Enseignement de C.G. Jung sur la symbolique, le gout du secret et la variété des motivations des alchimistes philosophes.
Origine et fondements de l’alchimie
Le terme alchimie, a pour origine un mot arabe EL-Kimya, lui-même dérivé de Kemi qui signifie terre noire. Or, Terre Noire était un des noms de l’Égypte ancienne, ce qui conforterait l’idée que l’alchimie y ait sa source.
C’est Toth, Dieu de la mathématique et de la science, qui serait à l’origine de la figure D’Hermès Trismégiste, lui-même modèle du Mercure médiéval.
Après de nombreux chaînons intermédiaires, en passant par la Grèce et la culture arabe, des idées, considérées comme néfastes par l’Église chrétienne, ressurgirent chez les alchimistes du Moyen-Âge.
Deux postulats servaient de fondement à l’alchimie. :
Le premier était celui de l’unité de la Nature, de l’univers même, du macrocosme au microcosme.
Le second découlait du premier. Tout élément pouvait se transformer en un autre car, du fait de leur commune origine, leur différence n’était qu’une diversification de l’unité, pour réaliser cette transformation, il suffisait de posséder l’outil de la transmutation : la pierre philosophale.
Les obscures descriptions de la transmutation alchimique
L’alchimie décrit, dans ses différentes phases, un processus de transformation.
Les auteurs varient les descriptions, et leur devise était “ obscurum per obscurius, ignotum per ignotius ” ce qui se traduit par l’obscur par le plus obscur, l’inconnu par le plus inconnu.
Cette obscurité voulue est certainement l’origine de la séparation, dans les dernières années du XVI° siècle, entre la chimie et ce que l’on appelait aussi la philosophie hermétique. Certains se limitèrent à leurs alambics et leurs creusets, d’autres se perdirent dans des allégories n’ayant plus aucune signification. À la fin du XVIII° siècle, l’alchimie agonisa, minée par son obscurité.
Cependant, les auteurs, rarement d’accord au sujet du déroulement et de l’ordre du processus, se rejoignaient sur des points essentiels. L’un d’entre eux était la division en phases liées à des couleurs correspondant aux étapes de l’œuvre. Comme elles étaient à l’origine au nombre de quatre, on les nommait quadripartition de la philosophie.
Vers le XVI° siècle, les quatre couleurs et les quatre stades, pour des raisons que Jung juge plus psychiques que pratiques, furent ramenés au nombre de trois. Cette omission du quatrième stade du processus serait liée au problème, déjà rencontré, de la signification symbolique de la quaternité et de la trinité.
Phases et couleurs
La nigredo, ou noirceur, ou Œuvre au noir, représente le premier stade du processus.
Elle n’a pas de qualité unique et peut-être, pour le philosophe alchimiste, l’état initial de la materia prima (matière primordiale).
Pour celui qui travaille dans son laboratoire, elle est le résultat de la phase de décomposition des éléments. Cette décomposition est suivie par une recomposition consistant en une union des deux polarités féminine et masculine. On pourrait croire le processus terminé mais cette phase est elle-même suivie par la dissolution, la mort du produit de l’union, et une nouvelle nigredo. Tout ici consiste en morts et résurrections !
L’albedo ou teinture blanche ou pierre blanche ou passage au blanc est le second stade.
Ce moment du processus a deux sens possibles. Il peut symboliser, écrit Jung dans Psychologie et alchimie (p.303) :
“L’âme (anima) libérée par la mort est à nouveau unie au corps mort et détermine sa résurrection, ou enfin l’ensemble des couleurs (omnes colores ou cauda pavonis, la queue du paon) conduit à une couleur unique, le blanc qui contient toutes les couleurs.”
Ce stade du processus représente déjà, pour beaucoup d’alchimistes, un aboutissement. Il est symbolisé par l’argent, ou la lune, et Jung le compare à l’aube précédant le lever du soleil.
La transition vers le stade ultime, la rubedo, ou Œuvre au rouge.
Elle se faisait par la citrinitas (passage au jaune) associée au soleil et à l’illumination. Après la suppression de cette étape, la rubedo suit directement l’albedo. À ce stade, le rouge et le blanc, le soleil masculin et la lune féminine, peuvent, au moment où le feu atteint son acmé, célébrer leurs noces chymiques.
Tout ceci est très simplifié. Nous voulons uniquement, dans les pas de Jung, donner une indication sur les termes courants de l’alchimie.
On verra que le processus est loin d’être linéaire. Il comprend d’incessantes putréfactions, ablutions, morts et résurrections de la matière et, pensons-nous, en accord avec Jung, ces métamorphoses ont pour conséquences des variations de l’état du psychisme de l’opérateur.
La variété des motivations des alchimistes
Selon Jung, les différentes classifications des phases du processus alchimique dépendent surtout de la manière dont les opérateurs envisagent la finalité de l’Oeuvre.
Certains alchimistes ont pour visée l’obtention de la teinture blanche ou rouge, d’autres recherchent la pierre philosophale, qui les contient toutes deux, et qui peut être, à la fois, la matière ou l’agent d’une transmutation.
Il s’agit aussi, parfois, de la panacée : or buvable ou élixir de vie.
Plus philosophique, est le projet d’obtention d’un être entièrement mystique nommé Dieu terrestre, Sauveur, Fils du macrocosme. On pourrait comparer cet être à l’Anthropos gnostique, c’est-à-dire l’homme primordial divin, qui est aussi l’âme du monde. Jung, s’inspirant de Paracelse, le décrit ainsi dans son livre Synchronicité et Paracelsica (p.178):
“Il est l’âme du monde qui met le Tout en mouvement et qui soutient le Tout. Sous sa forme terrestre primitive il est impur. Mais il se purifie progressivement au cours de son ascension dans les formes aquatiques, aériennes et ignées. Dans la quintessence enfin, il apparaît en son “corps clarifié”. Cet esprit est le secret qui fut caché depuis les origines.”
Le projet des philosophes alchimistes est de purifier cette matière à laquelle s’est en, quelque sorte sorte, mélangé l’esprit, pour redonner à ce dernier sa fonction motrice et directrice. En tant que matière et esprit, ils sont conjointement impliqués, matériellement et spirituellement, dans l‘Œuvre alchimique.
La perplexité de Jung
La variété des symboles désignant les agents de la transformation a deux origines.
D’abord, comme déjà dit, la nécessité du secret. À ce désir de ne pas être compris de tous s’ajoute l’interchangeabilité d’éléments, préalablement présentés comme antagonistes. C’est le cas de l’eau et du feu, une paire d’opposés typiques qui, si on en croit les auteurs, sont un et un seul. De même, l’eau philosophique est, en même temps, la pierre et le solvant de cette même pierre.
Jung donne un exemple pris dans l’Aurora consurgens :
« Et quand ils veulent extraire cette eau divine qui est du feu, ils la font chauffer avec son feu qui est de l’eau, et ce feu ils l’ont mesuré jusqu’au bout et ils l’ont caché à cause de la déraison des sots «
Le lecteur des ouvrages alchimiques se trouve ainsi devant des noms de substances signifiant à peu près n’importe quoi. En outre, plus une substance est utilisée, ou importante, plus est grande la multiplicité des vocables et des allusions symboliques servant à la désigner.
On comprend la perplexité de Jung pendant les années où il fut en contact avec la littérature alchimique, sans en saisir l’utilité. On comprend aussi celle de lecteurs de Jung qui se plongent, sans aucune connaissance préalable, dans un ouvrage comme le Mysterium conjonctionis. Ils en concluent que Jung est illisible !
Et pourtant, à sa manière, en particulier dans Psychologie et alchimie, il s’est donné du mal pour aider, grâce à ses connaissances, ceux qui veulent aborder la symbolique alchimique.
Jung a tenté de nous faire profiter du fruit de ses longues années de purgatoire, de son travail herculéen, dans les textes des anciens alchimistes philosophes de la Nature. Le problème est que nous ne possédons pas tous son inépuisable capacité de travail, son intelligence et sa relation particulière avec l’inconscient.
Page précédente | Page suivante
Publié initialement dans le cadre d’une thèse cette page a été adaptée par Ariaga (Ariane Callot), son auteure.
Les ouvrages cités sont référencés à la page bibliographie.