent à mettre en évidence la présence du Soi en nous. Comme le dit Jung dans une définition du Soi : le Soi est le centre régulateur de la psyché. D’où son importance.
En d’autres termes, il est un archétype se manifestant sous la forme de la totalité ou de Dieu. Voir les choses et les processus psychiques sous l’angle du Soi permet d’entrer dans le chemin d’individuation.
Oui, mais comment décrire ce chemin d’individuation ?
Rappelons que individuation signifie devenir un, unifié. Nous sommes bien loin d’un chemin où l’individualisme prime, mais plutôt sur un chemin qui conduit à l’un, c’est-à-dire à la totalité.
Plusieurs de nos livres traitent de l’individuation ou de la complétude, et des rêves qui reflètent ce cheminement. Le travail d’Étienne Perrot va dans ce sens. Marie-Louise von Franz nous y conduit dans ses analyses de contes ou ses ouvrages consacrés à l’alchimie (Alchimie, Aurora consurgens) et aux archétypes (Âme et archétypes).
Edward Edinger, dans L’Archétype de l’Apocalypse ou Rencontre avec le Soi, analyse certains textes bibliques comme le Livre de Job ou l’Apocalypse. Cette dimension spirituelle de l’œuvre de Jung n’est pas toujours mise en relief, mais nos éditions y sont très sensibles et privilégient les ouvrages dédiés à ce domaine.
D’où l’étude passionnante de Hayao Kawaï, Le Boudhisme et l’art de la psychothérapie. Livre d’ailleurs très vivant, par les contes japonais racontés et par l’expérience personnelle de l’auteur en tant que thérapeute junguien au Japon.
Vos livres s’inscrivent en ligne directe avec ceux de Jung ?
Jusqu’à maintenant, nous sommes restés au plus près de l’héritage de Jung, en traduisant ou republiant des livres de Jung et de ses proches. Nous avons aussi composé des livres sur la base de manuscrits laissés par Etienne Perrot et par Francine Perrot, dont nous avons sorti l’autobiographie.
Mon analyse avec Jung de Sabi Tauber est aussi un livre posthume. Il relate les rencontres de l’auteur avec Jung, permettant d’être au cœur du processus analytique avec Jung.
Des auteurs plus contemporains sont également présents ?
Nous avons aussi publié une interprétation junguienne de la légende de Tristan et Yseut, Yseut : La vie, la mort, le renouvellement. Écrit par un auteur actuel, Leonardo Hincapié, ce livre fait le pont entre la littérature et la psychologie des profondeurs.
Ce que fait aussi, de manière différente, plus proche des analyses de contes de Marie-Louise von Franz, Le Bossu dans les contes, les mythes et la littérature, de Monica Malamoud.
Près de 70 titres ont été publiés depuis 1978 ?
Sur un plan concret, les livres que nous publions sont pour la plupart des ouvrages de référence dont l’intérêt ne se dément pas. L’Âne d’or, par exemple, sorti en 1978, continue de se vendre régulièrement, et nous en avons écoulé plus de 10’000 exemplaires en quarante ans !
Depuis que nous avons repris les éditions de la Fontaine de Pierre, nous avons cherché à diversifier les supports qui véhiculent les images de l’inconscient. Tout le monde n’est pas réceptif à l’écrit et nous avons publié des livres illustrés qui permettent de mieux visualiser ces images : c’est le cas des livres d’Edward Edinger, et notamment Rencontre avec le Soi, un commentaire des illustrations du Livre de Job réalisées par William Blake.
Nous pouvons citer également les livres d’alchimie, en premier lieu Le Rosaire des philosophes dont les illustrations ont inspiré La Psychologie du transfert de Jung, ainsi que La Lumière sort des ténèbres, qui allie les peintures du monde de l’inconscient réalisées par le peintre suisse Peter Birkhäuser et leur commentaire par Marie-Louise von Franz, qui était son analyste.
Certains de vos livres sont accompagnés de CDs ?
Nous avons également privilégié la communication orale avec deux ouvrages qui contiennent des CD tirés d’émissions à France Culture et France Inter : La Quête du sens de Marie-Louise von Franz (où elle s’exprime en français) et Quand le rêve dessine un chemin d’Étienne Perrot.
De plus, pour allier l’étude plus théorique à la pratique, nous avons publié un livre qui contient le DVD d’une imagination active. Sous le titre Imagination active, imagination musicale, ce livre rassemble des textes de Jung, Marie-Louise von Franz et Barbara Hannah, ainsi qu’un film tourné par l’analyste et réalisateur Christian Tauber.
Quelles sont les dernières nouveautés ?
Dernièrement, grâce à des livres au format poche vendus au prix de 10 €, nous avons cherché à atteindre un public plus large et notamment plus jeune.
De C.G. Jung lui-même, nous avons republié Psychologie et Religion, un livre resté longtemps épuisé. Et nous allons sortir prochainement, pour la première fois en France, les Conférences de Jung sur Aurélia de Gérard de Nerval.
Dans quels pays vos livres sont-ils distribués ?
Nos livres sont bien sûr distribués en France, en Belgique, en Suisse et au Canada, mais nous avons des correspondants qui suivent de près nos éditions dans diverses parties du monde (dans différents pays européens — Espagne ou Roumanie par exemple — ainsi qu’aux États-Unis, au Mexique, en Colombie, au Brésil, au Maroc, ou au Japon).
Que pouvez-vous ajouter à l’adresse de vos lecteurs ?
De manière très générale et en conclusion, nous pouvons dire que l’esprit de notre temps demande à s’ancrer. L’expérience de l’inconscient, est, nous semble-t-il, une terre féconde, là où esprit et matière se rencontrent, où l’expérience individuelle est en lien étroit avec l’universel ou le collectif.
Nous remercions Monique et Michel Bacchetta qui ont bien voulu répondre à nos questions. N’hésitez pas à visiter le site des Éditions de La Fontaine de Pierre.
Propos recueillis par Jean-Pierre Robert, avril 2020