Carl Gustav Jung et Wolfgang Pauli nous ont déjà emmenés au théâtre des rêves. L’invitation est maintenant celle d’une rêveuse dont les songes sont plus récents.
L’histoire raconte la lutte entre un conscient tourmenté et un inconscient qui se manifeste parfois avec violence dans cette série de rêves riche en dialogues et en rebondissements.
Présentation
Dans un article précédent, j’avais emmené le lecteur à une représentation théâtrale dont l’auteur était l’inconscient s’exprimant par l’intermédiaire d’une série de rêves. Les rêves étaient reçus par le physicien W. Pauli et on peut dire, en faisant un raccourci, que C.G. Jung en était le metteur en scène.
Dans cette série de la Rêveuse, tout est différent.
D’abord, dans la première partie de la série, l’influence de Jung est quasiment absente.
Ensuite, la personnalité de la Rêveuse est très éloignée de celle de Wolfgang Pauli. C’est une femme et, même si elle a fait des études et si elle est assez cultivée, ce n’est pas, comme le Rêveur, un prix Nobel. Elle est mariée et mère de famille mais souffre beaucoup psychologiquement car elle a subi des chocs qui ont faussé sa relation aux autres et à elle-même.
Pour finir, la série de rêves que Jung présente dans Psychologie et alchimie est très résumée. Il privilégie, en dépouillant les rêves de ce qui lui semble inutile, les matériaux qui contribuent à l’élaboration du rêve final : la vision satisfaisante pour le Rêveur de l’Horloge du monde.
Les songes de la Rêveuse se présentent d’une manière très différente. Ils sont pratiquement tels qu’elle les a notés dans son carnet de rêves. Le choix a été fait seulement sur le nombre des rêves et la suppression de détails trop personnels. Ils sont aussi très riches en dialogues, ce qui en fait, encore plus que pour le Rêveur, des manifestations pures du théâtre de l’inconscient.
Mouvements et rêves initiaux
La série complète comporte deux grands mouvements : La Rêveuse recevant seule les messages de l’inconscient et la Rêveuse aidée par l’intervention d’un analyste Jungien.
Dans la première partie, on peut assister aux manifestations de l’inconscient qui écrit déjà le texte de la pièce de théâtre mais la Rêveuse ne sait pas le lire.
Dans la seconde partie, il s’écrit d’une tragi-comédie qui a pour sujet la guerre entre le conscient et l’inconscient de la Rêveuse qui, avec l’aide de l’analyste et de la pensée de Jung, rédige ce qui ressemble de plus en plus à une pièce de théâtre. Les dialogues sont nombreux et souvent d’une inspiration assez surréaliste.
Ce qui m’apparait comme le plus intéressant est le fait que, comme dans la série présentée par Jung, les premiers rêves qu’il appelle les « rêves initiaux » sont un véritable prologue à l’ensemble de la représentation de l’inconscient.
Les deux prologues
Le Rêve numéro 1 a été reçu plus de dix ans avant les autres rêves de la série.
À cette époque la Rêveuse ne notait pas ses rêves. Il a vraiment fallu que ce rêve l’impressionne pour qu’elle l’écrive et le conserve. C’est un grand rêve, au sens jungien, et il représente un véritable premier prologue à la représentation de l’inconscient.
Le rideau du théâtre intérieur est déjà levé mais la Rêveuse est incapable de s’en rendre compte.
Les rêves 2 à 5 sont un nouveau prologue.
L’inconscient, un peu comme dans les comédies populaires, raconte toujours la même histoire avec des variantes, jusqu’à ce qu’elles soient comprises.
Dans ces deux prologues, comme dans les rêves de W. Pauli, l’essentiel est annoncé. Tout était déjà là mais les deux rêveurs ne le voyaient pas.
Premier prologue
Le décor est planté
Rêve no 1 : l'afficherCe rêve isolé, et très antérieur au reste de la série, est déjà une ébauche de la pièce de théâtre qui va se jouer.
Le décor est planté. C’est celui du passage difficile d’un mur percé d’un trou s’ouvrant sur un autre endroit. Cela représente ce que Jung appelait une perméabilité avec l’inconscient. Cet accès privilégié demande une disponibilité d’esprit mais aussi la possibilité d’une incarnation prenant racine dans la Nature. Or, le bas du corps de la Rêveuse ne franchit pas le mur, elle est « coincée ».
Présence de la Rêveuse
La Rêveuse est l’actrice principale de la scène et ce sera souvent la cas dans la série. Il y aura de l’action autour d’elle mais elle ne sera pas seulement spectatrice. Elle participera activement à l’action et aux dialogues.
La Rêveuse est d’autant plus présente que c’est son histoire, remplie de « bruits et de fureur », enfouie dans les profondeurs de son inconscient, que racontera cette série de rêves.
Les personnages déjà là
Dans cet unique rêve on observe l’émergence de personnages que l’on retrouvera et que l’on verra évoluer tout au long de la série.
L’homme inconnu séduisant et aussi aidant aura un rôle essentiel. C’est l’homme rêvé par rapport aux hommes du réel qui seront plutôt considérés comme des autres dont il faudra se méfier, celui avec lequel il faudra faire le lien pour réaliser la conjonction. Il se présentera dans le rôle d’un futur « compagnon » doté d’une spiritualité qui le rendra quasi christique.
On notera que, à ce stade, l’inconnu séduisant n’a pas de visage pour la Rêveuse.
Le mari avec sa présence discrète est là et sera toujours là. Il aura un rôle important car il représente la vraie vie, l’incarnation.
La femme dominatrice à la voix autoritaire qui se retrouvera sous diverses formes du très négatif au très positif. Sa symbolique va de l’animus négatif de la mère de la Rêveuse à la Grande Mère représentation du Soi. Ses paroles peuvent être blessantes où très révélatrices de l’enseignement de l’inconscient.
Quelle est l’action dans ce rêve initial ?
Le thème général : comme dans beaucoup de pièces de théâtre il s’agir d’une histoire d’amour contrarié. Manque d’amour pour l’opposé masculin et manque d’amour de la Rêveuse pour elle-même. Cela prend dans cette série de rêves la forme d’une tragédie allant jusqu’au meurtre et enracinée en des sentiments très anciens.
Un des thèmes principaux, la guerre à l’incarnation et à ce qui se cache dans l’ombre est déjà déclarée. La Rêveuse se rebelle contre les injonctions de la femme autoritaire. Elle ne supporte pas de se faire traiter « d’empotée« , c’est à dire d’enfermée avec ses racines dans l’étroitesse d’un pot.
Le dénouement est très théâtral : la Rêveuse abandonne et ressort du trou. Cela préfigure toutes les occasions manquées, les surdités aux injonctions de l’inconscient, les énervements devant certains messages incompréhensibles, les renoncements.
Sans le savoir, en disant « tu n’as qu’à passer toi ! », la Rêveuse demande à l’inconscient de faire le travail à sa place mais il en est incapable.
La dernière phrase « comment veux-tu que j’y arrive si tu n’y arrives pas « est essentielle car, même si la Rêveuse des années plus tard recevra de l’aide, ce sera toujours à elle d’effectuer le travail.
Second prologue
Les rêves initiaux
Bien des années ont passé et, à la suite de circonstances que j’ignore, la Rêveuse, fortement interpellée par les messages de son inconscient, décide de noter ses rêves.
Comme dans la série de W. Pauli, les premiers rêves auxquels elle prête attention sont un prologue à la véritable pièce de théâtre qui va se jouer ultérieurement. Il s’agit des rêves 2 à 5.
Ces rêves et tous ceux qui suivront jusqu’au travail avec l’analyste, sont des manifestations brutes de l’inconscient.
Les nouveaux personnages
Des personnages importants, en plus de la Rêveuse, étaient déjà là au moment du premier rêve. Il s’agit de deux hommes et d’une femme. On les retrouve ici dans différents rôles et à divers niveaux de manifestation de l’inconscient.
Des personnages nouveaux apparaissent : des enfants (une petite fille et un petit garçon) et des animaux (chat et papillon). Les enfants et la présence animale auront tous deux leur rôle dans les représentations à venir. On observe aussi deux gros vers mais ils sont plutôt symboliques de la dualité et on ne les reverra pas.
La quête de la Rêveuse
Même si la Rêveuse ne le sait pas, elle entame une quête qui s’initie au rêve 2.
Rêve no 2 : l'afficherAlors qu’on lui donne des morceaux de pain rassis, elle demande : Dois-je les donner à une oeuvre ? Cela signifie, même si c’est peut-être tardif, dois-je quand même entreprendre un travail, une Œuvre, au sens alchimique du terme ? Elle y est fortement incitée par un homme qui crie à la petite fille, sa version enfantine : Vas-y ! Vas-y ! On ne peut s’empêcher de penser à la femme autoritaire du premier prologue qui criait : Vas-y, fais un effort, empotée.
Dès ce premier rêve du second prologue il est dit que la quête sera longue et intense. En effet, l’homme qui s’adresse à la Rêveuse lui demande si elle a apporté des lunettes pour voir de loin. Elle répond que non. Il lui fait alors cette réponse qui est tout un programme : Il faut y aller car pour le travail que nous allons faire il faut voir loin.
Notons, dans ce rêve initial, un encouragement discret : la Rêveuse dit qu’elle habite tout près. Même si elle ne le sait pas, elle est très perméable aux enseignements de l’inconscient. Le tout sera de savoir les interpréter et pour cela il y a un gros travail à venir.
Autres thèmes annoncés
Au rêve 3 il est annoncé que cela va être saignant et il est vrai qu’il y aura des moments violents et tragiques.
Rêve no 3 : l'afficherIl est aussi dit qu’il faudra soigner la Rêveuse, représentée ici par un chat. Le grand problème de la dualité est déjà présent et symbolisé par deux gros vers à l’intérieur.
Au rêve 4 on trouve à la fois une allusion à cet enfant intérieur si maltraité, à la recherche duquel elle devra partir, et une connotation alchimique que l’on retrouvera souvent dans la série. Je pense à l’Enfant des Philosophes et à l’Œuf Alchimique.
Rêve no 4 : l'afficherCertains des œufs apportés par l’enfant sont cassés ce qui montre bien combien l’héroïne de la pièce est elle même cassée.
Le problème de l’incarnation
Le rêve 5 est à lui seul une petite tragédie.
Rêve no 5 : l'afficherIl raconte la difficulté, déjà évoquée dans le premier prologue, d’habiter une enveloppe corporelle. Elle sait qu’il faut soigner ce refus de l’incarnation puisqu’elle est chez un médecin mais le dégout de sa chair est le plus fort.
Le papillon symbolise généralement la légèreté, la vie de l’âme. Dans ce dernier rêve il est énorme, plein de chair et de graisse. C’est une annonce de tout le ressentiment de la Rêveuse qui tape avec violence sur une image de l’incarnation que son point de vue aliéné voit comme la cause de ses blessures.
L’exposition des différents points de vue
Les pièces de théâtre exposent différents points de vue. Il en est de même pour la représentation donnée par cette série de rêves.
La pensée du Rêve n’est pas unilatérale. Les rêves négatifs ou violents seront souvent compensés par des rêves qui vont, progressivement, faire gagner du terrain à des récits joyeux et positifs.
Le rêve 5 est une annonce de ces aspects changeants. Ici, quand le chat arrive et risque de dévorer le papillon gras, la Rêveuse se rend compte de l’horreur de son geste. Elle craint la mort définitive de cette chair détestée et cela suscite en elle une forte émotion.
Tout est déjà là
Comme le disaient le nymphes au Rêveur dans la série étudiée par Jung, tout est déjà là. Le rideau va pouvoir se lever sur le grand théâtre des rêves.
On va écouter des voix venues d’ailleurs, des monologues et des dialogues. Les acteurs vont s’interpeller. On rira, on pleurera et on ressentira le frisson de la peur. Il se peut que l’on ait parfois du mal à saisir les intentions de l’Inconscient/auteur. Cependant, à aucun moment, le spectacle des rêves ne laissera le spectateur indifférent.
J’espère que les articles à venir vous le démontreront.
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