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Quand la famille maltraite ses enfants

Bernard Lempert dresse un  portrait sans concession de la maltraitance au sein des familles. Il est l’un des précurseurs à avoir dénoncé le non dit de ce type de violences et il démontre, pour celles et ceux qui en sont les victimes, que la transformation est possible.

Pierre Sabourin, psychiatre et psychanalyste, a préfacé Dans la maison de l’ogre. Il situe la portée des travaux de Bernard Lempert :

« Jamais le phénomène de la maltraitance des enfants n’a été décrit avec autant de clarté, de force et d’intelligence. Les professionnels de la protection de l’enfance apprécieront cette pertinence, mais aussi toute personne ayant été victime de maltraitance, et sans doute tout adulte ayant à accompagner des enfants.

Éditions du Seuil – 14,1 x 26 x 2 cm – 280 pages

Ce livre intense et engagé est d’autant plus frappant qu’il est écrit avec la volonté de défaire le mécanisme de la violence, et d’avancer des contre-propositions libératrices pour toutes les Peau d’âne et tous les Petit Poucet. » (préface, p 16)

Les extraits de l’ouvrage ci-dessous nous plongent dans les réflexions de l’auteur :

« Quand l’amour fait défaut, le don est absent; et là où le don est absent, la dette règne sans partage« . (p 61)

Quand la violence est banalisée

« Quand, dans une structure familiale, la violence est banalisée, elle se déroule sans mots, et par voie de conséquence sans conscience distincte pour la penser vraiment. Dès l’instant que les mots l’énoncent, et surtout dès l’instant que le récit en est fait à l’extérieur – quand l’enfant se plaint, appelle à l’aide, voire dénonce explicitement -, la parole est aussitôt assimilée à une trahison. » (p 51)

Les transformations sont possibles

« Nous croyons que tout est toujours possible, que les jeux ne sont pas faits, qu’il n’est pas vrai que rien n’aille plus, que les voies sont ouvertes, que le devenir n’est pas un vain mot, que les transformations ne relèvent pas de la catégorie de l’illusion, et que les métamorphoses ne sont pas réservées au seul champ poétique. Mais nous pensons qu’il faut aller au bout l’une certaine lucidité pour que notre espérance soit crédible. […]

Si nous voulons lutter efficacement contre la cruauté mentale, il faut que nous en comprenions la logique interne. La naïveté en ces affaires est mauvaise conseillère. Si nous voulons porter secours aux enfants victimes, il faut accepter de descendre d’abord mentalement dans cet espace de terreur qui les tient, et puis il faut se résoudre à affronter le système agresseur dans son ensemble. » (p 38)

L’histoire pèse mais ne détermine pas

« Quel que soit le passif d’origine, et si terribles puissent être certaines enfances, il est possible de s’en extraire et de s’en libérer. Le processus destructeur est puissant, mais il n’est pas fatal. L’histoire pèse mais ne détermine pas.

Plus nombreuses qu’on ne pense sont les personnes qui n’avaient pas reçu d’amour dans leur jeunesse et qui savent en donner à leurs enfants. On peut donner ce qu’on n’a pas reçu, pour cette simple raison qu’on peut le découvrir au cours de son existence et au plus profond de soi. On peut transmettre ce qu’on vous avait jadis refusé. » (p 66)

La violence intrafamiliale et le monde du dehors

« La violence intrafamiliale a beau chérir par-dessus tout la loi du silence, et elle a beau savoir cultiver comme personne le goût du secret, elle n’a pas pour autant vocation à rester dans de strictes limites. C’est qu’elle entretient un rapport paradoxal avec le monde du dehors.

D’un côté pour elle le dehors n’existe pas fondamentalement ; d’un autre côté l’extérieur est à la fois un réservoir pour sa machine de guerre, un champ de manipulation et une perspective d’extension de sa propre puissance.

Mais à aucun moment le dehors n’est reconnu comme un lieu autre. L’autre n’existe pas. Le monde de la maltraitance est fondamentalement clos. Même quand il se répand au-dehors, il ne fait que régler ses propres comptes et poursuivre un dessein privé. » (p 30)

Le travail analytique ne se limite pas au domaine intérieur

« Que le travail analytique s’effectue en regard du champ de la psyché ne signifie pas pour autant qu’il doive rester strictement limité au domaine intérieur. La psyché n’est pas un simple lieu de lecture, elle retentit de ce qui s’est effectivement passé dans l’histoire.

Elle est d’abord cette chambre du dedans qui accueille comme elle peut les bouleversements du monde. Haut lieu intime de résonance, elle fait mémoire en temps réel de ce qui lui était advenu.

Cette mémoire a beau être sélective, elle a beau donner lieu à un processus de recomposition qui lui-même équivaut en partie à une reconstruction, elle a beau ouvrir en grand l’espace interprétatif, elle n’en demeure pas moins, d’abord, l’onde de choc provoquée par une réalité extérieure.

S’il s’agit d’une violence objective, la psyché gardera en elle cette trace de l’effraction qui peut alors devenir source d’images renouvelées. Ces images ont évidemment aussi à voir avec l’identité personnelle, et avec le bain culturel qui les contient. » (p 123)

La folie n’est pas un mal, mais le signe d’un mal

« Qu’il y ait urgence à faire cesser une bouffée délirante, qu’il y ait toute une stratégie de soins à mettre en place pour aider une personne à sortir d’un délire plus installé – cela nous semble aller de soi. Qu’il ne faille pas hésiter à avoir recours  à des protocoles médicamenteux pour tenter de résorber l’état de crise relève également du bon sens et du devoir d’assistance.

Mais il faut agir ainsi parce que l’activité délirante est dangereuse, et non parce qu’elle serait un mal en soi. La folie n’est pas un mal, mais le signe d’un mal. Une crise psychique est d’abord une tentative d’évacuation de la souffrance. » (p 165/166)

Il en va des familles comme des États

« Nous pourrions dire encore qu’il en va des familles comme il en va des États. Certains sont démocratiques, d’autres non. Il y a des familles démocratiques et d’autres qui ne le sont pas. Il y en a qui reconnaissent la personne de chacun de ses membres, ses droits et ses désirs propres – et d’autres qui ne le font pas.

Dans les familles autoritaires, voire totalitaires, les choses se passent comme dans les États qui leur correspondent. L’appartenance est en fait considérée comme une appropriation, la légitime autorité parentale sert de prétexte à la mise en place d’un assujettissement, l’enfant n’est respecté ni dans sa personne ni dans ses aspirations. Ces deux types de famille sont aussi éloignés l’un de l’autre qu’une démocratie peut l’être d’une dictature. »(p 245)

Ne pas confondre vie privée et loi du silence

Nous ne pouvons pas confondre vie privée et loi du silence. Cela équivaudrait à confondre l’intimité et la violation de cette intimité. Nous pourrions dire encore : il y a secret et secret. Il y a le secret de l’intime et il y a le secret mafieux.

Quand on ferme les portes et surtout les volets des maisons où l’on bat des enfants, ce n’est pas par pudeur. Quand personne ne parle des agressions sexuelles commises sur une adolescente dans un clan incestueux, ce n’est pas par délicatesse. Quand on se tait autour de la violence, ce n’est pas par respect de la liberté de l’enfant victime. » (p 249)

Penser la maltraitance

« Si nous pouvons aujourd’hui mieux combattre les mécanismes de la maltraitance, c’est que nous pouvons davantage la penser, et ce qui nous permet de la penser, c’est le lent reflux historique de la violence dite éducative. Plus une société se donne les moyens de séparer éducation et violence, plus elle isole de fait les situations de maltraitance, qui alors nous apparaissent au grand jour.

Non seulement nous les découvrons, mais nous les éprouvons immédiatement comme insupportables. C’est parce que nous ne les supportons pas que nous voulons les combattre, et c’est parce que nous cherchons ainsi à contrecarrer leur puissance que nous nous donnons la peine de les analyser. » (p 271)

En conclusion

« Quant à la valeur expiatoire de la souffrance, c’est une idée qui elle aussi recule, en même temps que la notion de péché originel cède du terrain. Le corps n’est plus ce lieu fantasmatique de la faute qui obsédait la plupart des théologiens du temps jadis. Comme il n’est plus le coupable tout trouvé et qu’on ne le considère plus comme la terre d’élection du mal, il n’y a plus lieu de chasser de ses fibres la souillure censée s’y nicher.

Il n’y a donc plus lieu de le battre – et à force de n’être plus battu, il dévoile son innocence. La souffrance perd son aura théologique, et dans le même mouvement la violence qui la provoquait perd ses entrées et ses lettres de créances. Les justificatifs se désagrègent, les cautions se diluent, les couvertures s’étiolent.

L’absolutisme, le supplice et l’expiation étaient les parrains théoriques de la violence éducative. Sans leur soutien, elle ne peut plus que battre en retraite. Son reflux met au jour son noyau dur, la maltraitance, qui désormais ne peut plus se cacher. Il est alors possible d’en démonter les mécanismes afin de réduire progressivement ce qui s’apparente à nos yeux à des poches de barbarie. » (p 273)

Table des matières

Préface de Pierre Sabourin
Retour sur le désamour
Déclaré fautif
Une dette pour la vie
L’enfant serviteur
Sous le sceau de la fable
Une violence de type sacrificiel
Une triple effraction
Aux prises avec la faute de l’autre
Loi du silence et langage symbolique
Le loup, l’agneau et le bouc émissaire
Barbarie à domicile
La folie en héritage
Infanticides
Les souffrances de l’abandon
Enfant exposé, enfant sacrifié
Les recours et les secours
L’ogre et les mouvements de l’histoire

Bernard Lempert

Bernard Lempert (1951-2010), philosophe, psychanalyste, conférencier et écrivain a publié plusieurs ouvrages autour du domaine de la maltraitance.

S’appuyant sur les travaux de la psychanalyse et prenant en compte l’œuvre de Jung, il délivre des messages positifs et confirme que la transformation est non seulement possible, mais souhaitable.


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