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Au cœur du Seigneur des Anneaux : Sam, ou l’histoire d’un héros ordinaire

Marilou Rettinghaus explore les liens entre le personnage de Samwise Gamgee et la psychologie jungienne, invitant à une lecture plus profonde du « Seigneur des Anneaux ».

Au-delà de l’aventure héroïque, cette analyse propose une exploration de l’âme humaine et du cheminement individuel vers la réalisation du Soi.

Sur cette page :

Beaucoup connaissent l’histoire Le Seigneur des Anneaux de Tolkien. Avec cette présente réflexion, j’aimerai donner de la place à Samwise Gamgee (Samsagace Gamegie), dit « Sam ». Pourquoi ? – Parce que ce petit Hobbit me touche au plus profond de mon âme. En effet, si je devais le décrire, voilà ce que je dirais de lui :

Sam est simple, humble, joyeux, positif, avec un grand cœur et une belle sensibilité. Il est le soutien indéfectible de Frodon, le porteur de l’anneau. Et sans Sam, l’histoire aurait certainement eu une fin bien différente. La mission qu’il a reçue du mage Gandalf, c’est de veiller sur Frodon et d’accompagner ce dernier afin que l’anneau de pouvoir, l’unique, soit détruit et que la vie puisse retrouver toute sa place.

L’Anneau Unique et l’archétype masculin en inflation

Mais commençons par la symbolique de l’Anneau Unique autour duquel se construit cette histoire. Il a été créé par Sauron, le Seigneur des ténèbres, pour dominer et contrôler tous les autres anneaux. Cet anneau fait de Sauron le maître d’un pouvoir absolu, mais lors d’un combat, Isildur le récupéra en lui coupant le doigt qui le portait.

Ensuite, l’anneau fût perdu puis retrouvé par différents personnages, et a fini par tomber entre les mains du hobbit Bilbon Sacquet, l’oncle de Frodon. Ce dernier va hériter de l’anneau. Ainsi, en tant que nouveau porteur de l’anneau, la mission lui échoit de l’anéantir dans les gorges de la Montagne du Destin, afin de libérer le monde d’une toute-puissance destructrice et mortifère.

Sommes-nous tous quelque part, tout comme Frodon, possibles porteurs de l’anneau ? Sommes-nous potentiellement porteurs de la tâche qui consisterait à nous différencier d’une énergie archétypale inflationniste en rendant l’anneau aux flammes par lesquelles il a été forgé ?

L’anneau Unique, appelé également « le Précieux » par ceux qui l’ont touché de leur main et qui entrent ainsi dans une sorte d’état hypnotique de fascination, pourrait être « l’outil », le symbole, d’un archétype masculin en inflation, générant chez l’être un état de possession archétypale qui surcompense in fine un sentiment d’impuissance ontologique.

Pierre Trigano, docteur en philosophie, psychanalyste et formateur à la psychanalyse de C.G. Jung, dans son livre Les archétypes de l’inconscient collectif – une relecture de Jung, explique de manière approfondie la psychopathologie archétypale.

« C’est d’ailleurs, de manière générale, ce renversement compensatoire qui fait que l’archétype masculin en inflation reproduit son emprise sur l’humanité, de génération en génération, depuis son origine préhumaine primate. » p.45

Jung, en parlant des complexes d’infériorité et supériorité, les considérait comme étant la même chose.

« Il est vrai que le complexe d’infériorité dissimule toujours le danger de se faire valoir plus qu’il ne convient et de compenser la déficience supposée par une fuite dans le contraire.»
C.G. Jung, L’âme et la vie, p. 241

Ainsi nous pouvons perdre le sens de la réalité objective au profit de la croyance d’avoir récupéré une toute-puissance salvatrice qui nous sortirait de notre complexe d’infériorité. Adler parle de la surcompensation d’un complexe d’infériorité par un complexe de supériorité. Alors que le sentiment d’infériorité serait selon lui normal et pourrait être compensé harmonieusement lorsqu’il est accepté.

Pour revenir à l’histoire du « Seigneur des Anneaux », nous ne pouvons que constater que personne n’est à l’abri de la fascination archétypale éprouvée par la contemplation de l’anneau. Mais ceux qui connaissent bien leur vulnérabilité sauront y résister même quand ils seront tentés. D’autres, ne connaissant pas -ou pas suffisamment- leurs failles, y succomberont.

Tel Boromir, l’un des neuf membres de la communauté de l’anneau qui va tenter de le reprendre par la force à Frodon, rien que la vue de « l’anneau-pouvoir » peut déclencher chez nous, être humain, le désir de le détenir, désir qui va jusqu’à nous ronger, nous rendre irascible et nous faire poser des actes regrettables contre nous-même et contre notre prochain.

Ainsi, fascinés et hypnotisés par cette séduction qui savamment attise l’illusion d’être soi-même investi du « pouvoir », l’être se trouve pénétré par l’anneau à l’endroit précis de sa faille : la blessure qui, à un moment donné de notre vie, nous a fait vivre l’expérience de l’impuissance.

En effet, quoi de plus rassurant, afin que cette expérience de l’impuissance ne se reproduise plus jamais, que de se croire puissant et invincible. Pour ce faire, nous créons inconsciemment, pour survivre au choc de l’impuissance, un système de défense extrêmement subtil sensé nous protéger. Il a pour tâche de nous éloigner de notre blessure, notre souffrance, afin de nous mettre à l’abri de tout ce tourbillon d’émotions et de sentiments anxiogènes.

Ainsi nous construisons une sorte d’armure, et nos vulnérabilités sont bien protégées – pensons-nous… En même temps, notre être se rigidifie, et il arrive que la visière du casque soit baissée en permanence, et que nos mains soient occupées à porter bouclier et lance. Personne ne peut donc plus nous faire du mal… ni du bien d’ailleurs…

Cette défense marche à double-sens : nous ne laissons plus entrer ce qui pourrait, selon nos peurs, représenter un danger pour nous, et en même temps nous nous y retrouvons enfermés. Les peurs gangrènent ainsi la libre-circulation entre intérieur et extérieur, l’espace relationnel entre soi-même et l’autre, et également entre le moi et le Soi, car le moi, investi maintenant d’une énergie archétypale inflationniste compensatoire, risque de se prendre pour le Soi. Ou alors, il pourrait projeter cette toute-puissance sur quelqu’un.

Maintenant, l’armure fait office de fermeture. En passant de la protection à l’isolation, le système défensif basé sur nos peurs peut nous éloigner de notre identité profonde, de notre élan de vie naturel, et de notre source sacrée intérieure qu’est le Soi.

Marie-Louise von Franz explique dans son ouvrage « Psychothérapie l’expérience du praticien » ce que Jung entendait par le Soi,

« (…) à savoir qu’il n’est pas le moi, mais une personnalité intérieure plus vaste, éternelle, comme le suggère le symbole. Jung définit aussi le Soi comme la totalité consciente et inconsciente de l’être humain. En tant que virtualité, ce Soi habite en chaque homme, mais pour le réaliser il faut la compréhension des songes (…) ; à la faveur de cette réalisation, il « s’incarne » pour ainsi dire dans la vie éphémère du moi. (…)

Il n’y a que le moi conscient qui soit capable de réaliser et d’actualiser le monde psychique. Même cette chose grandiose et divine qu’est le Soi a besoin du moi pour se réaliser. C’est cela qu’on entend par la réalisation du Soi. » p. 18

Nous voyons dans l’histoire du Seigneur des Anneaux comment Frodon, pris par le doute, s’éloigne de Sam, comme pour le fuir. Il donne crédit aux insinuations et manipulations de Gollum, toujours possédé par le « précieux » qu’il détenait avant Bilbon et qu’il cherche à posséder à nouveau. Frodon, en écoutant Gollum, commence alors à douter du bien-fondé de Sam, c’est-à-dire de la foi.

Dans le livre d’Olivier Clément, théologien orthodoxe, nous pouvons lire un autre éclairage intéressant concernant justement les conduites de fuite sur le chemin spirituel :

« Il est vrai qu’il y a aussi des conduites de fuite. Les principales sont l’esprit de ‘domination’ et celui de ‘vaines paroles’. La domination veut oublier le néant en hypertrophiant le moi. Le moi gonflé de néant détruit ou asservit les autres, il prétend au savoir absolu et au pouvoir absolu, il vide les autres de leur mystère et les font graviter autour de son propre vide. C’est l’auto-déification du rien. » La Prière du Cœur, p. 69

La voilà donc, la faille en nous par laquelle peut entrer l’anneau est nommée : une hypertrophie du moi qui se croit plus fort que tout. S’ensuit que l’hypertrophie ne laisse pas de place à la transcendance, au sacré, au divin, et le moi commence à se prendre pour le Soi. Ce risque guette tout un chacun, car je pense que nous pouvons tous rencontrer cette fascination -plus ou moins forte selon notre histoire et les circonstances- devant cette tromperie de l’archétype inflationniste.

La toute-puissance du moi veut se suffire à elle-même, et le danger de destruction est bien réel car elle possède et manipule l’être tout comme l’anneau. Cette toute-puissance tisse sa toile, mais l’être lui-même ne discerne même pas qu’il en est prisonnier, car le côté illusoire de la toute-puissance lui fait miroiter qu’il peut ‘tout’ et qu’il n’a besoin de personne.

Ceci peut créer un fonctionnement unilatéral qui est pris dans un système qui s’autoalimente et qui ne reconnait plus la Vie et son mouvement incessant et vivifiant de renaissances.

Mais la bonne nouvelle dans toute cette tragédie humaine, c’est que le Soi ne nous laisse pas tomber ! Et nous avons vu plus haut qu’il a aussi besoin du moi.

En effet, il est important que le moi s’engage sur le chemin d’individuation afin de se laisser pénétrer et vivre par le Soi. Car le Soi ne s’impose jamais. Avec les interpellations qu’il propose à travers l’analyse des rêves, l’imagination active et les synchronicités, c’est à nous de prendre en compte ses messages.

Sam Gamgee, la foi et le chemin d’individuation

Revenons donc à Sam : Sam représenterait la foi qui accompagne le moi, qui le pousse vers l’avant, qui lui permet de dépasser et de transformer les obstacles et les peurs pour aller au bout de la mission. Sam lève les doutes, il a une confiance totale dans le Soi et cela lui donne une force inébranlable lui permettant de dépasser ses propres peurs.

Jean-François Alizon, dans son livre « Jung et le Christianisme – un regard neuf », parle, à travers Jung, de la foi et de la confiance en ces termes :

« Jung considère que le processus de transformation ne peut se réaliser que si on respecte loyalement le contrat passé avec l’instance intérieure, ou avec quelqu’un qui la représente. La foi, pour Jung est donc un accord conclu avec l’Autre, le Soi ou le Christ. Elle donne la certitude d’être libéré de l’enfermement de la névrose, ou la capacité de sortir du puits sans fond de la dépression. Elle est confiance dans la transcendance de la vie et sa capacité de dépasser les situations désespérées, selon un processus symbolique de mort et de résurrection. » p. 225

Sam est engagé totalement dans sa mission d’accompagner Frodon. On peut le constater dans la scène où, après des périples difficiles dans la forêt, Frodon s’éclipse de la communauté de l’anneau, rassemblée autour de lui pour l’aider dans sa mission, pour poursuivre seul en prenant une barque. Sam, le voyant faire, court derrière lui, l’interpelle, puis plonge dans l’eau sans savoir nager: mieux mourir que de faillir à sa mission – il a donné sa parole à Gandalf, il s’est engagé !

Cette scène pourrait se voir avec un autre regard : pour partir avec Frodon, il est nécessaire d’oser plonger dans les eaux de l’inconscient et s’y engager corps et âme. Sam ne connaît pas encore cette eau là, mais il est prêt à aller vers un nouvel espace d’initiation qu’il ne maîtrise pas, au péril de sa vie et en restant ancré avec son cœur et ses racines dans la foi, sans aucune hésitation. En ressortant de ces eaux, s’ouvre alors une nouvelle étape sur le chemin.

Jean-François Alizon commente une histoire racontée par Confucius et rapportée par Pierre Willequet, et j’ose citer son commentaire qui pourrait bien s’appliquer à cette traversée des eaux de Sam :

« Belle illustration du fait que dans la traversée de l’eau, avec sa charge symbolique de mort et de renaissance, ce n’est pas le moi qui sauve, avec ses capacités, mais la relation confiante et loyale au Soi. Pour Jung, c’est toujours la foi qui est notre assise et nous permet de vivre. » p. 225

Il me semble et je pose l’hypothèse, que la foi est l’œuvre d’une relation qui s’établit avec le Soi, qu’elle ouvre le cœur au Soi qui va pouvoir y habiter de plus en plus. Comme le signifiait l’apôtre Paul :

« ce n’est plus moi qui vis mais le Christ qui vit en moi. » La Bible, Lettre de saint Paul aux Galates, 2:20

Et Sam, grâce à sa foi, tient son engagement, sa promesse, jusqu’au bout. Lorsque son ami Frodon n’en peut plus, quand il n’est plus en état d’avancer, quand il ne peut plus résister à l’appel de l’anneau, c’est Sam qui le porte avec toute la force de son être, avec toute sa foi dans le Soi – en effet, cette foi là peut soulever des montagnes…

In fine, nous ne sommes pas si seuls que cela ! Là où se trouve la foi, il y a l’espoir. Naïve parfois, mais capable d’émerveillement et d’optimisme. La foi nous aide, à chaque fois que nous nous enfonçons dans les méandres tortueux du chemin.

La foi nous relie au sacré, elle nous aide à être dans une relation vivifiante avec le Soi qui peut ainsi se manifester, nous insuffler, et c’est pour cela qu’elle peut nous aider à nous relever, à nous reconnecter à la signification de ce que nous vivons. Elle est de toute simplicité, nous transmettant un sens des responsabilités, d’éthique et de respect, pour nous ouvrir à la vie.

Le combat spirituel et la guérison archétypale

Nous entrevoyons dans cette épopée du « Seigneur des anneaux » un véritable combat spirituel, qui nous inspire à la fois au niveau individuel et au niveau de l’humanité tout entière. Ce chemin nous demande une certaine humilité car le moi seul ne peut pas se mesurer aux énergies archétypales. Il a besoin du Soi, car le Soi seul peut prendre en charge la guérison des archétypes malades.

Le Père Placide Déseille, moine du Mont Athos et higoumène du monastère orthoxe de Saint-Antoine-le-Grand, raconte, dans son livre La spiritualité orthodoxe et la philocalie, comment Saint Antoine s’est adressé à Dieu après avoir mené un combat spirituel éprouvant :

« Où étais-tu ? Pourquoi n’as-tu point paru dans le commencement, afin d’apaiser nos peines ? » Une voix lui répondit : « Antoine, j’étais là, mais j’attendais pour voir ton combat. » p. 118

Nous voyons donc que le chemin d’individuation, qui peut être considéré comme un combat spirituel, met à l’épreuve l’engagement de l’être qui parfois se sent seul sur ce chemin, face à lui-même, à ses attachements illusoires, ses ombres qui se dévoilent à lui, ses peurs, ses blessures. Mais cette confrontation à lui-même est nécessaire car le moi doit faire le choix d’un engagement total sur ce chemin d’individuation. Et la foi dans la présence guérissante et aimante du Soi se rencontre, se retire, puis revient et s’affermit.

Nous pouvons donc faire confiance en notre Sam intérieur qui est tout naturellement relié au Soi. Et dans le fond, l’être n’est jamais seul, mais il ne le sait pas toujours.

Juillet 2024

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Marilou Rettinghaus

Marilou Rettinghaus est praticienne en psychothérapie et analyste de rêve jungienne, superviseure et ancienne formatrice. Elle exerce dans le Sud-Est de la France.

Son expérience consiste à combiner ces deux approches pour ouvrir vers un processus thérapeutique d’une dimension plus vaste. En engendrant les images oniriques, le Soi apporte une interpellation précieuse et riche de sens afin d’accompagner l’être sur son chemin d’individuation.

Pour en savoir plus : site internet de Marilou Rettinghaus

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