Deux rêves essentiels pour la relation entre Jung et son inconscient : le rêve de la maison et le rêve de Liverpool.
L’enseignement de l’inconscient
Les rêves de l’enfance et de l’adolescence de Jung, furent les premières étapes de ce qu’il ressentait, lui-même, comme étant un projet de l’inconscient.
Pendant sa vie adulte il y eut encore, si on exclut provisoirement ce qui concerne l’alchimie, quatre moments marquants de sa relation au monde onirique :
- Le rêve de la maison
- Le rêve de de Liverpool
- Les délires et visions de la grave maladie de 1944
- Le rêve du yogi
Ces rêves agirent, selon lui, comme s’il étaient de véritables enseignements de l’inconscient au sujet de la totalité objective et des relations entre le Soi et le Moi.
Il ne manqua jamais de s’interroger sur le sens de messages qui furent souvent la manifestation de fortes pressions de l’inconscient sur son Moi.
A la fin de sa vie, il effectua un bilan sur la manière dont il avait cheminé le long de la voie de ces intentions de l’inconscient. Il raconte l’histoire de ce cheminement, dans le récit de ses souvenirs rêves et pensées, intitulé Ma vie, où il groupa ses songes les plus marquants.
Ma vie est notre principale source d’inspiration pour ces pages consacrées aux rêves de Jung. Les spécialistes diront qu’il n’y a là rien de bien original mais cela nous semble utile pour ceux qui découvrent Jung et veulent cheminer avec nous sur la voie de l’émergence des symboles dans les rêves.
Le rêve de la maison
Le rêve de la maison, se situe en 1909, pendant un voyage aux États Unis, en compagnie de Freud.
Il s’agit d’une descente dans les différents étages et sous-sols d’une maison : celle du Rêveur-Jung.
C’est un rêve long et très détaillé que l’on peut lire dans son intégralité à la page 186 de Ma vie.
A chaque nouvelle profondeur, les matériaux, le décor, les objets, deviennent plus anciens. Tout au fond, il découvre un anneau, le tire, soulève la dalle et emprunte un escalier, menant à une grotte rocheuse où il trouve des ossements et autres débris d’une civilisation primitive.
On peut trouver un lien entre cette découverte des profondeurs et la descente par un escalier du très jeune enfant vers le lieu où résidait, sur un trône, l’énorme objet phallique. Pour Jung, ce rêve fut tout à fait fondateur :
“Il décrivait comme un diagramme structural de l’âme humaine, une condition préalable de nature essentiellement impersonnelle. Cette idée eut pour moi force d’évidence : it clicked, comme disent les Anglais ; et le rêve devint pour moi une image directrice, qui, par la suite, se confirma dans une mesure alors imprévisible. Par ce rêve je soupçonnais pour la première fois l’existence d’un a priori collectif de la psyché personnelle, a priori que je considérai d’abord comme étant des vestiges de modes fonctionnels antérieurs. Ce n’est que plus tard, lorsque se multiplièrent mes expériences et que se consolida mon savoir, que je reconnus que ces modes fonctionnels étaient des formes de l’instinct, des archétypes.” (Ma vie, p.188)
On ne saurait assez souligner l’importance de concepts fondateurs de la pensée de Jung, présentés à l’occasion de ce rêve : la structure de la psyché, l’inconscient collectif, les archétypes. Mais, seule sa collaboration avec les images proposées par son inconscient pouvait produire un résultat effectif pour l’évolution de sa pensée.
Le message onirique se propose, mais c’est le travail effectué sur le sens qui rend possible la conceptualisation.
Le rêve de Liverpool
Un autre rêve essentiel survint en 1927.
Depuis plusieurs années, Jung esquissait chaque matin un petit dessin en forme de rond, un mandala , qui semblait être une image de sa situation intérieure.
Pendant ce travail, il se questionnait inlassablement sur le sens et le but de ce processus de l’inconscient. Ses dessins lui étaient, comme il l’écrit, livrés journellement. Il avait, intuitivement, l’impression qu’ils représentaient son “Soi”, et, qu’avec le temps, il allait acquérir une idée plus précise de ce Soi.
Il comprenait aussi, de plus en plus clairement, que, dans ces dessins “tout convergeait vers un certain point : celui du milieu.”
L’expérience des mandalas s’acheva sur le long rêve de Liverpool dont la version intégrale se trouve, dans Ma vie, p. 230.
Jung se trouve, la nuit, avec des compagnons, dans une ville sale et noire de suie : Liverpool. Les quartiers de la ville sont disposés en étoile autour d’une place, et chaque quartier est, lui aussi, construit en étoile autour d’un centre. Au milieu de la place, se trouve un petit étang, au centre de l’étang, un îlot, et, sur l’îlot, un arbre inondé de fleurs rougeâtres. Alors que toute la ville est sombre, l’îlot et l’arbre en fleurs resplendissent dans la lumière du soleil. Les compagnons du Rêveur-Jung ne voient pas l’arbre.
Jung est transporté par la beauté de la scène et s’éveille avec le sentiment d’avoir acquis une précieuse connaissance. Dans cet univers sombre, où tout était déplaisant, ce lieu de l’Ombre, il avait eu une vision de la beauté de la Vie. Il écrit :
« Liverpool est the pool of life , l’”étang de la vie” ; car liver, le foie, est, selon une vieille conception, le siège de la vie.
A l’expérience vivante de ce rêve s’associa en moi le sentiment de quelque chose de définitif. Je vis que le but y était exprimé. Ce but c’est le centre : il faut en passer par là. Par ce rêve je compris que le Soi est un principe, un archétype de l’orientation et du sens : c’est en cela que réside sa fonction salutaire. » (Ma vie, p. 231)
Ce songe lui procura un sentiment d’harmonie et de satisfaction, de symétrie aussi, sentiment semblable à celui que l’on retrouve dans les aboutissements des séries de rêves étudiées. Nous pensons surtout à la série du rêveur.
Jung avait ainsi pu observer sur lui-même une constante, qu’il cernera de mieux en mieux, dans les rêves de mandalas de ses patients.
Selon ses dires, Il fallut à Jung, une vingtaine d’années avant d’élaborer et de donner un cadre scientifique à ce qu’il avait vécu à cette période de sa vie. Cependant, ce rêve lui procura déjà une réponse claire et imagée sur des questions essentielles qui le préoccupaient.
Il cessa de dessiner ou de peindre des mandalas ayant, en quelque sorte, obtenu satisfaction.
Toute son activité ultérieure consista à élaborer ce matériau de l’inconscient.
Il commença, selon ses propre termes, par être inondé par l’abondance des matériaux qui avaient jailli pendant la période de sa confrontation avec l’inconscient. Ensuite, ce fut la matière première pour l’œuvre d’une vie.