Ceci est une histoire qui se démarque du classique voyage du héros auquel nous sommes si habitués. Conformément aux théories d’Erich Neumann sur la Nouvelle Éthique, le mal n’est ni vaincu ni éliminé. Au lieu de cela, il est accepté comme faisant partie de soi-même. Une négociation s’ensuit, permettant ainsi sa transformation.
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Le parcours d’une seule personne peut avoir un impact profond sur l’ombre collective. Le nouveau Borg plus modéré dans Star Trek : Picard symbolise cet espoir en des temps de grandes divisions et de clivages.
Dans les deux premiers articles de cette série consacrée à l’ombre et le mal dans Star Trek (1/3 et 2/3), j’ai abordé l’Ancienne Éthique de Neumann. J’y ai exploré plusieurs concepts clés, notamment la suppression, la répression, l’ombre, l’identification à la persona, l’inflation, l’imagination active, la projection de l’ombre et le phénomène du bouc émissaire.
Sur cette page
- L’Ancienne Ethique de Neumann dans Star Trek : Picard
- Le système d’auto-sauvegarde de Donald Kalsched
- La Nouvelle Ethique de Neumann : le contrat tacite avec l’Ombre
Star Trek : Picard (2020-2023)
Cette série récente de Star Trek se situe vingt-neuf ans après la fin de Star Trek : La Nouvelle Génération.
Au début de la saison 2, un nouveau type de navire Borg émerge d’une anomalie spatiale artificielle et sollicite son adhésion à la Fédération. À ce stade de la chronologie de Star Trek, les Borgs, décimés, n’ont ni été vus ni entendus depuis plus d’une décennie.
Cependant, la peur et la paranoïa ressurgissent si intensément que l’idée de détruire ce vaisseau Borg inconnu sans provocation devient une option sérieusement envisagée, quitte à renoncer aux principes les plus fondamentaux de la Fédération.
Selon l’Ancienne Éthique de Neumann, l’ombre réprimée de la Fédération reste constamment en embuscade, juste sous la surface, guettant la moindre opportunité pour se révéler.
Ensuite, une nouvelle Reine Borg, radicalement différente de ses prédécesseures, traverse toutes les défenses, s’empare du navire et de l’ensemble de la flotte. Pour empêcher les Borgs de s’approprier une armada complète, Picard déclenche la séquence d’autodestruction. Alors, tout devient noir.
Lorsque Picard et ses amis se réveillent, ils se découvrent dans une chronologie alternative. Dans cet univers, Picard est un général de guerre impitoyable à la tête de la Confédération de la Terre, une entité xénophobe à l’opposé de la pacifique Fédération des Planètes Unies dans la chronologie principale. Cette Confédération se livre à l’éradication ou à l’asservissement systématique des races extraterrestres.
L’équipage de Picard sauve l’ancienne Reine Borg d’une exécution publique, car elle détient des connaissances uniques sur différentes chronologies et possède la capacité de calculer le voyage dans le temps nécessaire pour retourner à l’instant où l’histoire a basculé. Après un bond de près de 400 ans en arrière, ils retrouvent l’ancienne Reine Borg blessée et inconsciente, tandis que leur navire est inopérant.
Agnès Jurati, scientifique tourmentée, propose de se laisser partiellement assimiler pour pouvoir réparer la Reine Borg de l’intérieur et ainsi réactiver le navire. Picard se retrouve alors face à la délicate mission de rompre leur lien avant que Jurati ne se perde complètement au profit des Borgs.
Le système d’auto-sauvegarde de Donald Kalsched
Afin de saisir pourquoi la Reine Borg, une figure à la fois répugnante et terrifiante pour tous, exerce une telle influence sur Jurati, nous nous référons à l’analyste jungien Donald Kalsched.
Kalsched a élaboré un modèle décrivant les conséquences d’un traumatisme ou d’une négligence répétée survenus très tôt dans la vie, à une période où l’ego n’est pas encore pleinement développé. À travers son travail avec des patients tels que Jurati, il a découvert qu’une des figures intérieures les plus influentes chez ces individus est à la fois profondément sombre et nuisible, mais également extrêmement séduisante, comme la Reine Borg.
Lors d’un traumatisme très précoce, une scission se produit en 2 parties autonomes selon Kalsched:
- un enfant intérieur caché,
- un protecteur/persécuteur.
Ce protecteur/persécuteur fait partie du Soi primitif, non développé, se divisant en un ange de lumière et un ange sombre, tous deux désireux de protéger cet enfant intérieur.
Tableau William Blake
L’ange de lumière (l’aspect protecteur) intervient en cas de danger psychologique, offrant réconfort et un sentiment d’un bonheur éternel. Il est difficile de résister à la tentation de se perdre dans des fantasmes illusoires.
Cependant, l’ange sombre (l’aspect persécuteur) fait également partie intégrante du système archétypal d’auto-sauvegarde. C’est une version exacerbée de notre petite voix intérieure. Il s’active chaque fois que quelqu’un comme Jurati éprouve la moindre étincelle d’espoir ou de connexion. Par ses commentaires intérieurs blessants, il sabote toute perspective de bonheur.
Il déploie tous ses efforts pour dissuader la personne de commettre l’erreur, selon lui, de faire confiance, d’établir une connexion sincère et de risquer d’être à nouveau blessée. Ainsi, l’aspect sombre assure également une forme de protection, bien que cela puisse paraître difficile à concevoir.
Kalsched écrit :
« Il ne serait pas approprié d’attribuer les énergies violentes archaïques de cette figure à l’ombre – du moins, pas dans le sens où Jung concevait l’ombre comme l’alter-personnalité sombre de l’ego cohérent, qui se divise au cours du développement moral et s’intègre plus tard en faveur de la totalité de la personnalité.
Clairement, cette figure appartient à un niveau plus primitif du développement du moi et correspond à ce que Jung désignait comme l’ombre archétypale ou le démon magique aux pouvoirs mystérieux.
[Jung, 1916 : para. 153]Au contraire, ce personnage, dont les actes meurtriers et insensibles mènent à la désintégration psychique, est plus proche de l’incarnation du mal dans la personnalité – le côté obscur de la Divinité ou du Soi. »
Donald Kalsched, The Inner World of Trauma: Archetypal Defenses of the Personal Spirit, p. 28
Les Borgs correspondent en effet à une ombre bien plus archétypale et primitive. Ils sont l’incarnation du mal.
L’ancienne Reine Borg en tant que protecteur/persécuteur
Dans le dialogue avec l’ancienne Reine Borg, nous discernons les deux aspects du protecteur/persécuteur :
- une séduction dans la promesse d’un bonheur illusoire, caractéristique de l’ange de lumière,
- une critique impitoyable, propre à l’ange sombre.
Lorsque Picard est contraint de quitter le navire, Jurati se retrouve seule avec la Reine Borg. Celle-ci commence alors à la manipuler, cherchant à prendre le contrôle. Elle mêle habilement flatterie et acceptation à des paroles blessantes, soulignant cruellement que, aux yeux des autres, Jurati ne sera jamais véritablement acceptée.
« Pauvre Agnès Jurati. L’éternelle cinquième roue du carrosse. Mais pas pour moi. Vous valez bien plus qu’ils ne le voient. Vous êtes maline, astucieuse et incroyablement plus cruelle que je ne m’avais imaginé. Bravo. »
Il est établi que la cruauté de Jurati est un fait. Dans la saison 1, elle est submergée par son ombre, trahit ses amis et commet l’assassinat de son ancien petit ami.
Elle a par la suite été acquittée de toutes les accusations, la gravité de la contrainte psychologique et de la manipulation subie ayant été reconnue. Cependant, cela révèle que derrière son génie intellectuel et ses bonnes intentions, se cachent des traumatismes précoces profonds qui n’ont pas encore été pleinement surmontés.
Sentiment de non-appartenance
Elle est hantée par un sentiment omniprésent de solitude et un profond désir de connexion. Dans la version originale, la Reine Borg qualifie à juste titre ce sentiment d’unbelonging, c’est-à-dire le sentiment de non-appartenance. Elle poursuit sa stratégie de séduction en se moquant :
« Vous l’avez ressenti, n’est-ce pas ? Ce sentiment pour lequel les Borgs ont tellement de dénominations. L’assimilation. La coopération. La connexion. »
Imaginez à quel point l’idée d’une connexion et d’une acceptation totale par les Borgs peut être tentante pour Jurati qui a toujours porté en elle la peur et la honte de ne pas être aimable. Ce serait comme un retour au sein nourricier de l’inconscient où elle pourrait oublier toutes les souffrances qu’elle a endurées.
La Reine Borg, elle aussi, souffre de solitude et cherche depuis longtemps à trouver un équivalent, un véritable égal. C’est la raison pour laquelle, trente-cinq ans plus tôt, elle a assimilé Picard pour créer Locutus de Borg (article 1/3). Cependant, cette union n’a pas duré car Picard a finalement été sauvé par ses amis et son équipe.
Tandis que ses amis tentent de sauver la galaxie, Jurati fait face à un dilemme impossible. La Reine Borg, ayant rusé pour prendre un policier en otage, menace de le tuer. Jurati, armée, se trouve confrontée à la Reine Borg. Cependant, elle ne peut se résoudre à la tuer, car ils ont besoin d’elle pour retourner dans leur époque future. Dans une impasse, l’ancienne Reine Borg tente de convaincre Jurati de la rejoindre et de devenir Borg.
« Vous êtes seule, Agnès, dans toutes les lignes temporelles. Malgré les permutations, dans chaque réalité de ce vaste univers, vous êtes irrémédiablement seule. Quel est votre destin ? L’éternelle invisible ?
Mais je pourrais changer tout cela si je le voulais. Imaginez-vous vous sentir pleinement aimée. Chacune de vos pensées, chacun de vos murmures, admirés, chéris et partagés. Nos esprits fusionnés ne formant qu’un seul. Nous pourrions être tellement plus. Dans cet univers froid et indifférent, je suis la seule qui ait vraiment vu qui vous êtes. Une fois que je ne serai plus là, vous serez à nouveau seule. »
Jurati tire sur l’ancienne Reine Borg pour sauver l’homme. Mais soudain, elle est submergée par une douleur atroce.
Jurati : « C’est quoi, ça ? Qu’est-ce qui m’arrive ? C’est quoi ce que je sens ? »
La Reine Borg : « Moi, qui meurt. Je fais partie de vous. »
Nous ne pouvons pas tuer l’ombre sans perdre une partie de nous-mêmes.
La Reine Borg : « Il vous plaît, ce tragique abîme de solitude ? Parce qu’il ne vous quittera jamais. Si on était unie, nous pourrions être tellement plus. … Vous avez besoin de moi pour rentrer chez vous. Vous encore plus que les autres. Comment allez-vous survivre sans moi ? »
Nous avons besoin de l’ombre pour être complet.
Lorsque la Reine Borg réussit finalement à séduire Jurati en vue d’une assimilation complète, elle n’emploie pas la méthode traditionnelle des Borgs. Au lieu de la transformer en drone, ce qui signifierait la destruction totale de l’individualité de Jurati, elle considère Jurati comme un égal potentiel, et s’infiltre donc subtilement dans son esprit.
Bien que l’illusion initiale laisse penser que Jurati garde le contrôle, il devient progressivement évident que son corps abrite désormais deux personnalités contradictoires :
- La première est celle de la scientifique Agnès Jurati, intelligente, compatissante et forte d’esprit, qui veut aider ses amis à sauver la galaxie.
- La seconde est celle de la Reine Borg, dont l’unique but est de s’emparer d’un vaisseau spatial pour assimiler d’autres espèces, dans le but de former un nouveau Collectif de drones Borg et de poursuivre sa quête d’ordre et de perfection.
Comme un vrai Trickster, l’ancienne Reine Borg prend progressivement le contrôle total du corps de Jurati. Ensemble, elles chantent : Nous courons avec les ombres de la nuit.
La performance époustouflante de Shadows of the Night de Pat Benatar illustre parfaitement le grande bénéfice de la coexistence avec l’ombre, au lieu d’être en conflit avec elle. En chantant aux côtés de l’ancienne Reine Borg, Jurati est radieuse et confiante. Elle n’est plus seule, perdue et maladroite, terrifiée à l’idée de révéler ou d’exploiter son véritable potentiel. Elle est désormais complète.
Avec suffisamment de contrôle acquis, l’ancienne Reine Borg commence à construire une armée de soldats assimilés pour l’aider à prendre le contrôle du navire. La lutte entre Jurati et l’ancienne Reine Borg, entre conscience et ombre, prend fin lorsque la Reine Borg blesse mortellement Seven, une amie de Jurati, et refuse de faire preuve de pitié.
La Nouvelle Ethique de Neumann : le contrat tacite avec l’Ombre
Alors que Jurati reprend un peu le contrôle de son ego, elle entame un dialogue et une négociation avec sa figure d’ombre intérieure.
Ce dialogue peut être compris en termes jungiens comme une imagination active. Tout en conservant le contrôle conscient de son ego, Jurati est prête à engager la conversation avec sa figure d’ombre.
Un tournant décisif dans le processus d’individuation de Jurati se produit lorsqu’elle cesse de percevoir l’ancienne Reine Borg comme une entité maléfique externe à elle-même, devant être exorcisée ou vaincue.
Elle abandonne ainsi l’idée de l’Ancienne Ethique de Neumann, qui prône la création d’une société morale par l’élimination de tout ce qui contrevient aux valeurs établies (article 1/3 et 2/3).
Neumann écrit :
« Mais lorsque le processus d’individuation se déroule, l’ancienne aspiration de l’ego à la perfection se désintègre simultanément. L’exaltation inflationniste de l’ego doit être sacrifiée, et il devient essentiel que l’ego établisse une sorte d’accord tacite avec l’ombre – une évolution diamétralement opposée avec l’idéal d’absolutisme et de perfection de l’ancienne éthique. »
Erich Neumann, Depth psychology and a New Ethic, p. 80
Au lieu de cela, Jurati accepte désormais que ces composants d’ombre font partie d’elle-même. Elle est prête à négocier.
La Reine Borg : « Qu’est-ce que c’est que ça ? »
Jurati : « L’histoire des Borgs. Enfin, la seule partie importante : la fin de l’histoire. Et ça fini toujours de la même manière pour toi. Un pourfendeur de Borg solitaire ou une Fédération Unie qui fendent sur toi. Pour te faire payer l’arrogance à côté de là le cas d’Icare passe pour un modeste. …
Dans cet univers ou dans n’importe quel autre, tu finis toujours par perdre. C’est pour ça que tu te bats avec tant d’acharnement. Tu portes en toi l’horizon funèbre de ton espèce entière, et sur toutes les lignes temporelles tu as peur du deuil et de la solitude, comme nous tous. Tu recherches désespérément ce que nous cherchons tous ? Une connexion. La longévité. La découverte. »
Les Borgs et la Fédération fonctionnent tous les deux selon l’Ancienne Ethique unilatérale, qui est « basée sur le principe des opposés en conflit ». (p. 45). Neumann écrit :
« Une éthique basée sur l’ombre est tout aussi unilatérale qu’une éthique guidée uniquement par les valeurs de l’ego. Cela conduit à la suppression, au blocage et à la percée des forces positives compensatoires ; mais l’instabilité de la structure psychique de l’homme est tout aussi marquée dans une éthique de ce genre qu’elle l’était dans le cas de l’ancienne éthique. » (p. 92)
L’Ancienne Ethique est une éthique partielle et se termine toujours par un désastre au niveau collectif. Les Borgs sont finalement attaqués et détruits.
Mais Neumann propose une autre voie : une éthique totale ou entière.
« La nouvelle éthique est totale dans le sens où elle est orientée vers la totalité – et vers deux aspects de la totalité en particulier. D’abord, elle n’est plus individualiste ; elle ne prend pas seulement en compte la situation éthique de l’individu, mais considère également l’effet que l’attitude de l’individu aura sur le collectif. » (p. 92)
Le premier point fait référence à la distinction entre l’individuel et le collectif. L’Ancienne Ethique ne s’intéressait qu’à ce qui se passait au niveau de l’individu.
Dans la Nouvelle Ethique, nous considérons également les conséquences plus larges de notre point de vue moral individuel sur nos semblables et sur notre environnement en général.
Neumann poursuit :
« En deuxième lieu, il ne s’agit plus d’une éthique partielle de la conscience, mais elle inclut également dans sa prise en compte l’effet de la position consciente sur l’inconscient. En fait, la responsabilité doit désormais incomber à la totalité de la personnalité, et non plus simplement à l’ego en tant que centre de la conscience. » (p. 92)
Le deuxième point de Neumann attire notre attention sur l’inconscient. L’Ancienne Ethique ne concernait que ce qui se passait au niveau de la conscience. Aucune réflexion n’a été accordée à l’accumulation résultante de valeurs négatives opposées dans l’inconscient et aux catastrophes que cela pourrait provoquer.
Cependant, dans la Nouvelle Ethique, nous assumons la responsabilité de notre ombre. Cela libère l’inconscient collectif de devoir assumer et vivre cette part d’ombre et de mal.
Jurati fait donc une proposition qui s’inscrit dans la lignée de la Nouvelle Éthique :
Jurati : « Pourquoi ne pas leur offrir ? [la possibilité de faire partie d’un Collectif] Toi et moi unie ? … Cette galaxie est truffée de vies qui ont besoin d’être sauvées. L’une d’elles se meurt devant toi en ce moment. » [Seven, une amie de Jurati, qui est mortellement blessé]
La Reine Borg : « Tu veux rassembler une cohorte de recrues mourantes, abandonnées sur les pires vaisseaux, comme de vulgaires rebuts de l’espace ? Tu veux qu’on collectionne les déchets ? »
Jurati : « Et qu’on leur offre une seconde chance. Je veux prendre ce vaisseau spatial et bâtir de meilleurs Borgs. Un vrai Collectif, non pas basé sur l’assimilation, mais sur la clémence. Réfléchis deux secondes ! Un collectif Borg qui épouserait tout ce qui rend unique chacun de ses membres. »
La Reine Borg : « Tu veux que nous épousions la faiblesse. »
Jurati : « Je t’explique que ce que tu as toujours vu comme de la faiblesse est en réalité une force. La coopération. … Imagine des membres prêts à se battre avec d’autant plus d’ardeur pour ce qu’ils ont choisi. Qui ne perdrait jamais de bataille parce qu’il ne se ferait pas d’ennemi, qui ne serait jamais rejeté, ni remplacé. Leur attachement ne ferait que croître et s’approfondir. »
Le contrat tacite de Neumann avec l’Ombre
L’ancienne Reine Borg accepte la proposition de Jurati. Elle sauve la vie de Seven. En échange, elle peut emmener le vaisseau intergalactique dans le quadrant Delta pour bâtir un nouveau Borg amélioré.
Ensemble, Jurati et l’ancienne Reine Borg « sont devenues une nouvelle entité : bien supérieure ». Avant de partir avec le navire, elles proclament que « l’avenir n’aura pas besoin d’un pourfendeur, en tous cas pas pour nous ».
Picard et son équipe trouvent par la suite un moyen de restaurer la ligne temporelle et de voyager dans leur propre époque, près de 400 ans dans le futur. À leur arrivée, ils se retrouvent à bord de leur vaisseau spatial, face à face avec la nouvelle et insolite Reine Borg qui est en train de prendre le contrôle de toute la flotte.
Mais Picard la reconnaît désormais comme l’entité composée de Jurati et de l’ancienne Reine Borg. Il décide de lui faire confiance au lieu d’activer la séquence d’autodestruction. Elle utilise son contrôle sur la flotte pour sauver la galaxie entière d’une attaque surprise d’un ennemi puissant jusqu’alors inconnu de la Fédération.
En tant que nouvelle Reine Borg, Jurati a mis en œuvre l’accord tacite conclu avec l’ombre près de 400 ans plus tôt. Elle a façonné un nouveau Collectif Borg plus compatissant, en invitant plutôt qu’en forçant de nouveaux membres à rejoindre leur collectif.
De plus, ce nouveau Collectif Borg sauve la galaxie et s’engage à devenir membre contributeur de la Fédération.
Neumann écrit :
« Mais la pré-digestion du mal, qu’il [l’individu] opère dans le cadre du processus d’assimilation de son ombre, fait de lui, en même temps, un agent d’immunisation du collectif. L’ombre d’un individu est invariablement liée à l’ombre collective de son groupe, et à mesure qu’il digère son propre mal, un fragment du mal collectif est invariablement co-digéré en même temps. » (p. 130)
Le parcours d’une seule personne peut avoir un impact profond sur l’inconscient collectif.
Jurati était hantée par les aspects sombres de sa personnalité, mais elle n’a pas cédé et n’a pas choisi la voie de la facilité. Acceptant et explorant ses peurs névrotiques, elle rencontra courageusement l’ombre. Elle a engagé le dialogue avec elle et la bataille. Elle a pris des risques conscients. Et puis l’impensable s’est produit : dans sa lutte, grâce à son travail acharné et à ses sacrifices, elle est parvenue à créer un Borg meilleur et plus compatissant.
Jurati a assumé la responsabilité de sa partie d’ombre et l’ombre inconsciente collective a été changée à jamais.
L’idée même d’un Borg nouveau et plus modéré est un beau symbole d’espoir. Si de notre inconscient collectif, représenté dans Star Trek, peut surgir une image de négociation, puis de l’intégration et de la transformation d’une ombre qui semblait tellement mauvaise et irrémédiable, alors il y a de l’espoir pour la société dans laquelle nous vivons.
Qu’est-ce que cela signifie pour l’individu qui vit selon la Nouvelle Éthique ?
Neumann écrit :
« Il est exigé de nous que nous travaillions sur notre propre mal de manière indépendante et responsable. Mais le corollaire de cela est que la prise de conscience doit désormais être considérée comme un devoir éthique. » (p. 113)
Pour construire un monde meilleur, il faut que nous prenions conscience des parties personnelles, mais aussi des aspects archétypaux collectifs, de notre ombre. Cela implique d’entreprendre le difficile travail de négociation avec ces aspects sombres pour les intégrer pleinement à notre personnalité.
A l’image de Jurati, en tant que nouvelle Reine Borg, qui sauve la galaxie, nous aussi pouvons contribuer au sauvetage de notre monde. Cela nécessite d’accepter l’impératif éthique de réaliser notre propre travail d’individuation.
Article original (accepté pour publication dans la revue Psychological Perspectives) et traduction par Peggy Vermeesch.
Décembre 2023
Le contenu de l’article ci-dessus s’appuie sur :
- l’ouvrage de l’analyste jungien Erich Neumann Depth psychology and a New Ethic (1949) [Psychologie des Profondeurs et une Nouvelle Éthique, livre non traduit en français],
- le livre de l’analyste jungien Donald Kalsched The Inner World of Trauma: Archetypal Defenses of the Personal Spirit (2014) [Le Monde Intérieur du Traumatisme : les Défenses Archétypales de l’Esprit Personnel, livre non traduit en français].
- Des articles, en lien avec Donald Kalsched, figurent dans les numéros des cahiers jungiens de psychanalyse :
- 117 (mars 2006) Figures miroir
- 119-120 (octobre 2006) Le traumatisme dans l’analyse
- 123 (septembre 2007) Approcher l’ombre
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Peggy Vermeesch
Basée en France, Peggy Vermeesch est psychopraticienne d’orientation jungienne. Elle enseigne l’anglais pour psychologues à l’Université de Bretagne Occidentale, et a également un long parcours de chercheuse en géophysique à l’Imperial College London, l’université du Texas (États-Unis) et celle de Southampton (Royaume-Uni).
Contributrice au sein de l’équipe Espace Francophone Jungien (EFJ) elle assure également les liens entre le monde anglophone (Jungian Psychology Space) et francophone.
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