L’individuation, telle que la conçoit C.G. Jung, est un cheminement vers l’unité intérieure, un processus exigeant qui ne doit pas être confondu avec l’individualisme. Alors que ce dernier isole et privilégie l’ego, l’individuation vise l’accomplissement de l’être en harmonie avec l’inconscient et la collectivité. Comment Jung définit-il ce processus et quelles sont les étapes qui jalonnent cette quête intérieure ? Ariane Callot
C.G. Jung et la dialectique du Moi et de l’Inconscient
C’est dans son ouvrage Dialectique du Moi et de l’inconscient que Jung nous parle de la manière la plus claire du cheminement vers cette réalisation d’une complétude qu’il appelle l’individuation. C’est pourquoi je ferai uniquement référence à cet ouvrage.
Cette voie nous propose un chemin de vie dont le but est de devenir un être individuel en permettant au Soi de s’exprimer dans ce qu’il a de plus personnel et de plus incomparable.
Pour suivre ce chemin il est nécessaire de se débarrasser de tout excédent de bagages, de tout vêtement superflu, en particulier du déguisement social et des fausses idées que l’on se fait de son importance. On peut dire que, symboliquement, il faut voyager nu.
Individuation et individualisme
On ne doit pas confondre individuation et individualisme.
L’individualisme, sous prétexte de particularités de l’individu, le met à l’écart de la collectivité et le dispense de ses devoirs envers autrui. Il se pense au dessus du commun des mortels.
L’individuation, au contraire demande un « accomplissement meilleur et plus complet des taches collectives d’un être ». Accomplir sa nature d’être est aux antipodes de l’égoïsme. (cf. p.116)
Le processus d’individuation vu par Jung
Le processus d’individuation, vu par Jung, s’accomplit avec des fonctions et des qualités qui sont de nature universelles. Ces fonctions sont utilisées pour faire d’un individu donné « l’être que, une fois pour toutes, et en lui-même il doit être », en lui permettant d’atteindre son unicité par un mouvement de « centroversion » vers un lieu, l’inaccessible étoile, où se concentrent la totalité des contenus du conscient et de l’inconscient.
Atteindre l’individuation serait donc rentrer en possession de sa propre totalité unifiée, là où se résorbe l’antagonisme entre le conscient et l’inconscient.
Un développement en forme de spirale
Le processus d’individuation est souvent comparé à une spirale. Le Moi tourne autour du Soi, s’en approche, s’en éloigne, mais, au fil des prises de conscience, la distance tend à se réduire. Dans les premiers temps du travail intérieur, le lien entre le Moi et le Soi est souvent ténu, voire inexistant, avant de se tisser progressivement.
Les rêves nous guident dans ce processus en apportant de nouveaux matériaux. Les images perçues au cours de la journée jouent également un rôle important tout comme l’imagination active qui permet d’accélérer l’intégration en sollicitant directement les figures intérieures.
Jung et le cheminement sur la voie
Notons que Jung parle d’une « voie, de « tendre vers ». C’est le cheminement qui est important car la finalité qui est la totalité de l’être se situe au-delà de toute possibilité de représentation. En effet, sa RE-présentation (comme le dit Edgar Morin) à la conscience ferait aussitôt éclater la totalité en dualité.
Le but est d’avoir la sensation de la non opposition, et même de la complémentarité, du Soi et du Moi :
« Quand on parvient à percevoir le Soi (…) auquel le Moi ne s’oppose pas et auquel le Moi n’est pas soumis, mais auquel il est adjoint et autour duquel il tourne en quelque sorte comme la terre autour du soleil, le but de l’individuation est alors atteint. »(p.258)
Processus d’individuation et alchimie
Jung pense que le processus d’individuation est une voie difficile. Il considère cette voie comme tout aussi périlleuse et incertaine que la dernière phase du Grand Œuvre des alchimistes. Il les compare symboliquement.
Par exemple, considérant le fameux problème de la quadrature du cercle qui fut l’une des grandes préoccupations des alchimistes, il pense que ce problème « surgit à point nommé pour représenter de façon symbolique l’individuation »(cf.p.225)
Pour Jung, le secret de la philosophie alchimique est comparable à celui de la métamorphose de la personnalité quand se mélangent facteurs nobles et constituants grossiers. Il nous parle, de manière très poétique, des épousailles dans l’être du conscient et de l’inconscient. (cf.p.216)
L’Œuvre d’individuation
L’Œuvre alchimique cherche à réconcilier des éléments contraires dont l’incompatibilité est perçue sur un plan à la fois psychique et physique. Dans ce but, elle procède à de multiples phases de transition vers un stade ultime que l’on pourrait comparer au Soi.
Tendre vers la réalisation de son être total, l’individuation, demande une lente dissolution du masque de la persona et un changement progressif de la relation entre le conscient et l’inconscient.
Il n’est donc pas étonnant que Jung ait pu, symboliquement, comparer ces deux métamorphoses de la matière et de la personnalité.
En conclusion
Loin d’être un simple développement personnel, l’individuation est une véritable quête où se mêlent dissolution et recomposition, pertes et découvertes. Il ne s’agit pas d’atteindre un état final figé, mais d’entrer dans un mouvement perpétuel de transformation où le Moi et le Soi évoluent dans une dynamique vivante.
Comme dans les processus alchimiques, l’individuation est une œuvre en devenir, un dialogue entre les opposés visant une intégration toujours plus profonde au sein de la psyché.
Mars 2025
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