La Rêveuse n’est que la spectatrice de ses songes. Il est aussi question de l’importance de la cuisson, œuvre des femmes, en alchimie et dans la série de rêves.
La clé est la noirceur
Nous commencerons par le rêve 43 qui, en quelques lignes, propose un véritable récit. Compétition homme femme, suivie d’une tentative d’effraction avec une grosse clé et arrivée d’une femme en noir qui vient de passer un long moment la tête en bas sur un camion. Les scénarios de l’inconscient sont inépuisables !
Rêve no 43 : l'afficherLa signification symbolique de la clé a déjà été évoquée. Nous nous contenterons de dire que la présence de cette grosse clé, au rêve 43, montre bien un désir inconscient d’apprendre la manière de travailler en relation avec l’inconscient.
Dans le sens où la clé désigne la bonne manière de conduire l’ouvrage, l’utilisation de cette clé par la Rêveuse est tout à fait justifiée. Ajoutons que la première clé du processus alchimique est la noirceur. De plus, la Femme vêtue d’un costume noir du rêve, porte la couleur de la putréfaction. La couleur noire est aussi appelée la clé de l’œuvre parce que, dit Nicolas Flamel cité dans le Dictionnaire Mytho-hermétique (p. 338),
“Si tu ne noircis pas tu ne blanchiras pas ; si tu ne vois pas en premier lieu cette noirceur avant toute couleur déterminée, sache que tu as failli en l’œuvre, et qu’il te faut recommencer.”
Ainsi, il n’est pas étonnant qu’au début du songe, il ait été question de clé.
L’arbre inversé des philosophes
On est plus surpris quand la femme dit : Je suis fatiguée car je viens de passer beaucoup de temps la tête en bas sur un camion qui défilait.
On peut tenter de relier cette curieuse posture à l’arbre inversé des Philosophes. Les illustrations alchimiques représentent, en effet, souvent l’opus comme un arbre : arbor inversa (arbre renversé).
Jung citant un Rabbi célèbre, écrit, dans Les racines de la conscience (p.409) :
“Le fondement de toute structure inférieure est fixé en haut et son sommet est ici en bas, comme un arbre renversé.”
La structure inférieure est une allusion à l’homme et à cette idée, fréquente au Moyen Age, que l’être humain est semblable à un arbre renversé. C’est pourquoi, dans le contexte de notre étude, la position de la Rêveuse n’est pas vraiment surprenante.
Ajoutons que la Rêveuse se trouve sur un moyen de transport, donc en processus de cheminement.
Le rêve 46 situera clairement ce cheminement à une époque moyenâgeuse : la Rêveuse est à un banquet … Les costumes sont moyenâgeux.
Rêve no 46 : l'afficherUne cérémonie de récompense
Avant le rêve 46, s’intercalent deux songes significatifs.
Le premier, le rêve 44, malgré son côté très péplum, donne une impression de froideur abstraite.
Rêve no 44 : l'afficherAjoutons que la Rêveuse assiste à la scène sans y participer, en spectateur. Ce monde désertique, pierreux, est un monde masculin où se situe un rituel d’auto-célébration. Nous l’interpréterions volontiers comme une cérémonie officielle, une sorte de remise de diplôme, récompensant un patient travail de distillations successives.
L’ouvrage est incommensurable, car la représentation du monde s’est voulue exhaustive mais cette oeuvre manque de chair. La Nature se trouve finalement réduite au contenu d’une enveloppe blanche des P.T.T.
La Rêveuse a certainement eu l’impression de recevoir un beau rêve mystique. Pourtant, il y a là beaucoup de sécheresse, et une absence de relation. Cet homme s’avance seul vers un Dieu invisible. La grande lumière brille, mais cette lumière est uniquement celle de l’Esprit, au sens paracelsien.
Pour que ce songe marque une étape importante de l’évolution du processus d’individuation, symbolisé par le processus alchimique, il faudrait que brille conjointement la lumière de la Nature.
Parmi tant d’autres possibles, on peut proposer une interprétation différente : ce rêve serait une illustration de l’idée du tout de Zozime, pour lequel la totalité se retrouve dans le plus petit point matériel, et incluse en toute chose, animée ou inanimée. Cependant, ce choix nous semble prématuré, à ce stade du discours onirique de la Rêveuse.
Le poulet-chat
Le rêve suivant, Rêve 45, bien que moins grandiose, apparaît beaucoup plus positif.
Rêve no 45 : l'afficherD’abord, la Rêveuse est impliquée, mieux encore, elle est accompagnée de son mari. C’est, ensemble, tels l’Adepte et sa Soror mystique qu’ils ont réussi à cuire de manière convenable le poulet. Ce travail a exigé de longues veilles devant leur athanor.
Souvenons-nous de ce poulet, qui se révélait n’être pas un poulet mais un chat. Ce poulet-chat était présenté dans un des tous premiers rêves, le rêve 3, sous la forme d’un plat rituel, saignant et mal cuit. Il fallait en toute hâte recommencer le plat.
Voir les rêves de la série de la rêveuse
La signification symbolique du poulet est souvent évoquée en alchimie. Un peu moins celle du chat.
Le chat, selon le Dictionnaire Mytho-hermétique (p. 76), représente la lune à cause des changements que l’on peut observer dans ses prunelles qui “se conforment aux changements des phases de la lune”. Pour les Égyptiens, de par son caractère lunaire, il correspondait au mercure philosophique.
Ce qui importe, au sujet du poulet du rêve 45, est que le plat a été recommencé, et que la cuisson réussie mérite une récompense. La situation se débloque puisqu’on va pouvoir apprendre la langue, sous-entendu la langue des alchimistes.
Notons l’allusion à des pays arabes qui est intéressante si on songe que c’est par l’intermédiaire de l’alchimie arabe que l’alchimie grecque nous est parvenue.
La cuisson est l’œuvre des femmes
La réussite de la cuisson est un état qui se prolongera jusqu’au rêve 72.
Rêve no 72 : l'afficherC’est un des derniers rêves de la première partie. Il y est dit que le pain est juste cuit, ce qui est une preuve que le thème de la cuisson, si important en alchimie, était déjà en place avant l’analyse.
Ce thème de la cuisson est représenté par l’illustration de notre page qui est celle de l’emblème XXII de l’Atalante fugitive. La traduction de l’épigramme est la suivante :
« Tu aimes retirer grand fruit d’un peu de peine?
De neige enduis le noir visage de Saturne.
La matière d’un plomb très blanc t’apparaîtra.
Tu n’auras plus alors que le travail des femmes.
Elles placent au feu leurs chaudrons. Cuis de même,
Mais il faut que la truite en ses eaux se dissolve. »
Le titre de l’emblème est :
“Après t’être procuré du plomb blanc, opère l’œuvre des femmes, c’est à dire cuis.”
Notons que cette illustration comporte un certain nombre d’éléments déjà apparus au cours de la série de rêves : une cuisine ancienne, une femme enceinte, des clés, deux poissons, semblables par leur position à ceux d’une illustration précédente, un chat.
Au cours de son commentaire, l’auteur, Michel Maïer, explique que la coction, nécessaire à la maturation, s’opère dans les vases de la philosophie. Il explique aussi, avec un soupçon d’excuse dans son propos, qu’il n’y a pas de véritable différence entre la cuisson philosophique et la cuisson vulgaire :
“Car de même que la femme amène à maturité des poissons dans l’eau, c’est-à-dire résout en air et en eau toute leur humidité superflue, les fait bouillir et cuire, le philosophe agit pareillement avec son sujet. Il le fait macérer dans sa propre eau, qui est plus forte que le vinaigre le plus aigre, le liquéfie avec elle, le dissout, le coagule, le fixe dans le vase d’Hermès dont les jointures sont très rigoureusement fermées, comme il convient, de peur que l’eau ne s’exhale et que le contenu du vase ne soit brûlé”(p. 189).
Des recettes de cuisine
Les degrés de la cuisson sont essentiels en alchimie. Les conseils sur la force ou la douceur des cuissons, la composition et la quantité des ingrédients, ont des allures de recettes de cuisine, sans cesse recommencées et améliorées.
Michel Maïer lui-même, après avoir expliqué l’impossibilité de réaliser quelque partie de l’Œuvre que ce soit sans avoir trouvé le bon régime du feu, avoue, ce que nous croyons volontiers, n’avoir » découvert la vérité « qu’au “prix d’un labeur incroyable et non sans y avoir consacré un grand nombre d’années …” (p.268)
La cuisson, oeuvre des femmes, est destinée, dans la vie pratique, à la réussite des mets. Or, qu’est-ce qu’un plat réussi ? C’est, non seulement un plat bien cuit, mais aussi, un plat où sont respectées les justes proportions entre les différents éléments, c’est à dire l’harmonie. Cette harmonie est souvent associée à la musique et au chant, qui est une musique du corps. Ceci se vérifie au rêve suivant.
Le poulet était bien cuit, et la Rêveuse, avec l’aide du groupe moyenâgeux du rêve 46 arrive à chanter parlez-moi d’amour. Le mot amour, à notre avis le mot clé de l’ensemble de la série, est enfin prononcé, malheureusement dans un contexte menaçant. En effet, au rêve 48, il y a des soldats embusqués partout.
Rêve no 48 : l'afficherLa Rêveuse est bien loin d’être capable d’assumer son individualité par rapport à l’inconscient collectif. Cependant, un progrès a été réalisé. L’Amour est là, mais sans objet. Des soins seront nécessaires, pour qu’il soit à l’origine d’une RE-naissance hors du chaos.
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Publié initialement dans le cadre d’une thèse cette page a été adaptée par Ariaga (Ariane Callot), son auteure.
Les ouvrages cités sont référencés à la page bibliographie.