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Les racines de la connaissance scientifique

La connaissance scientifique avance par dépassements et réfutations. La physique quantique. Des paradoxes apparaissent. Les principes de non-contradiction et du tiers exclu. Carl Jung et Wolfgang Pauli.

Par Alain Nègre

La connaissance scientifique avance par dépassements et réfutations

La connaissance scientifique avance par dépassement des connaissances antérieures et par réfutations successives d’anciens modèles. Animée par un désir d’unité et de simplicité, elle explique avec Newton au XVIIe siècle que la force qui tire la pomme de l’arbre est la même force qui attire les planètes vers le soleil.

Suivent les unifications des théories de l’électricité et du magnétisme par Maxwell au XIXe siècle, de l’électromagnétisme et de la dynamique par Einstein au XXe siècle.

Cependant, avec l’émergence de la physique quantique, des paradoxes irréductibles apparaissent dans les comportements des objets microscopiques.

Outre le caractère irréversible de toute mesure qui perturbe de façon fondamentale l’objet mesuré, la lumière se comporte à la fois comme une onde et comme un flux de particules. Pourtant, mathématiquement, la tendance à s’ordonner s’intensifie en une imposante synthèse.

La physique quantique

La physique quantique donne un cadre descriptif unifié pour la matière et le rayonnement. Elle fusionne avec la relativité restreinte au sein de la théorie quantique des champs qui permet le développement de théories unifiées pour trois des quatre interactions fondamentales.

Mais bien que ces modèles soient en parfait accord avec les expériences, les étranges comportements des objets quantiques perdurent. On ne comprend pas qu’ils puissent être dans une multiplicité d’endroits en même temps, ni qu’ils puissent rester liés malgré la distance les séparant et se comporter à la fois comme ondes et particules.

Ces incompréhensions sont le signe que, dans la pointe la plus fine de sa recherche, la physique atteint les limites de l’effort d’explication de la pensée occidentale qui avait permis sa prodigieuse avancée.

Les principes de non-contradiction et du tiers exclu

Depuis le XIIIème siècle, cette pensée avait été structurée par les principes de non-contradiction et du tiers exclu de la logique aristotélicienne qui stipule qu’une chose ne peut pas être à la fois elle-même et son contraire. Ces principes avaient permis la réduction des objets classiques à des éléments indépendants et des principes de base simples.

Aujourd’hui, pour comprendre les bizarreries des objets quantiques, cette logique pourrait être élargie par une autre forme de logique à quatre positions (tétralemme) déjà mentionnée par Platon au IVe siècle avant J.-C., dans son dialogue du Théétète consacré à la science et à sa définition :

  1. affirmation : une chose est ;
  2. négation : une chose n’est pas ;
  3. affirmation et négation : une chose est et n’est pas ;
  4. ni affirmation, ni négation : une chose ni n’est ni n’est pas.

Par la suite, son élève Aristote ne gardera que les 2 premières (principes de non-contradiction et du tiers exclu) et disqualifiera les 2 dernières c’est-à-dire le « ni … ni » et le « à la fois ».

Cette logique à quatre branches est également présente sous le nom de Catuskoti dans la logique indienne, ce qui permet de comprendre l’intérêt des fondateurs de la physique quantique pour les philosophies de l’orient.

Face à un monde qui se dérobait sous leurs pas[1], Niels Bohr, Erwin Schrödinger, Wolfgang Pauli, Werner Heisenberg et Robert Oppenheimer, étaient allés chercher des schèmes de pensée différents pour tenter de sortir des paradoxes qui avaient surgis. Ces détours par les pensées indiennes ou chinoises leur permettaient de découvrir d’autres modes d’intelligibilité possibles et de revenir sur les partis pris implicites de la raison occidentale.

Carl Jung et Wolfgang Pauli

A peu près à la même époque, le psychologue Carl Jung rencontrait la nature paradoxale des opposés dont il est très difficile de parler au niveau de la pensée et du langage humain.

L’inconscient forme une dualité avec le conscient, par exemple dans un rêve dont on se rappelle au réveil : la perception d’un rêve qu’on vient de faire modifie l’état de l’inconscient ce qui crée un nouveau phénomène de manière analogue à la mesure faite par l’observateur en physique quantique.

L’inconscient, écrivit le physicien Wolfgang Pauli, très intéressé par la psychologie, « présente une certaine analogie avec le ‘champ’ en physique. Tous deux entrent de par leur nature, du fait d’un problème d’observation, dans le domaine de l’irreprésentable et du paradoxe. »[2]

Dans leur collaboration d’un quart de siècle autour des rapports esprit-matière, Jung et Pauli seront amenés à faire l’hypothèse d’une réalité unifiée sous-jacente inaccessible à la science, de laquelle tout émerge et à laquelle tout retourne.

Ils remettront ainsi à jour la notion métaphysique d’unus mundus de l’alchimie médiévale, un « monde un » en arrière-plan de l’univers empirique. La connaissance consciente permet d’opérer une division au sein de ce monde psychophysique unifié. Cet effort de distinction et de discrimination constitue la nature de la science.

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Notes

[1] Allusion à ce qu’écrit Einstein dans son autobiographie dans Albert Einstein, Œuvres choisies, Vol. 5 : Science, éthique, philosophie (éd. par Jacques Merleau-Ponty et F. Balibar), Paris, Seuil / CNRS, 1991.

[2] Wolfgang Pauli, « Aspects scientifiques et épistémologiques des idées concernant l’inconscient » dans, Physique moderne et philosophie, Paris, Albin Michel, 1999, p. 198.

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