Lise Villemaire s’appuie sur les travaux de C.G. Jung autour du mandala pour éclairer les contextes dans lesquels ils émergent.
Livre rouge de Jung, page 159
Symbolique du mandala
Des observations accumulées et tirées de son expérience personnelle, de sa pratique de psychothérapie, de ses recherches sur les symboles, Jung a découvert une couche que l’on pourrait définir comme plus approfondie et plus large de l’inconscient personnel qu’avait proposé Freud. Il l’a nommé inconscient collectif car il contenait des mêmes ou similaires symboles, des images ou des représentations picturales que l’on pouvait retrouver dans différentes cultures et à différentes époques de l’humanité et qui ne pouvaient donc pas avoir subir d’influence entre eux. Il les a nommés archétypes.
Au contraire de ce que certains interprètent, les archétypes ne sont pas des représentations héritées, mais plutôt une disposition innée à former des représentations analogues, ou en d’autres mots, des structures universelles identiques de la psyché humaine. Ils sont comme des moules qui peuvent recevoir des empreintes semblables. Des images primordiales.
Dans son autobiographie, il dit que ce n’est que vers les années 1918/1920, alors âgé de 45 ans, qu’il comprit que le but du développement psychique était le Soi. Entendons ici par développement psychique, le développement de la vraie nature unique de chaque personne. Et ce Soi se trouve au centre de la psyché (ou âme) humaine.
Mouvement de circumambulation
Se développer, changer, se transformer, s’améliorer en tant qu’être humain ne veut donc pas dire de monter de manière linéaire comme on grimpe une échelle vers le haut, mais plutôt de se concentrer vers l’intérieur de nous-mêmes.
Ce mouvement, cette direction se fait de manière circulaire : on s’approche ainsi graduellement, en tournant autour du centre qu’est le Soi, mais sans jamais l’atteindre définitivement (Jung caractérise ce mouvement de circumambulatoire). Jamais définitivement car il ne s’agit pas d’en arriver à un état de perfection, mais de totalité qui contient l’harmonie et l’équilibre.
Le mandala serait le symbole par excellence qui représente le Soi, l’archétype de la totalité.
Dans ce qui suit, je vais présenter brièvement une description du mandala selon divers contextes que Jung a découvert tout au long de ses recherches, notamment au niveau de l’alchimie et des religions ou courants spirituels asiatiques.
Le mot sanskrit mandala signifie cercle au sens général du terme et particulièrement cercle magique dans les rituels indiens. Dans le domaine des coutumes religieuses et en psychologie, il désigne des figures de forme circulaire qui sont dessinées, peintes, sculptées ou même dansées. En psychanalyse, il se manifeste dans les rêves.
Très fréquemment, ils présentent une structure reposant sur quatre éléments ou sur des multiples de quatre, sous la forme d’une croix, d’une étoile, d’un carré ou d’un octogone par exemple. Mais ils peuvent prendre différentes formes, selon les traits personnels qui caractérisent un individu. Cette quaternité fonde en dernier lieu, une unité.
Le mandala dans le monde oriental
Jung est d’avis que les meilleurs et les plus intéressants mandalas se trouvent dans le domaine du bouddhisme tibétain. Lors d’une cérémonie rituelle, un mandala est dessiné sur terre et contient trois cercles dont le but est d’exclure l’extérieur et donner une cohésion à l’intérieur. Ce tracé de lignes circulaires symbolise également une protection, comme un bouclier qui protège ce qui est à l’intérieur, jugé de grande valeur.
Par la même occasion, il est un moyen destiné à soutenir la concentration de l’adepte par une réduction de l’espace vers le champ central. Au centre, on peut y trouver une couronne de pétales de lotus. Et au tout milieu est contenue en général une figure de la plus haute valeur religieuse, comme Shiva lui-même ou Bouddha, ou le dorje, symbole de toutes les forces divines réunies, qu’elle soient créatrices ou destructrices.
Les mandalas qu’on pouvait voir dans les temples et les monastères n’avaient pas de signification particulière puisqu’ils n’étaient que des représentations extérieures. Le véritable mandala était toujours une image intérieure, graduellement construite par l’imagination (active) dans des moments ou l’équilibre psychique était troublé ou lorsqu’une pensée ne pouvait être trouvée et devait être cherchée parce qu’elle n’était pas contenue dans la doctrine sacrée.
Le mandala oriental contient généralement le plan quadratique d’un stupa. Ce stupas est en réalité censé être un bâtiment, comme on peut le constater grâce aux mandalas exécutés en relief. Dans ces derniers, la figure du carré est liée à l’idée de la maison ou du temple ou d’un espace intérieur entouré de murs. Rituellement, on doit toujours faire le tour des stupas en allant vers la droite, parce qu’un mouvement vers la gauche serait mauvais. La gauche (sinester) représente le côté inconscient.
La circumambulation vers la gauche autour du carré indique probablement que la quadrature du cercle est une étape sur le chemin de l’inconscient, qu’elle est par conséquent un passage, un instrument, permettant d’atteindre un but situé au-delà et encore informulé.
Le chemin vers la gauche ne conduit donc manifestement pas vers les hauteurs du Royaume des Dieux et des idées éternelles, mais dans les profondeurs, dans l’histoire naturelle, dans le fondement animal instinctif de l’être humain.
Mais que la direction soit vers la gauche ou vers la droite, le mouvement circulaire du processus d’individuation indique le plus souvent un sentiment d’une certaine tension, tant et aussi longtemps que le tour ne soit pas complété pour laisser un temps plus ou moins long de répit avant de reprendre le collier d’un autre tour. Car la vie est mouvement et non repos définitif. Il nous faut continuer de marcher !
Le mandala dans le monde alchimique
Le texte de la fleur d’or (qui provient du taoïsme) indique encore certaines propriétés spécifiquement »alchimiques » de ce centre, qui vont dans le sens des qualités du lapis et de l’élixir vitae (l’élixir de vie, donc d’un breuvage qui donne l’immortalité).
La quadrature du cercle est un symbole de l’œuvre alchimique en ce sens qu’elle décompose l’unité originelle chaotique pour la réduire aux quatre éléments, qu’elle recombine ensuite en une unité supérieure. L’unité est représentée par un cercle et les quatre éléments par un carré.
La roseraie des philosophes est un des symboles favoris des alchimistes.
Le mandala dans le monde médiéval
Époque et culture plus proches et donc plus connues de nous, dans les mandalas occidentaux du Moyen Âge chrétien, la divinité trône aussi au centre, fréquemment sous la forme de Rédempteur triomphant entouré des 4 figures symboliques des évangélistes.
Le mandala dans la symbolique médiévale est représenté par la rose.
Contextes d’émergence du mandala
En résumé, Jung ne parle du ou des contextes desquels émergent des figures, des représentations du mandala qu’à un niveau général. Il mentionne des états psychotiques, désordonnés, conflictuels et assortis d’angoisse. Et encore, dans des états de confusion, ou d’un agencement concentrique d’éléments nombreux et désordonnés, contradictoires et inconciliables.
Je n’ai lu qu’à un seul endroit où il donne des exemples concrets de ces états de dissociation ou de désorientation psychiques : celui des enfants entre 8 et 11 ans dont les parents divorcent, ou chez des adultes qui, par suite de leur névrose et de son traitement, sont confrontés aux problèmes des contradictions de la nature humaine et, de ce fait se retrouvent désorientés.
Mais nous vivons tous un jour ou l’autre une période dans notre vie dans laquelle nous sommes, à divers degrés en conflit intérieurement, et donc en tension – qui peut aller jusqu’à l’anxiété et même l’angoisse – parce que nous vivons une situation plus ou moins tenable de par les contradictions auxquelles elle nous confronte, par exemple. Que ce soit au niveau de nos valeurs, au niveau moral en général ou dans nos relations significatives dans le contexte du travail, familial ou dans nos relations personnelles (amitiés et amours).
Alors, je me posais quelques questions. Qu’est-ce qui fait la différence significative parmi tous ces conflits importants que nous vivrons ? Qu’est-ce qui amène la goutte qui fera déborder le vase et qui attirera inconsciemment, le secours du mandala, quelque soit la forme par laquelle il se représentera au moi ? Et que dire des personnes qui vivent un tel état, mais dont aucun mandala ne s’exprime dans les circonstances ? À certaines de ces questions, j’ai trouvé des réponses, à d’autres, je n’ai que des hypothèses.
Une recherche en psychologie sur les facteurs de stress chez un adulte a démontré que l’évènement qui gagnait la plus haute cote au niveau du stress était le décès du conjoint ou de la conjointe ou d’un être cher significatif.
C’est tout cela et mon expérience personnelle qui m’ont amené à l’hypothèse que le vécu du deuil d’un être cher s’avère être le contexte le plus important dans lequel la représentation du mandala peut émerger.
Les fonctions et les buts du mandala
Dans son livre intitulé Un mythe moderne‘‘, un des derniers qu’il a écrit, Jung indique que le Soi est l’archétype par excellence de l’ordre. Quand cet archétype prend la forme ronde (mandala), au point de vue psychologique cela signifie que par compensation à un état désordonné, désorienté, de réel chaos, il contribue à faire en sorte que chaque élément de cet état trouve sa place et donne une cohésion à l’ensemble de la psyché qui est en danger de se perdre dans une vague indéterminée.
Plus le moi est en état de risques élevés de se morceler, plus cet archétype opère de manière significative. J’ajouterais dans le même sens, que plus la charge émotive est grande en relation avec l’objet (un travail, un projet) ou le sujet (une personne significative), plus l’archétype a force de pulsion et demande à s’exprimer. Car si le Soi est l’archétype de l’ordre, il est aussi selon Jung l’archétype du sens.
En d’autres mots, cet archétype opère de manière à réunir les contraires dans un ensemble qui les contient, tout en restant dynamique. Il permet de se concentrer et de tenir en équilibre une énergie potentiellement à risque d’éclater en morceaux. Ainsi, par sa forme circulaire, le mandala agit comme protecteur de l’ordre autant cosmique (dans la religion indienne) que psychologique par sa délimitation de l’espace intérieur.
Il en résulte une baisse de la tension intérieure provoquée par le conflit des contradictions vécues comme telles ou par un morcellement du moi. Un apaisement bienfaiteur se fait alors sentir. Cela me fait penser à l’approche de la Gestalt, fondée par Fritz Perls au début des années 1950.
Partant d’un précepte que tout peut être considéré comme un système qui contient des éléments qui sont en interaction dynamique entre eux en conservant l’harmonie et l’équilibre du système. Dès qu’un élément change de manière importante ou est exclu (ou s’exclut lui-même), le système doit reconstruire son équilibre et son harmonie. Gestalt est le mot allemand pour forme, au sens de prendre forme, s’organiser, se construire.
Par exemple, on peut voir une famille comme un système. Dès qu’un des membres quitte la famille (mariage, travail au loin, hospitalisation, décès), le reste des membres de la famille doit se réorganiser, non seulement au niveau des tâches, rôles, etc. mais également au niveau de l’image familiale intérieure. Plus le membre de la famille tenait un rôle important ou significatif, plus la réorganisation, l’équilibre et l’harmonie sera ardue à retrouver et plus elle demandera du temps.
Jung explique même que cet archétype est une sorte de tentative d’auto-guérison de la nature profonde de la psyché qui n’a pas son origine dans la réflexion consciente, mais qui vient bien une pulsion (énergie) instinctive.
Finalement, le Soi dans toutes ces fonctions donne une direction plus claire au moi qui est désorienté, qui ne sait plus où est sa place, qui a perdu son identité ou que celle-ci est devenue floue et incertaine.
Un exemple vécu dans ma pratique professionnelle
Il me vient une expérience tirée de ma pratique professionnelle en tant que psychothérapeute pour illustrer ceci. J’avais 35 ans, je pratiquais la psychothérapie depuis environ huit ans. Mon jeune frère bien aimé était décédé depuis seulement quelques mois. Une femme dans le début de la soixantaine s’est présentée au centre ou je travaillais pour une demande d’aide. Son mari qui venait de prendre récemment sa retraite était décédé subitement d’un infarctus inattendu. Elle était dans un état de dépression assez profond.
En fait, ce sont ses enfants qui ont fait pression sur elle pour qu’elle consulte en psychothérapie. Elle venait assidûment à son rendez-vous hebdomadaire avec moi, mais après trois rencontres, je ne voyais aucun signe d’un quelconque progrès. Elle était très réservée, elle s’assoyait sur une chaise sans trop bouger, sans pleurer, sans parler sinon pour répondre de manière très succincte à mes questions. Elle venait fidèlement à ces rencontres comme pour satisfaire ses enfants qui ne savaient plus comment l’aider et non comme résistance au sens freudien.
Alors, j’ai suivi mon intuition et lui ai dit comment je voyais, sentais cette situation et à chaque phrase que je lui disais, son visage s’illuminait, elle me regardait de manière soutenue et acquiesçait de la tête. « Vous pensez que je suis trop jeune pour pouvoir vous aider, vous pensez que je n’ai pas assez d’expérience de la vie, que je ne peux comprendre la souffrance d’un deuil ».
Une fois qu’elle m’eût confirmé mon intuition et que je constatai qu’une relation s’était enfin établie, je lui ai dit que je venais de perdre mon frère et s’en est suivi un échange de vécu commun, en particulier le lieu où était son mari, car elle ne croyait pas qu’il était au cimetière, donc, elle n’avait aucun repère concret pour lui parler, pour exprimer toutes ses émotions et pensées.
Et à partir de là, elle s’est confiée beaucoup, en me disant par exemple qu’elle et son mari avaient fait des projets de voyages pour célébrer le début de sa retraite, etc. Elle a ainsi repris peu à peu contact avec la vie, a retrouvé son identité et a réaménagé des activités dans son quotidien.
E.A. Bennet
E.A. Bennet (1888-1977) a connu Jung aux conférences Tavistock Lectures que Jung a donné à Londres en Angleterre en 1935 auxquelles il a assisté. Bennet a fait des études en philosophie, en théologie et en médecine au Trinity College après lesquelles en 1925 à l’âge de 37 ans, il est devenu un psychiatre et un analyste jungien réputé. Auparavant, il avait été ordonné prêtre anglican en 1913, à l’âge de 25 ans.
Il a pu renouer avec Jung qu’après la deuxième guerre mondiale en 1946 et s’est entretenu avec lui soit par correspondance, soit par des rencontres en Suisse jusqu’à la mort de Jung en 1961. Jung lui avait un jour confié que chaque personne devrait vivre en suivant une idée centrale (en d’autres mots, une ligne directrice) qui lui procure un sens et un accomplissement de sa vie. Jung appelait ceci le mythe de chaque individu.
Cette page fait partie de l’article : Le contexte de deuil dans l’émergence du symbole du mandala.
Lise Villemaire, M.Ps.
Lise Villemaire, psychologue et psychothérapeute retraitée, réside à Montréal, province du Québec au Canada. Dans un premier temps elle a travaillé comme infirmière. En qualité de psychologue elle a plus de 25 ans d’expérience de pratique et d’enseignement au niveau universitaire.
Elle a étudié les différentes religions et obtenu un certificat en Théologie Orthodoxe. Conférencière, elle s’intéresse particulièrement au développement spirituel chez l’adulte et à l’Art. Elle s’adonne au dessin et à la peinture de vitraux.
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