Les couples peuvent être le théâtre de comportements véritablement destructeurs dès lors que l’un de ses membres exerce une perversion de type narcissique. Leurs enfants sont le plus souvent pris en otage et ont les plus grandes difficultés à conquérir une relative indépendance.
La plupart des couples aux prises avec la perversion narcissique se composent d’un partenaire normal et d’un pervers.
L’emprise dans le couple
Le public se montre surpris qu’une femme reste des dizaines d’années sous l’emprise aliénante d’un mari brutal qu’elle a pourtant souvent envisagé de quitter, sans toutefois y parvenir, d’autant que cette situation crée des effets catastrophiques sur les enfants.
Prise dans une relation psychique aliénante, cette victime ne parvient pas à décrire clairement sa situation lorsqu’elle consulte. Elle vit une telle mainmise qu’elle se trouve dépossédée d’elle-même, dénie automatiquement tout événement subi et doute de manière pathologique de ses propres perceptions.
Durant l’analyse se découvrent des identifications à l’agresseur dans son passé. La victime ne consulte que lorsqu’un regard extérieur (souvent c’est le regard effaré de son enfant), rend impossible la prolongation du déni.
La victime ne parvient plus à penser
Le thérapeute est amené à méta-communiquer afin de lui permettre de sortir du cadre paradoxal dans lequel elle est enfermée et dont personne ne peut sortir sans l’aide d’un tiers. Son appareil psychique est à ce point envahi qu’elle est décervelée : elle ne parvient plus à penser.
D’ailleurs, elle acte que la discussion avec son conjoint est impossible, celui-ci se lançant dans d’interminables discours qui finissent toujours par démontrer qu’elle est coupable.
Des années de travail analytique sont nécessaires pour la dégager d’une imago de mère dépressive, pétrifiée et persécutante, à débusquer l’omnipotence cachée qui consiste à se croire capable de tout subir et à la conduire à admettre la réalité du mal.
Ayant enfin récupéré son lien normal à l’agressivité, elle peut l’utiliser pour se défendre. Il arrive que le partenaire cesse alors toute violence du jour au lendemain.
La souffrance existe-t-elle chez le pervers narcissique ?
Sans doute la souffrance existe-t-elle chez le pervers mais parce qu’il ne la perçoit pas, il accuse un manque évident de tendresse et même de simple intérêt pour l’autre.
Il manque également au pervers narcissique les représentations symboliques et les fantasmes. Son élaboration psychique s’avère donc pauvre, signant sa pensée opératoire.
Il est dès lors important de savoir que la médiation en cas de divorce est contre-indiquée si un des partenaires du couple est un pervers narcissique.
D’autres couples réunissent deux pervers narcissiques. Les frontières de leurs psychés sont traversées par leurs manœuvres réciproques. Hurni M. et Stoll G. ont montré que ce type de couple survit grâce à la tension intersubjective perverse, constituée d’attaques réciproques du narcissisme du partenaire. Le conflit permanent, source d’excitation, tient alors lieu de relation.
Les enfants et les pervers narcissiques
L’enfant d’un couple réunissant deux pervers narcissiques peut exister mais il ne peut pas « être » car il se trouve réduit au statut de fétiche (objet auquel on attribue un pouvoir magique) et utilisé par ses parents dans leur lutte incessante.
Dé-symbolisation et dépsychisation sont présentes. En effet, les fantasmes organisateurs de son psychisme, fantasme de parents l’ayant désiré et fantasmes de scène primitive, ont été saccagés, ouvrant la voie à l’incestuel.
La morale, la vérité et même la vie et la mort sont prises dans une sorte de « jeu » mêlant dénis, mensonges et culpabilisation.
L’enfant souffre de conflits de loyauté
L’enfant d’une famille où sévit un seul pervers souffre fréquemment de conflits de loyauté.
Parfois, il s’en tire en inhibant ses propres processus cognitifs, avec les échecs scolaires qui s’en suivent, et s’installe dans un statut de pseudo-débile ou une passivité qui peut passer pour une tendance schizophrénique.
Ce retrait constitue quelquefois son seul recours pour échapper aux conflits du couple et il finit par s’y habituer, au point de croire qu’il fait partie de son identité. Il arrive ainsi qu’un enfant à haut potentiel soit pris pour un cancre.
Des enfants en grande difficulté
Il arrive par ailleurs que le divorce occasionne l’établissement d’un déni des sentiments réels chez l’enfant, entraîné dans un jeu de faire-semblant exigé par un des parents ou les deux.
Très tôt, il perçoit obscurément que quelque chose lui interdit de se fonder sur ses propres perceptions pour vivre et que ses désirs personnels ne peuvent pas être montrés. Il se conforme donc aux volontés parentales, le plus souvent maternelles, qu’il apprend rapidement à repérer, même si elles ne sont jamais exprimées directement.
Ce sont en effet les attitudes et les actes de la mère qui conditionnent les conduites et les comportements du sujet, et non son discours, le plus souvent idéalisant. Une telle mère clame qu’elle aime son enfant mais, en réalité, elle ne lui laisse aucune liberté.
Devenu adolescent, ce dernier tente parfois de réaliser ses désirs ou de promouvoir ses élans mais il est dénié et dévalorisé.
S’il repère qu’il engendre la peur chez sa mère, celle-ci fait alors en sorte de ne pas l’attaquer ouvertement, tout en recourant à des biais pour tenter de bloquer son évolution et de maintenir la dépendance.
S’il acquiert une relative indépendance, il ne peut cependant pas montrer sa véritable identité car toute tentative en ce sens fait surgir l’angoisse de néantisation.
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Michel Cautaerts
Médecin psychiatre et psychanalyste jungien, ancien président de la Société Belge de Psychologie Analytique, Michel Cautaerts est un chercheur, clinicien et conférencier. Sa riche expérience s’étend sur plus de 40 ans. Il est l’auteur de deux ouvrages :
- « Je tu(e) il ». Manipulations et perversions: le sens du mal.
Lire un extrait de la préface rédigée par Michel Cazenave. - Couples des dieux, couples des hommes. De la mythologie à la psychanalyse du quotidien.