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L’univers et l’âme du monde

Au découplage entre la lumière et la matière, le multiple naît. L’opacité qui englobait tout l’univers laisse surgir de multiples germes qui sont les puissances de tous les psychismes à venir.

La multiplicité des étoiles : l’amas stellaire « Westerlund 2 » se trouve dans la constellation de la Carène, dans la Voie lactée. (© Hubble Space Telescope / NASA / ESA)

Les inhomogénéités matérielles et l’insaisissable destin de l’univers : l’axe vertical 

En IV un petit cercle de couleur noire c’est-à-dire Yin baigne dans le fond blanc Yang. Il représente les infimes inhomogénéités de densité de l’ordre du cent millième qui existaient juste avant le découplage entre la matière et la lumière (380 000 ans).

Ces zones, gravitationnellement un peu plus attractives que les zones voisines, vont pouvoir croître et, par un mécanisme d’effondrement, engendreront les multiples structures telles qu’amas de galaxies, galaxies, étoiles et planètes dans un univers désormais transparent.

Formées hiérarchiquement en IV à partir des petites fluctuations de densité, ces multiples structures se transformeront en trous noirs – ou bien en nourriture pour trous noirs – qui finiront par s’évaporer en X. Dans l’intervalle toutefois, il ne faut pas oublier le rôle de l’une de ces structures, une minuscule planète qui servira de substrat pour la vie et la conscience en VII.

En X un petit cercle blanc (Yang) sur fond noir (Yin) représente la phase tant « finale » qu’« initiale » de l’univers immatériel. Les masses des particules y sont en effet négligeables par rapport à la densité du rayonnement présent dans les conditions de Planck de l’origine (ou de la contraction dans le cas d’un modèle à rebond). Mais ce peut être aussi la traversée entre deux éons, frontière immatérielle de pure géométrie, consécutive à la très longue évaporation des trous noirs d’un univers en expansion accélérée.

Ce petit cercle Yang pourrait refléter une « inhomogénéité informationnelle » par rapport au fond uniforme d’un univers à la Tipler où vie et conscience auraient survécu, incrustées et codées dans un plasma d’électrons et de positons survivants d’une hypothétique désintégration du proton. En tant que « graine d’information » d’une nouvelle phase d’univers, cette inhomogénéité pourrait habiter les fluctuations quantiques du vide.

Dans les modèles avec inflation, ces fluctuations quantiques sont étirées pendant la courte phase d’expansion accélérée. Leurs amplitudes calculées pour la fin de cette étape correspondent bien aux caractéristiques des inhomogénéités observées dans le fond du ciel. Ainsi, les galaxies et les grandes structures s’origineraient dans les fluctuations du vide quantique qui, pendant l’inflation, auraient transité de leur état virtuel vers leur état réel.

Lien énantiodromique entre les événements IV et X. Le Soi et le moi

© Arvae – Lumière sur l’inconscient

En psychologie, explique Jung « le Soi existe avant et dès le commencement, mais sous une forme latente, c’est-à-dire inconsciente ». [1] En revanche, le moi n’est qu’un complexe, un « événement décomposé en aspects parcellaires, »[2] qui se développe par les conflits entre monde extérieur et monde intérieur de l’individu. A la base, comme le traduit Cazenave « il est fait de bric et de broc. »[3]Une dialectique se dessine ainsi entre le moi (qui naîtrait en IV) et le Soi (qui naîtrait en X – tout en étant toujours déjà là, dans l’inconscient).  

Reflets du moi en cosmologie

En cosmologie, les « moi-centres » des futures étoiles naissent de même, par effondrement des nuages de gaz et de poussières autour de germes que sont les surdensités matérielles qui émergent de l’univers post-découplage entre matière et lumière.

A l’image des « moi de bric et de broc », elles doivent se fortifier, s’ancrer dans l’univers devenu conscient afin de recevoir et de refléter le Soi. Notons qu’un réglage fin des constantes de la physique est nécessaire à l’existence de l’ère stellaire au cours de laquelle les astres galactiques brillent de leurs « moi » le plus pur, soutenus par John Lennon : « encore et encore, ouais, nous brillons tous, comme la lune et les étoiles, et le soleil ».[4] [On and on and on, Well we all shine on, like the moon and the stars and the sun]

Reflets du Soi en cosmologie

Y-a-t-il un reflet du Soi en cosmologie ? Pointe avancée de la physique, la cosmologie trouve dans l’univers primordial le laboratoire conceptuel dans lequel elle peut tester les théories d’unification et de différentiation des quatre forces. Inspirées par un désir de l’Un, ces théories du tout ne sont que de très pâles reflets du Soi car la plupart n’ont aucune considération pour des « moi » conscients qui seraient présents au sein de l’univers. Or le Soi a besoin du moi pour s’incarner et s’actualiser dans le temps et dans l’espace.

Dans l’hypothèse du principe anthropique final de Frank Tipler, il existe bien des êtres intelligents, dont l’âme est un programme exécuté sur un ordinateur appelé cerveau. Ils évoluent, dans un univers fermé en contraction, vers un état de plus en plus « conscient » qui est la singularité finale appelée « point Oméga ».

Il s’agit d’un reflet du Soi très rudimentaire, n’ayant que faire des « moi » si ce n’est à la fin, très exactement entre 10^-10^10 et 10^-10^123 seconde avant que le point Oméga ne soit atteint. A l’instar du mythe chrétien, n’utilisant qu’une quantité infinitésimale de ses ressources informatiques totales, il ressuscite par simulation toutes les vies de tous les êtres ayant existé dans l’univers et les prolonge dans un paradis virtuel. [5]

Plus proche de la dialectique jungienne du Soi et du moi est la boucle rétroactive déjà mentionnée dans l’univers participatoire de John Wheeler. Cette boucle donne au moi (l’observateur humain, centre du conscient) non seulement un rôle actif mais le rôle principal. Le Soi, centre de l’inconscient, est ici l’univers incertain du passé qui ne s’actualise que lorsque des entités conscientes commencent à l’observer. Elles le réfléchissent en l’arrachant à son inconscience et à sa nature virtuelle.

« Le cosmos est en nous. Nous sommes faits de poussières d’étoiles.
Nous sommes une voie par laquelle l’univers se connaît lui-même. »
Carl Sagan [6]

Vue de l’observatoire « Las Campanas », Chili dans la nuit du 13 au 14 décembre 2013. Toutes les étoiles filantes semblent diverger d’un point unique du ciel appelé radiant, situé dans la constellation des Gémeaux. A proximité, la planète Jupiter.[7]

Entre Soi et Moi, le rayonnement éternel du Je véritable

La dialectique entre le moi et le Soi peut être diversement représentée : pôles Yin et Yang, foyers de l’ellipse ou des coniques en général[8], etc.

Le Soi, assimilable à l’image de Dieu, à l’Un néoplatonicien ou à l’Atman hindou, est un concept limite ne pouvant être décrit qu’en termes d’antinomies. Toute représentation n’en constitue qu’une vision partielle tel le traditionnel « cercle dont le centre est partout et la circonférence nulle part ».

Une illustration de la circulation cosmologique du moi autour du Soi (ou du Soi autour du moi) pourrait être le mouvement en double spirale montante et descendante représentant les processus déjà mentionnés d’involution, de dévolution et d’évolution.

À gauche, la spirale conique de Pappus, mathématicien d’Alexandrie (IVe siècle après J.C.) © Robert Ferréol. A droite, le  modèle sphérique.

Dans l’entrelacement de ces processus, la structure symbolique 4×3 isomorphe au Yin-Yang et au zodiaque occuperait le plan équatorial d’une sphère dont le « vide » du centre pourrait figurer un autre lieu du Soi. Au centre de tous les opposés, ce « Je » véritable ou transcendental relève du plan de réalité du « ni … ni ».

L’un de ses reflets dans le tourbillon de l’existence pourrait être cette mystérieuse unité de l’univers révélée par les expériences contemporaines suscitées par l’article EPR de 1935 qui mettent en évidence une corrélation infinie de tous les événements spatio-temporels.

Les reflets psyché-matière et l’archétype du nombre

Au centre immobile des opposés demeure un temps immobile et éternel qui peut faire irruption dans le temps sensible linéaire et fléché du moi conscient.

Parfois, des événements matériels irréguliers et imprévisibles reflètent la psyché du moi conscient. Ce sont les instants propices, les coïncidences signifiantes qui sont des actes de création uniques posant la question de l’existence d’un sens.

Dans l’inconscient, ou dans le domaine psychophysique postulé par Jung et Pauli, la matière reflète continuellement la psyché et vice versa.

Le reflet inverse (la psyché reflétant la matière) est perçu par le moi conscient dans les éclairs de son intuition. Ils sont à la source des conceptions religieuses, des connaissances traditionnelles et scientifiques qui toutes apparaissent ordonnées par l’archétype du nombre.

Il est dommage que la physique se prive de l’aspect qualitatif du nombre sur lequel est pourtant fondé tout son édifice mathématique quantitatif. Ce désintérêt s’ajoute au peu de considération pour les travaux portant sur l’invention des concepts – comme l’Hintergrundphysik ou « physique d’arrière-fond » de Pauli. Cette répugnance à interroger les fondements de la discipline et à penser l’unité potentielle du monde est très certainement la cause de la stagnation des théories actuelles.

Dans ses efforts pour expliquer le réel, la science progresse pas à pas, parfois par de grands sauts mais qui restent infimes par rapport à l’Un inconnaissable d’où tout procède. Les relations entre l’Un et le multiple, le Soi et le moi ne sont qu’effleurées de manière infinitésimale par diverses théories holographiques de la cosmologie contemporaine.

Ces théories reflètent les liens que les anciennes connaissances traditionnelles ont perçu entre microcosme et macrocosme, âmes individuelles et âme universelle, etc. Elles rappellent que les racines de la science sont métaphysiques et que la démarche scientifique et les traditions mystiques parlent de la même réalité. Il y a possibilité d’enrichissement mutuel à condition de ne pas oublier les distinctions entre niveaux de réalité.

« L’homme est ce petit monde qui contient toutes les qualités du grand monde. C’est pourquoi on l’appelle un microcosme. L’homme est la quintessence du firmament et des éléments, du ciel et de la terre… »
Paracelse, Philosophia Sagax, 1571

Notes

[1] et [2] Carl Jung, Psychologie et Alchimie, Paris, Buchet-Chastel, 1970, p. 110, paragraphe 105.

[3] Michel Cazenave, Jung revisité, 2 vol., Paris, Medicis Entrelacs, 2012.

[4] John Lennon, « Instant Karma! (We All Shine On) » EMI, credited to Lennon/Ono with the Plastic Ono Band [Enregistré le 27 janvier 1970].

[5] Frank Tipler, The Physics of Immortality, New-York, NY, Doubleday, 1994.   http://scilib-physics.narod.ru/Immortality/Tipler.htm  (p. 225.)

[6] Ann Druyan, Cosmos : nouveaux modes ; la suite du classique de Carl Sagan, Paris, Hachette Pratique, 2020

[7] Credit Yuri Beletsky (Las Campanas Observatory, Carnegie Institution for Science)

[8] Michel Cazenave, La science et les figures de l’âme, Editions du Rocher, 1996, p. 240.

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